Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 10 JUILLET 2006
« Plus de lectures » part en vacances (jusqu’à la fin août) ! Alors profitez bien de cette dernière sélection de 5 albums indispensables : “ KGB T.1 : Les démons du Kremlin ” par Malo Kerfriden et Valérie Mangin, “ Guerres civiles T.2 ” par Christophe Gaultier, Jean-David Morvan et Sylvain Ricard, “ Lou ! T.3 : Le cimetière des autobus ” par Julien Neel, “ Ma voisine en maillot ” par Jimmy Beaulieu et “ El Ni?o T.5 : Le paria de Célèbes ” par Boro Pavlovic et Christian Perrissin.
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“ KGB T.1 : Les démons du Kremlin ” par Malo Kerfriden et Valérie Mangin
Editions Quadrant Solaire (12,90 Euros)
En cette année 1961, dans la grande Union Soviétique, un nihiliste égorge un homme dans le bureau du camarade dirigeant Leonid Brejnev. Sur le ventre de la victime, il prend soin de dessiner un pentacle au couteau, avant de le vider de son sang. Alors que les meurtres des apparatchiks se succèdent dans des contextes plutôt surnaturels, Nikita Kroutchev, 1er secrétaire du parti, ordonne de mettre le holà à ces attentats qui semblent être menés par celui que l’on surnomme le «Raspoutine du Kremlin». Expérimentations génétiques, services plus que secrets, savants fous et attaques démoniaques sont au centre de ce passionnant thriller, plutôt gore, où se mêlent joyeusement quelques propos fantastiques et s’apparentant même nettement à la science-fiction. Cette tendance de genre et les dialogues particulièrement savoureux écrits par l’historienne diplômée qu’est Valérie Mangin permettent d’aborder l’étude scientifique et historique de nos sociétés occidentales, d’une façon pour le moins originale. Le tout est minutieusement illustré par un trait réaliste de bon aloi (entre ligne claire et manga) où le Breton Malo Kerfriden fait preuve d’une grande maîtrise graphique, en net progrès par rapport à son précédent «Quaterback». Le lancement de «KGB», une série pour le moins réussie, est de bon augure pour le label Quadrant solaire, fondé par la talentueuse scénariste et par son compagnon Denis Bajram («Universal War One»). Voilà un département des éditions Soleil qui marie habilement le goût de l’aventure à la réflexion et la BD grand spectacle aux références culturelles !
“ Guerres civiles T.2 ” par Christophe Gaultier, Jean-David Morvan et Sylvain Ricard
Editions Futuropolis (4,90 Euros)
Toujours dans l’intéressante collection «32» des éditions Futuropolis, il convient de signaler une série (prévue en 9 tomes) pour le moins surprenante, puisqu’elle met en scène les auteurs eux-mêmes, dans une France qui a sombré dans la guerre civile régionaliste ! Et le fait que les auteurs soient les principaux protagonistes rend le récit tout à fait crédible et troublant à la fois… Ce deuxième tome (beaucoup moins contemplatif que le premier) confirme vraiment l’intérêt de cette BD assez scotchante. Nous y retrouvons Jean-David Morvan et sa compagne, qui ont quitté Reims en prenant quelques risques et qui tentent de déposer un éditeur japonais à son ambassade parisienne, afin que ce dernier puisse quitter le pays ensanglanté. Ils passent d’abord voir leur copain Sylvain Ricard qui s’apprête à rejoindre le dessinateur Christophe Gaultier dans le sud, mais qui accepte de les aider. Hélas, les barrages militaires et l’insécurité ambiante compliquent sérieusement leur tâche ! Nous sommes donc, cette fois-ci, dans le vif du sujet et le duo Morvan/Ricard fonctionne parfaitement : les deux co-scénaristes s’en donnent à cœur joie, en faisant monter l’angoisse pages après pages. Quant aux dessins crayonnés de Christophe Gaultier (remarquablement mis en couleurs par Marie-O. Galopin), ils collent très bien à la noirceur du récit et, contrairement à ce que l’on aurait pu craindre, le fait qu’ils soient publiés en grand format ne leur nuit en aucun cas.
“ Lou ! T.3 : Le cimetière des autobus ” par Julien Neel
Editions Glénat (9,40 Euros)
«Lou !» est une série qui se positionne indéniablement parmi les rares BD qui ont tout pour plaire, autant aux enfants qu’aux parents ! Dans les 2 premiers albums, à travers des histoires courtes et humoristiques d’une planche, Julien Neel nous a dressé le portrait d’une famille décomposée, où la petite fille est obligée de jouer à l’adulte face à une mère qui conserve des attitudes d’adolescente. Grâce à un dessin très expressif et des couleurs chaleureuses, ce jeune auteur, sorti tout droit de l’animation des «webtoons», a mis en place un univers immédiatement cohérent et, d’ailleurs, le premier tome de la série a reçu le prix jeunesse 9/12 ans au Festival International d’Angoulême, en 2005 : choix judicieux, s’il en est ! Pour ce 3ème opus, nous avons droit à une histoire complète de 46 planches, où, tout en délicatesse, nous suivons les petits tracas d’une héroïne qui est en train de grandir, et, là encore, la magie opère ! La mère de Lou est amoureuse de Richard et c’est une affaire qui roule. En plus, son roman de science-fiction est enfin publié… Pourtant, pour notre petite Lou, l’ambiance de cette rentrée des classes est plutôt confuse. Des engins de chantier démolissent l’immeuble de Tristan, et la municipalité décide d’y stocker temporairement des autobus. Il y a aussi ses rapports avec Mina, son amie d’enfance : alors qu’elles ne sont plus dans la même classe, elles vont finir par se brouiller sans trop savoir pourquoi. Et puis, elle s’est trouvé une nouvelle copine, Marie-Emilie, voisine de classe qui a l’air cool, mais qui se la pète un peu tout de même. Et oui, ce n’est vraiment pas facile d’avoir 13 ans…
“ Ma voisine en maillot ” par Jimmy Beaulieu
Editions Mécanique générale/Les 400 coups (10 Euros)
Jimmy Beaulieu est une figure du récit intimiste en BD au Québec. Responsable de la petite maison d’édition Mécanique Générale et auteur parcimonieux, il lui arrive aussi de travailler sur des BD plus «grand public» en donnant, par exemple, un coup de main pour les dialogues du «Magasin général» de Tripp et Loisel. Dans «Ma voisine en maillot», album sorti depuis déjà plusieurs mois au Canada mais seulement disponible en France ces jours-ci, Jimmy nous raconte, dans sa langue colorée et chaleureuse, les émois amoureux de quelques jeunes Montréalais, lors d’une panne de courant survenue pendant un été caniculaire : un sympathique écrivain qui drague lamentablement sa voisine ou un couple lesbien surpris en plein cunnilingus, par exemple ! Même si l’auteur se défend de faire ici de l’autobiographie, cette oeuvrette fictive sent le vécu ! Malgré quelques expressions ou spécialités locales (difficile de comprendre l’humour de la page 23 si on n’a jamais goûté de sa vie à la «Poutine» !), les 54 pages de cette suite d’anecdotes assez oniriques séduisent immédiatement le lecteur : la légèreté du trait (qui fait un peu penser au graphisme de Davodeau) et la fluidité de la narration y faisant pour beaucoup ! On ne saurait donc que trop vous conseiller cette ballade optimiste dans Montréal dont le propos n’est absolument pas prétentieux mais, au contraire, rempli d’amour : les BD de Jimmy Beaulieu sont donc à des années lumières des appels à la haine de l’autre promulgués par certains de ses collègues éditeurs indépendants français.
“ El Niño T.5 : Le paria de Célèbes ” par Boro Pavlovic et Christian Perrissin
Editions Humanoïdes associés (12,90 Euros)
En mettant en scène les tribulations de Véra, infirmière à la Croix Rouge qui, à la mort de son père, apprend qu’elle a un frère jumeau devenu chef d’une bande de pirates, le talentueux scénariste Christian Perrissin a vraiment réussi son coup ! Il se place désormais comme l’un des meilleurs héritiers du roman d’aventure en BD, dans la tradition d’un Jean-Michel Charlier. Ce 5ème tome clôt le premier cycle avec une fin ouverte qui nous laisse présager d’une suite aussi passionnante. Ici, Véra aide les habitants d’un village thaïlandais reculé en promulguant quelques soins d’urgence mais va se faire entraîner dans une mission commando dans l’île des horreurs, afin de libérer de malheureuses jeunes femmes séquestrées : un scénario palpitant qui tient toutes ses promesses et qui est dessiné avec beaucoup de réalisme et de finesse. Parfait pour l’été !
Gilles RATIER