Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 20 FEVRIER 2006
Entre légende, polar, humour, histoire et fantastique, voici nos 5 sélections BD de la semaine, aussi variées qu’intéressantes : “ Les contes du 7ème souffle T.4 : Shitate Ya ” par Hugues Micol et Eric Adam aux éditions Vents d’Ouest, “ Le sceau de l’ange T.1 ” par André Le Bras et Patrick Cothias aux éditions Bamboo, “ Lincoln T.4 : Châtiment corporel ” par Jérôme et Olivier Jouvray aux éditions Paquet, “ Abdallahi T.1 : Dans l’intimité des terres ” par Jean-Denis Pendanx et Christophe Dabitch aux éditions Futuropolis et “ Shandy T.2 : Le dragon d’Austerlitz ” par Dominique Bertail et Matz aux éditions Delcourt.
“ Les contes du 7ème souffle T.4 : Shitate Ya ” par Hugues Micol et Eric Adam
Editions Vents d’Ouest (13 Euros)
Ici se termine le premier cycle de cette BD, inspirée par les contes traditionnels, publiée dans la belle et toute en couleurs collection «Equinoxe». Un jeune samouraï est provoqué en combat par sept autres guerriers nippons. Pendant qu’il pourfend vaillamment ses ennemis, un talentueux tailleur abat sept mouches d’un coup ! Fier de son exploit, il coud l’inscription «Sept d’un Coup», sur sa ceinture. Sortant de son atelier, il découvre avec surprise sept cadavres. Ces quiproquos et histoires d’amour, parsemés dans ce récit captivant, permettent au graphisme d’Hugues Micol d’exploser une fois de plus, prouvant l’originalité et la puissance créative de ce dessinateur au trait hors normes. Ce dernier s’éloigne aussi, de plus en plus, de ses premières influences «nouvelle BD» pour se rapprocher du classicisme des estampes nippones. Enfin, soutenu par le souffle épique du scénario d’Eric Adam, il s’offre des possibilités d’exploration dans la difformité des personnages ou dans le calme relatif des paysages pendant des combats très chorégraphiés. La technique éprouvée du scénariste, qui a dû visionner de nombreux films de Kurosawa, n’est d’ailleurs jamais prise en défaut. C’est cette efficacité narrative et la sensibilité propre d’Eric Adam qui lui ont permis de devenir, aujourd’hui, l’un des maillons indispensables de la chaîne éditoriale des éditions Vents d’Ouest, participant ainsi à la reconstruction d’un catalogue de plus en plus remarquable.
“ Le sceau de l’ange T.1 ” par André Le Bras et Patrick Cothias
Editions Bamboo (12,90 Euros)
Patrick Cothias avait disparu de la scène BD après avoir vu ses divers scénarios refusés par son éditeur privilégié (Glénat). Après la reconversion de l’un de ses projets épiques en roman («Monsieur Nemo et l’éternité» avec Jean-Marc Ligny chez Fleuve Noir), le revoici avec une nouvelle série à la limite du fantastique et qui devait certainement, à l’origine, faire partie d’un plus vaste projet puisque l’un des manipulateurs de l’histoire n’est autre que Nemo. Hormis quelques passages érotiques pas vraiment nécessaires et peu convaincants, il faut bien reconnaître que Cothias n’a rien perdu de son savoir faire narratif et imaginatif : surtout dans la mise en scène. Même le trait un peu raide d’André Le Bras (c’est son premier album et il devrait s’améliorer car il a du potentiel) ne gène pas la lecture de cet excellent thriller où nous suivons les déboires de Valentin Petitbond, piètre vedette de l’illusionnisme et ancien joueur professionnel. Pourtant, ce sont justement ces capacités en escroqueries qui intéressent une compagnie d’assurances et un certain Ykos, un étrange personnage qui ne vit que la nuit, à l’abri de larges lunettes de soleil. Cet homme très mystérieux a apparemment une chance extravagante dans tous les jeux de hasard…
“ Lincoln T.4 : Châtiment corporel ” par Jérôme et Olivier Jouvray
Editions Paquet (11 Euros)
Les frères Jouvray (et leur sœur coloriste) se sont fait rapidement connaître avec ce western humoristique existentiel, au rythme soutenu, mettant en scène un personnage râleur, égoïste patenté et soûlard notoire. Ce cow-boy est immortel, mais Dieu et Diable le suivent à la trace. Dans ce 4e tome, on le retrouve bedonnant et ripou, à New York, où il a pris les fonctions de lieutenant de police : mais Dieu veille et le fait condamner à deux cents ans de travaux forcés. Forcément, tout ce manège fait partie d’un plan élaboré par le vieux barbu. Avec ces personnages malins et accrocheurs, Olivier Jouvray se défoule, usant et abusant, d’un agréable second degré qui se termine, à tous les coups, pour le lecteur, par un grand éclat de rire. Quand au style graphique nerveux développé par Jérôme, il participe aussi à l’ambiance humoristique, multipliant les mouvements dans les cases grâce à un découpage qui n’est pas sans rappeler celui des techniques du cinéma d’animation. Un must !
“ Abdallahi T.1 : Dans l’intimité des terres ” par Jean-Denis Pendanx et Christophe Dabitch
Editions Futuropolis (15 Euros)
Jean-Denis Pendanx connaît bien l’Afrique (comme en témoigne sa série «Les Corruptibles» avec Alain Brezault chez Glénat ou son «Carnet de voyage : Bamako-Cotonou» aux éditions Charrette). L’histoire de René Caillié, explorateur solitaire qui fut le premier Européen à entrer dans Tombouctou, ville interdite aux Blancs, et à en être ressorti vivant, lui permet de rendre hommage, de nouveau, au continent noir, multipliant les planches chaudes, lumineuses et magnifiquement colorisées. René Caillié qui est devenu Abdallahi, le serviteur de Dieu, a parcouru 4500km à pied, pendant deux ans, du Sénégal au Maroc. Le parcours de ce Charentais, qui se convertit à l’islam en abandonnant ses oripeaux et ses certitudes, fascinait, depuis sa tendre enfance, ce dessinateur bordelais : c’est lors d’un voyage au Burkina-Faso qu’il aborde enfin le sujet avec le journaliste Christophe Dabitch. Ils ont ainsi imaginé une fraternité, basée sur le mensonge, entre ce personnage gigogne et son guide autochtone Arafanba. Les auteurs de cette très belle BD se sont complètement retrouvés dans le regard que porte sur l’Afrique cet homme né en 1800, et qui mourut à l’âge de 39 ans. S’inspirant, bien sûr, du journal de ce dernier pour faire revivre cette Afrique encore vierge du choc des civilisations, Jean-Denis Pendanx et Christophe Dabitch se font l’écho du passé tout en nous suggérant quelques questions sur aujourd’hui…
“ Shandy T.2 : Le dragon d’Austerlitz ” par Dominique Bertail et Matz
Editions Delcourt (12,90 Euros)
Avec quelques séries particulièrement réussies comme le polar «Le tueur», la BD de SF «Cyclopes» (avec Jacamon, chez Casterman), des «one-shot» avec Chauzy ou cette épopée historique, Matz, normand ayant grandi sous le soleil de la Martinique, fait partie de ces scénaristes qui commencent à se faire un nom dans le monde du 9ème art. Ici, il rend hommage aux grands auteurs de la littérature romantique gothique, allemande et anglaise, de la fin du XVIIIème et du début du XIXème siècle (de Kleist à Radcliffe, en passant par Walpole, Dumas ou Goethe). Quand au dessinateur Dominique Bertail, il s’inspire des peintres de l’époque (comme Friedrich) : son graphisme hyperréaliste frappe d’ailleurs le lecteur d’entrée, lui en mettant plein la vue ! Son dessin est un soutien indispensable à la lisibilité de ce scénario très efficace où complots politico-historiques de l’époque Napoléonienne se mêlent à une quête initiatique : Shandy est un jeune anglais parcourant la France en quête d’aventure et qui entend parler d’un trésor enfoui dans un château gardé par un fantôme. Dévoilant la supercherie surnaturelle, il tombe sous le charme d’une fort belle et dangereuse apparition qu’il devra affronter. Éprouvé par la mort de cette traîtresse, Shandy s’engage quand même aux côtés de l’Empereur. Cependant, l’aide de camp de ce dernier, une vieille connaissance, s’empresse de démasquer Shandy, alors que la Grande Armée fait route vers l’Est…
Gilles RATIER