« Johan et Pirlouit »

Décidément, les intégrales Dupuis se succèdent avec bonheur, et celle consacrée à « Johan et Pirlouit » de l’immense Peyo, ne déroge pas à la règle !

En effet, le deuxième volume de l’intégrale « Johan et Pirlouit » (dont le personnage principal fut créé dans le quotidien bruxellois La Dernière Heure, en 1948, avant d’être ressuscité dans Le Soir, en 1951, pour être repris dans l’hebdomadaire Spirou, en 1952) vient de fleurir les rayons de nos librairies préférées, ne proposant pas moins de trois récits pré-publiés dans Spirou, entre 1955 et 1956, lesquels figurent parmi les meilleurs de la série : « La pierre de lune », « Le serment des Vikings » et « La source des dieux » ; ces petits chefs-d’Å“uvre sont complétés par quatre histoires complètes parues dans l’éphémère magazine Risque-Tout, par une nouvelle illustrée, et par un court conte de Noël (publiés dans Spirou, à la même époque).

Même si le nom de l’éditeur responsable (Patrick Pinchart) est écrit en plus gros sur l’arrière de la page de titre, c’est bien Alain De Kuyssche (un ancien rédacteur en chef de Spirou dont on peut retrouver, désormais, les souvenirs dans la nouvelle formule de l’hebdomadaire de Marcinelle) qui est le responsable du dossier de 16 pages qui précède ces indispensables rééditions. A noter que cette introduction, à l’un des plus beaux fleurons de la bande dessinée belge classique, est largement illustrée par des documents souvent rares et étonnants, tout comme cet article, d’ailleurs !

Malgré toutes ses qualités, cette belle intégrale Dupuis n’est cependant pas la première à présenter la totalité des aventures du sérieux page Johan (dont le brillant modèle à suivre est contrebalancé par la fantaisie débridée de son compagnon Pirlouit). Bien entendu, en premier lieu, treize albums de cette série moyenâgeuse, où naquirent les « Schtroumpfs », s’égrenèrent chez Dupuis, entre 1954 et 1970 ; mais il y eut aussi, en 1987, une très belle première intégrale (en quatre albums recouverts d’un somptueux faux cuir de couleur bleu) aux éditions Rombaldi. Chaque tome de ces fantaisies mises en scène avec le style graphique rond et sympathique de Peyo (lequel rendait remarquablement efficace la narration) était précédé de très intéressants avant-propos proposant, pour la première fois, de nombreux inédits (repris depuis, pour la plupart, dans l’intégrale Dupuis), et signés, en ce qui concerne les textes, par l’un de nos brillants exégètes et historiens : Thierry Groensteen.

Difficile, aujourd’hui, d’imaginer l’attrait que pouvait avoir ce spécialiste de la rhétorique « bédéesque » et ardent défenseur d’une bande dessinée plutôt élitiste envers le créateur des « Schtroumpfs », de « Benoît Brisefer », de « Poussy », ou de « Jacky et Célestin » (encore une madeleine de Proust que les éditions Dupuis seraient bien inspirées de rééditer) ! Et pourtant, Peyo était, et reste encore, l’un de ses auteurs préférés : comme quoi… Il faut dire que Thierry Groensteen, qui avait débuté (ne l’oublions pas) en interviewant Dupa, Dany, Vance, Craenhals ou Hermann pour le fanzine belge Buck, était déjà connu pour sa reprise en main des Cahiers de la bande dessinée, ainsi que pour son ouvrage sur Jacques Tardi (publié chez Magic-Strip, à l’initiative des frères Pasamonik avec lesquels il avait déjà travaillé à une préfiguration de ce qu’allait être sa version des Cahiers de la bande dessinée : Bédéscope magazine). Ce livre sur le créateur d’« Adèle Blanc-Sec » lui ouvrit les portes d’(A Suivre) et des éditions Glénat, lesquelles lui confièrent la réalisation de quelques numéros de leur célèbre prozine dont celui sur Peyo (le n°54 de 1983), alors que Jacques Glénat et ses amis de l’époque (Numa Sadoul, François Rivière, Gianni Brunoro…) lui avaient déjà consacré un copieux n°12, en 1971. Le travail accompli, livré clé en main, dû plaire à l’éditeur grenoblois, car ce dernier lui confia, peu de temps après, les rênes de sa revue emblématique : alors que les objectifs de Groensteen étaient pourtant assez éloignés de ceux de l’équipe en place (les Henri Filippini et consorts), laquelle était plus encline à défendre une certaine vision de la bande dessinée populaire.

Cependant, aujourd’hui, l’ouvrage le plus complet sur ce maître de la lisibilité en bandes dessinée qu’était Peyo est le livre que le journaliste Hugues Dayez a concocté aux éditions Niffle, en octobre 2003 : « Peyo l’enchanteur ». Sous une couverture inédite due aux Dupuy-Berberian (Présidents d’Angoulême 2009, rappelons-le), cette passionnante biographie apporte de nombreux éclairages inédits qui permettent une meilleure compréhension de l’Å“uvre universelle de Peyo. C’est aussi une mine d’informations sur cet homme, qui, au même titre que Jijé, Hergé, Franquin ou Greg contribua, en formant de jeunes auteurs (comme Lucien De Gieter, Derib, Gos, François Walthéry, Marc Wasterlain, Benn, Daniel Desorgher, Albert Blesteau, Bernard C. Swysen…), à la perpétuation d’un style toujours bien installé, aujourd’hui, dans le paysage de la bande dessinée mondiale.
C’est d’ailleurs grâce à ce fameux studio (dont la fonction première était de dessiner les gags des « Schtroumpfs ») que, vingt-quatre ans après leur dernière péripétie médiévale publiée dans Spirou et un peu plus d’un an après le décès de Peyo (soit en janvier 1994), « Johan et Pirlouit » allaient pouvoir revivre, le temps de quatre albums publiés, jusqu’en mai 2001, aux éditions du Lombard : épisodes qui ne feront certainement pas partie de cette belle intégrale prévue en quatre tomes chez Dupuis… Dommage, car ces récits (toujours disponibles au catalogue de l’ancien éditeur du journal Tintin) sont extrêmement fidèles au style Peyo, même si les dessins d’Alain Maury (encore un membre efficace du studio Peyo) et les co-scénarios signés de Thierry Culliford (le fils de Peyo, lui-même) et Yvan Delporte (remplacé, pour le tome 17, par Luc Parthoens) ont eu un peu de mal à retrouver tout ce qui faisait la magie du trait et la fluidité narrative du créateur de la série originale !

Pour l’anecdote, sachez qu’en 1999, Didier Convard (pour les textes) et André Juillard (aux dessins) s’amusèrent à faire vieillir « Johan et Pirlouit » (comme ils l’avaient fait précédemment avec « Les pieds nickelés », « Blake et Mortimer » et « Barbe Rouge »). Ceci dans un charmant petit livre illustré de la collection « Le dernier chapitre » des éditions Dargaud où, dans un Moyen-Âge où tout le monde avait pris un coup de vieux, nos deux héros, arrivés au crépuscule de leurs vies, ont eu du mal à goûter un repos bien mérité… : un superbe hommage, tout en humour délicat et en couleurs tendres, à cette série que tout véritable amateur du 9ème art se doit de posséder au complet !

Gilles RATIER, avec Laurent TURPIN aux manettes

Cet article était à peine fini d’être écrit que nous recevions l’album anniversaire fêtant les 50 ans d’aventures des « Schtroumpfs » : une redécouverte de ce qu’il s’est passé, il y a 51 ans, entre la fabrication de la célèbre « Flûte à six Schtroumpfs » et la rencontre, à distance, des célèbres petits lutins bleus et de « Johan et Pirlouit ». Edité par le Lombard, cet album hors-série intitulé « Les Schtroumpfeurs de flûte » contient divers textes d’Yvan Delporte et illustrations de Peyo (comme le « Schtroumpf sans effort par la méthode Linguaschtroumpf ») et une histoire de 28 planches réalisées par Luc Parthoens, Thierry Culliford (pour le scénario) et Jeroen De Coninck (encore un des nombreux dessinateurs engagés au Studio Peyo, depuis 1991), lesquels ont remis en selle « Johan et Pirlouit » pour un dernier galop d’adieu, le temps de trois planches émouvantes : hommage sincère à la série et à son créateur !

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3 réponses à « Johan et Pirlouit »

  1. Anonyme dit :

    J’aurai juste aimé avoir la liste (si elle est connue) de tous les dessinateurs qui sont passés par l’atelier de Peyo de son vivant comme Walthéry ou Wasterlain.

    PY

    • Anonyme dit :

      A la liste que je donne dans le corps de cet article (c’est à dire Lucien De Gieter, Derib, Gos, François Walthéry, Marc Wasterlain, Benn, Daniel Desorgher, Albert Blesteau, Bernard C. Swysen…), il faut rajouter Will qui l’a surtout aidé sur « Jacky et Célestin » et sur les premiers « Benoît Brisefer » au temps où le studio n’était pas encore constitué, puis Francis, Marcel Denis, Jo-Ël Azara et Roger Leloup qui lui serviront d’assistants éphémères avant (ou en même temps) que les arrivées de Walthéry,de Gos, de Derib, de De Gieter, de Wasterlain et de Benn ; ensuite, alors que sa santé commence à décliner, Peyo accueille Desorgher et Blesteau, puis Frédéric Jannin. Il faut citer aussi quelques artisans de l’ombre comme Jean-Luc Van de Walle, José Grandmont ou Philippe Delzenne qui ont dessiné des centaines de Schtroumpfs pour les commandes publicitaires. Vinrent ensuite Alain Maury, Bernard C. Swysen et Luc Parthoens : les derniers embauchés avant le décès de Peyo le 24 décembre 1992. Mais j’ai pu en oublier !!! Hugues Dayez pourrait peut-être nous en dire plus !
      Amicalement
      Gilles Ratier

  2. dutrey jacques (j'idée) dit :

    Indispensable aussi plus encore l’ouvrage « Morris, Franquin, Peyo et le dessin animé » de Philippe Capart et Erwin Dejasse paru en novembre 2005 aux éditions de l’an 2 (de notre ami Thierry Groensteen), ouvrage limpide et fondamental, intelligemment illustré, pour mieux comprendre ces trois géants de la bande dessinée.
    Il est également regrettable que le succès des Schtroumpfs aient tué Johan et Pirlouit.
    Il est aussi regrettable qu’on ne les ait pas laissé reposer en paix.

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