Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 6 FEVRIER 2006
Comme toutes les semaines, voici notre sélection de 5 albums : “ Erminio le Milanais ” par Erwann Surcouf, Amandine Laprun et Joseph Béhé aux éditions Vents d’Ouest, “ Lucie T.3 : Tout conte fait ” par Catel et Véronique Grisseaux aux éditions Casterman, “ Le photographe T.3 ” par Emmanuel Guibert ou “ Une aventure de Spirou et Fantasio T.1 : Les géants pétrifiés ” par Yoann et Fabien Vehlmann aux éditions Dupuis et “ Révélations T.1 ” par Humberto Ramos et Paul Jenkins aux éditions Soleil.
“ Erminio le Milanais ” par Erwann Surcouf, Amandine Laprun et Joseph Béhé
Editions Vents d’Ouest (17,99 Euros)
Un jeune instituteur Milanais est affecté à l’école d’un petit village montagneux de la Sicile profonde, dans les années 1960. C’est lui-même qui en a fait la demande car il est attiré par cette terre d’où est originaire son meilleur ami ; mais ses idées pédagogiques modernes, le fait qu’il soit athée, et surtout qu’il soit un «étranger», lui occasionne l’hostilité des villageois, lesquels sont sous l’emprise d’un maire tyrannique et d’un curé obscurantiste. Pourtant, Erminio, notre instituteur aujourd’hui à la retraite, se remémore ses années passées, entre tendresse et horreur, auprès de ceux qui sont devenus les siens. Par petites touches, Joseph Béhé, le dessinateur du «Légataire» (devenu, ici, scénariste) et son amie Amandine Laprun, dont c’est la première BD publiée (elle sort tout droit sortie des Arts Décos de Strasbourg), déploient un récit à tiroir, dense, complexe et émouvant, axé sur les difficultés de l’intégration. L’un des autres atouts de cette histoire poignante et intelligente, c’est la narration ponctuée par des petites phrases de liaison entre chaque chapitre. Quant au dessin tendance «nouvelle BD» du jeune Erwann Surcouf, s’il est encore perfectible (normal, c’est aussi, pour lui, un premier album), il contribue à l’ambiance lourde et noire de ce parcours, entre épanouissement et enfermement, au beau milieu d’habitants tiraillés entre désirs et obligations. Voici exactement le genre de BD qui correspond à l’idée que l’on peut se faire d’une excellente bande dessinée d’auteur, mais qui reste accessible à tous les publics !
“ Lucie T.3 : Tout conte fait ” par Catel et Véronique Grisseaux
Editions Casterman (9,80 Euros)
Lucie est une jeune femme d’aujourd’hui dont les auteurs (également représentants de la gente féminine) nous racontent les péripéties sentimentales, familiales et professionnelles : toujours avec drôlerie et pudeur. Dans ce 3ème tome (le 4ème en fait, car un prologue de la série avait été conçu et publié dans la collection «Tohu Bohu» des Humanos), notre héroïne est divorcée et vit une nouvelle histoire d’amour avec un Prince Charmant rencontré lors d’un séjour au Maroc : mais est-elle vraiment sûre d’avoir fait le bon choix ? Bien entendu, les hommes en prennent pour leur grade (seulement quand ils le méritent !) et les femmes se posent nombre de questions sur leur compagnon du moment ou sur leur pouvoir de séduction. Cette chronique sociale proche du sitcom, fort agréablement dialoguée, est mise en images par un efficace trait «ligne claire».
“ Le photographe T.3 ” par Emmanuel Guibert et Didier Lefèvre
Editions Dupuis (19 Euros)
Cette BD-témoignage qu’est «Le photographe» prend fin avec ce 3ème tome (toujours publié chez Dupuis), lequel est accompagné d’un DVD : un film de 40 mn tourné au cours de la mission MSF de 1986 en Afghanistan, en plein conflit entre les Moudjahidin et les Soviétiques… Après 3 mois passés avec les membres de cette expédition, le photographe Didier Lefèvre décide de rentrer en France, malgré l’opposition de l’équipe. Seul, sans parler la langue, cette longue marche, à travers les montagnes, va devenir un véritable chemin de croix qui le marquera à jamais. En effet, cette fois-ci, le reporter-photographe va frôler la mort. Ce livre aux textes poignants et aux dessins toujours aussi épurés (car allant à l’essentiel) d’Emmanuel Guibert met en valeur de nombreuses photos en noir et blanc : et les deux formes d’art se complètent alors à merveille. Cependant la vision de ce pays, qu’il propose ici, vient contrebalancer celle, un peu partiale, des 2 premiers opus où ces gens exceptionnels, que sont les médecins de MSF, criaient leur amour pour ce pays : remarquable !
“ Une aventure de Spirou et Fantasio T.1 : Les géants pétrifiés ” par Yoann et Fabien Vehlmann
Editions Dupuis (13 Euros)
Certes, le duo Munuera-Morvan poursuit la reprise et le relookage des vénérables «Spirou et Fantasio» ; cependant, la nouvelle direction des éditions Dupuis a décidé de multiplier les «one-shot» de ces personnages emblématiques en laissant une réelle liberté de création (tout en demandant de respecter certaines règles générales pour ne pas trop dérouter les lecteurs) à différents auteurs. Avant Yann et Tarrin ou Frank Le Gall, c’est le dessinateur de «Toto l’ornithorynque» et le scénariste de «Seuls» ou du «Marquis d’Ananon» qui ouvrent le bal avec un album plutôt convainquant : «Les géants pétrifiés». Nos héros travaillent pour un archéologue, à qui le comte de Champignac a prêté un sous-marin, et découvrent, en pleine Méditerranée, une statue gigantesque semblant appartenir à une civilisation totalement inconnue jusqu’à ce jour. Le dessinateur Yoann s’y amuse comme un petit fou et, même si son style généreux et emporté est assez éloigné des poncifs de la série originelle, il est totalement dans l’esprit «Spirou», même quand il y apporte sa touche personnelle. Quant à Fabien Vehlmann, nous l’avons déjà dit, ce scénariste original prend de l’assurance et truffe son histoire de situations ou de dialogues hilarants : bravo !
“ Révélations T.1 ” par Humberto Ramos et Paul Jenkins
Editions Soleil (12,90 Euros)
Amateur d’histoires de complot, de jolies filles et de cigarettes, Charlie Northern, sous ses airs désabusés, est l’un des meilleurs détectives de Scotland Yard. La venue impromptue d’un de ses amis, un jeune cardinal, va bouleverser sa vie ! Ce dernier lui annonce le mystérieux suicide d’un haut dignitaire du Vatican, successeur présumé du Pape, retrouvé empalé sur des grilles du Vatican. Dans la veine du «Da Vinci Code», ce thriller ésotérique nous démontre que l’on peut prendre des histoires maintes fois exploitées («Le triangle secret», «Le messager» et l’ensemble de la collection «Loge noire»), dans des formes diverses (ici c’est un comics mais cela pourrait être aussi un manga), et réussir à surprendre le lecteur. Le scénariste (bien connu pour ses «Hellblazer» et autres «Witchblade») a su employer un rythme et une narration efficace, laquelle ne se prive pas de bons mots, et le dessinateur (il a repris récemment la destinée graphique de «Spider-Man») brille par la lisibilité de son style universel entre mangas, comics et franco-belge. Le tout est enluminé par une palette de couleurs fort bien choisies due au coloriste mexicain Leonardo Olea : une réussite !
Gilles RATIER