Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« La Petite amie de Minami » par Shungiku Uchida
Chiyomi a disparu sans que personne sache ni pourquoi ni comment. Pourtant, son petit ami ne semble pas si affecté que ça par cette rupture forcée. C’est tout simplement parce qu’il sait ce qui lui est arrivé : elle habite chez lui, ou plutôt dans une maison de poupée à côté de son lit…
« La Petite amie de Minami » est un récit absurde ou une jeune fille ne se retrouve pas plus haute que trois pommes, du jour au lendemain. Cette partie de l’histoire n’est pas montrée : le lecteur débarque directement dans la vie de ce couple improbable. Dès les premières pages en couleur, Minami nous explique avec de nombreux détails comment il doit fabriquer des habits pour sa fiancée. Petit à petit, l’auteur(e), Shungiku Uchida, dévoile les joies et les peines de Chiyomi, ses envies et ses petits plaisirs, sa passion pour les vêtements et ses démêlés avec le chat. Être toute petite pose beaucoup de problèmes dans la vie de tous les jours : impossible de se rendre aux toilettes seules, il faut que Minami lui donne un petit gobelet pour faire ses besoins, il n’existe pas de brosse à dents fonctionnelle à la bonne taille, tout comme la plupart des objets de la vie courante. Cela a aussi des avantages, Chiyomi se contente de peu de nourriture et est facilement transportable dans la poche de Minami qui peut ainsi l’emmener avec lui à l’école, ou tout autre lieu, de manière assez discrète.
Le souci, c’est que ce jeune couple à la libido qui commence à se développer, et même si Chiyomi est aussi grande qu’une Barbie, son corps est celui d’une belle jeune fille bien en forme. Cela ne manque pas d’exciter son fiancé… Mais, de son coté, lorsqu’il exhibe ses parties intimes, cela paraît démesuré pour la petite Choyomi. Donc, pas question d’avoir des relations sexuelles ! Comme cela devient physiquement impossible, du coup, Minami est facilement tenté par les avances d’une de ses camarades de classe.
Avec cette Å“uvre, Shungiku Uchida ne donne pas de réponses à toutes les questions existentielles ou purement matérielles que le lecteur est en droit de se poser. Le récit suit son rythme et avance lentement vers sa conclusion tragique, sans jamais expliquer pourquoi une jeune fille s’est vue rapetisser du jour au lendemain. L’intérêt de cette histoire ne se trouve pas là . Aucune explication pseudo scientifique ne conviendrait, ce sont les sentiments des personnages qui comptent et qui font la valeur de ce récit.
Toute la richesse de ce manga atypique se retrouve dans le scénario, le dessin étant pour sa part extrêmement simple et dépouillé. Décors inexistants, traits linéaires réalisés au feutre calibré, anatomie et mouvements improbables… On est très proche du croquis de story-board, mais cela ne gêne pas la lecture, bien au contraire : le lecteur s’identifie plus facilement aux personnages et aux situations. Il est du coup extrêmement facile de se mettre à la place de l’un ou l’autre des protagonistes, de ressentir ce qu’ils endurent : les contraintes ou les souffrances que la vie leur impose. Tout est à la fois naïf et bon enfant. On est face à des sentiments d’adolescents qui ne sont plus des bébés, mais pas encore des adultes à part entière.
Comme pour la plupart des mangas de chez IMHO, on retrouve le format poche, mais sans jaquette complémentaire des mangas classiques. La couverture est imprimée avec des couleurs extrêmement vives : ici, un trait bleu pur sur fond de jaune quasiment fluo. Impossible que cela passe inaperçu dans un linéaire de nouveautés. Le côté naïf du dessin de Shungiku Uchida est bien mis en avant, notamment avec la petite illustration au dos représentant Chiyomi s’agrippant à une tasse aussi grande qu’elle. Rien que cette illustration résume assez bien le propos de cette histoire.
Avec « La Petite amie de Miyami », on est loin du manga commercial et plus proche du roman graphique chère à une élite qui se donne bonne conscience, avec ce terme pompeux, afin de simplement apprécier une bonne bande dessinée.
Gwenaël JACQUET
« La Petite amie de Minami » par Shungiku Uchida
Édition IMHO (9,90 €) - ISNB : 978-2-915517-67-5