Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
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Notre sélection de la semaine : “ Le rêve de Meteor Slim ” par Frantz Duchazeau, “ Tunny Head ” par ?Fane, et “ Junk T.1 : Come Back ” par Brüno et Nicolas Pothier.
Cliquez sur l’appareil photo pour découvrir les couvertures des albums chroniqués.
“ Le rêve de Meteor Slim ” par Frantz Duchazeau
Editions Sarbacane (23 Euros)
Frantz Duchazeau est un auteur qui cherche, qui expérimente ! Après avoir débuté avec un style « gros nez » dans la presse Disney, dans Spirou, et chez Dargaud (« Igor et les monstres » avec des scénarios parodiques de Pierre Veys), il change totalement de registre, en 2003, s’inspirant alors de certains ténors de la « nouvelle BD » comme Blutch ou Christophe Blain. Sa collaboration avec l’inventif scénariste Fabien Vehlmann (particulièrement sur « Les cinq conteurs de Bagdad » qui a été justement récompensé par le Prix des Libraires de Bande Dessinée, l’an passé), confirme la justesse de ses choix pour des récits légèrement décalés, comme cette vraie-fausse quête tragi-comique d’un bluesman, dans le Mississipi des années 1930. Elle nous raconte les galères des journées (et des nuits !!!) musicales, souvent soûlographiques, d’un jeune guitariste noir écervelé ayant tout plaqué (maison, boulot et femme enceinte) pour chanter le blues sur des routes sinueuses qui passent par des cabarets miteux, où il affronte allégrement tenanciers peu scrupuleux et producteurs véreux. L’auteur en profite pour jeter un regard mélancolique sur cette Amérique dépressive, nous assénant son langoureux dessin en noir et blanc qu’il maîtrise de mieux en mieux. Ce graphisme, assez particulier, restitue d’ailleurs parfaitement l’angoisse de ces premiers musiciens de jazz et l’atmosphère désespérée des jam-sessions improvisées autour des champs de coton. Quant à la narration, sobre et rêveuse, elle se complaît dans un grand format légèrement plus long que haut qui lui donne encore plus de force et d’efficacité !
“ Tunny Head ” par ?Fane
Editions 12 bis (19 Euros)
Voici donc le premier bébé des éditions 12 bis, et il correspond bien à l’esprit un peu « rock’n roll » qu’avaient réussi à amener Dominique Burdot et Laurent Muller lorsqu’ils travaillaient chez Glénat. Leur nouvelle maison d’édition (12 bis parce qu’elle est sise au 12 bis de l’avenue des Gobelins à Paris dans le 5ème et parce que la page 13 de chacun des albums qu’elle produit est remplacée par une page 12 bis) est donc principalement axée sur un humour un peu destroy, à la « Tunny Head » justement ! Ce biker décérébré est né dans les pages du fanzine créé par le charismatique Kkrist Mirror : Cosmiques Tripes. C’était en 1994, et, d’après l’auteur de la reprise de « Joe Bar Team », de « Calagan », de « Skud » ou du touchant roman graphique « Petites éclipses » réalisé avec Jim (alias Téhy) : « C’était du gros n’importe quoi ! ». Pourtant, le flingueur soupe au lait allait réapparaître dans les pages de Gotham (« le mensuel trop mortel »), où il allait être tout à fait à sa place : même si, sous la houlette de l’infatigable et persévérant Laurent Galmot, la revue va trépasser trop vite, après 9 numéros, pour rebondir, en 1997 (et ce pendant un an seulement), sous le nom de Golem. Toujours d’après l’auteur de ce héros décalé et énergétique : « Si cette série n’avait pas existé, il y a fort à parier que le monde de l’édition aurait connu un autre destin… Par exemple, je reste intimement persuadé que Golem aurait mis moins de temps à se casser la gueule. » En tout cas, c’est peut-être à Gotham édité par Vents d’ouest (l’une des filiales de Glénat où ils travaillaient déjà à l’époque) que les animateurs de 12 bis ont eu connaissance de ces diverses pages aux fins souvent bâclées, aux scénarios assez aléatoires, et au graphisme plus qu’imprévisible, mettant en scène les aventures très drôles d’un cerveau reptilien aux commandes d’une montagne de muscles. L’ouvrage reprend l’intégralité des planches et dessins avec ce personnage, lequel évoluait dans des univers improbables qui allaient des westerns de Sergio Leone aux plaines chaotiques de « Mad Max » ; le tout accompagné de précisions historiques et humoristiques. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas le genre, moi je connais beaucoup d’auteurs qui aimeraient bien voir rééditer leurs œuvres de jeunesse de si belle façon !
“ Junk T.1 : Come Back ” par Brüno et Nicolas Pothier
Editions Treize étrange (12,50 Euros)
Avec son « Ratafia » dessiné par Fred Salsedo pour chez Treize étrange (la filiale des éditions Milan), le pinailleur de Bo Doï, Nicolas Pothier, nous avait déjà prouvé qu’il savait écrire un scénario de bande dessinée. En imaginant « Junk », savoureux western décalé prévu en deux tomes de 54 pages chacun et mettant en scène des bandits ayant dépassé la limite d’âge, il quitte son étiquette d’amuseur public pour entrer dans la catégorie des scénaristes prometteurs « enfin » pris au sérieux. Son étrange fausse chasse au trésor dans des montagnes désertiques et enneigées, dernier baroud d’honneur d’une bande d’anti-héros qui se retrouvent après une séparation de quinze années, est passionnante, remarquablement bien écrite, et habillement mise en images par le trait caricatural de Bruno Thielleux (lequel signe de son seul prénom avec un tréma sur le u). Ce dernier nous avait déjà surpris avec son « Biotope », un récit de science-fiction écologique raconté par Appollo chez Dargaud, mais, là, son style colle parfaitement à l’ambiance sarcastique, très second degré, de ce transparent hommage aux grands films hollywoodiens du genre : d’ailleurs, les couvertures sont judicieusement calquées sur celles du mythique « Rio Bravo » de Howard Hawks (avec John Wayne et Dean Matin). Vivement la suite !!!
Gilles RATIER