Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Chroniques de Jérusalem » par Guy Delisle
Guy Delisle voyage beaucoup, pourtant Guy Delisle n’est pas à proprement parler un voyageur, ni un aventurier, encore moins un touriste, car l’homme est un observateur qui ne choisit pas ce qu’il observe. Il le découvre presque par hasard puisque l’auteur de ces « Chroniques de Jérusalem » ne s’est posé là que parce qu’on l’y a posé, sa compagne, membre de l’organisation humanitaire Médecins Sans Frontières, en étant finalement la seule responsable…
De fait, après Shenzhen, Pyongyang et la Birmanie, Guy Delisle s’installe, découvre, raconte et commente. Cette fois-ci, pourtant, l’enjeu est autrement plus complexe qu’avec les destinations précédentes. Jérusalem, ville pliant sous le poids de l’histoire, croulant sur les imbroglio religieux, est un monstre méconnu que le personnage parcourt en tous sens, sans tout comprendre, en en saisissant des bribes, des éclats, des bouts de débats, des bouts de mur (et quel mur !). Son livre imposant (332 pages, tout de même !) est à l’image de ce carrefour de culture et d’incompréhension, d’exigence religieuse et d’intolérance. « Chroniques de Jérusalem » est un puzzle de saynètes quotidiennes et d’anecdotes qui visent l’éclaircissement, la pédagogie mais se heurtent le plus souvent à des constats détachés, sinon désabusés. Les réalités y passent d’un extrême à l’autre : une femme portant peut-être une bombe et, dans la même page, les délices d’un parc pour enfants ; plus loin, des enfants jouant à la guerre tout prêts d’adultes portant fusil en bandoulière ; ailleurs, ces femmes voilées de la tête au pied, et d’autres en bikini sur la plage…
Delisle explique, dresse des cartes, place les villes, hachure les zones et, curieusement, plus on progresse dans son cours de géopolitique, plus on est, comme lui, de moins en moins sûr de comprendre ! Israël, Palestine, Cisjordanie, check points, colonies, blocus, roquettes… le tournis est total. Ce qui sauve le personnage-auteur, c’est sa disponibilité : « Je me suis aligné comme une année sabbatique, à passer du temps avec les enfants, faire des croquis, bloguer, explorer les environs », satisfait de cette nonchalance qui lui permet de tout relativiser et, surtout, de pouvoir passer de la gravité des situations aux vétilles de la vie de famille. Des tracas domestiques et climatiques aux circonvolutions politico-religieuses : rien n’échappe pourtant à l’œil averti de Delisle qui raconte avec humour, avec distance et sans dramatiser, sans niveler non plus ce qui est superficiel et ce qui est essentiel. Il travaille ici comme on le fait dans un carnet de voyages où l’intime et le planétaire occupent tour à tour chacun leur place.
« Six communautés religieuses se partagent la gestion du Saint-Sépulcre », constate-t-il, et ces communautés peuvent se taper dessus, entre elles ! « Quand on voit le spectacle de la religion dans le coin, ça donne pas trop envie d’être croyant », finit-il par avouer. De fait, plutôt que de dramatiser, mieux vaut en sourire : de temps en temps, la chute est donc humoristique : une curieuse soirée masculine, « pas une seule fille. Un vrai festival de bande dessinée » ! Ailleurs, les répétitions d’organistes luthériens le poussent à s’équiper d’un walkman… Car tout est douceur chez Delisle, tout est tranquillité, sérénité : le monde s’agite autour de lui et il prend soin de ne pas s’impliquer dans ses fêlures, dans ses failles, dans ses béances que le monde essaie de cicatriser à l’arme lourde.
Qu’on n’ait pas compris tout ce qui oppose et éclabousse lamentablement et inexorablement des individus faits pour vivre ensemble n’est pas le plus grave, car la vraie leçon de ces chroniques, c’est la tolérance empreinte d’une nécessaire gentillesse… « J’ai vraiment l’impression d’écrire une grande carte postale, à ma famille, à mes amis. Je n’essaie pas réellement d’aller plus loin » explique-t-il. Candide, quoi ?! Voire !
Alors, bon voyage !
Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook.
« Chroniques de Jérusalem » par Guy Delisle
Éditions Delcourt (25 €) – ISBN : 978-2-7560-2569-8