« Atsuko » par Cosey

« Jonathan » : depuis le goéland (de Richard Bach) jusqu’au héros de Cosey, ce mot respire à pleins poumons l’air du large et l’air d’ailleurs, asiatique et himalayen tant qu’à faire, loin devant et haut vers les cimes. Jonathan, donc, est de retour, ce qui veut dire qu’il est reparti et qu’on le retrouve parce qu’il n’est plus là ! Normal, bloqué par une panne de bus, il déambule presque en touriste dans une vieille colonie britannique, un petit coin de Birmanie, officiellement nommé Myanmar sans que cette étiquette n’arrive à décoller l’ancienne…

Jonathan le discret, le silencieux, le contemplatif, loge même à l’hôtel, dans une chambre soudainement et curieusement convoitée par une guide japonaise. Que cherche-t-elle ? Jonathan est intrigué mais la réponse est simple. En apparence, en apparence, seulement ! Atsuko est en effet venue photographier ce lieu où sa mère est née 50 ans plus tôt, en un temps où les Japonais occupaient le pays. Atsuko enquête, fascinée par le destin de sa grand-tante Hisa (une cousine de son grand-père militaire), mystérieusement disparue la veille de son mariage et dont on aurait trouvé le corps après un tremblement de terre, en 1949. Jonathan n’aurait pas cherché à revoir cette jeune femme si on ne lui avait remis, pour elle, une enveloppe contenant des cheveux ! Le voilà donc au Japon prenant le train pour Takayama au nord de Nagoya. C’est l’hiver, la neige recouvre lourdement la montagne. On se croirait revenu sur les pentes valaisannes d’ « À la recherche de Peter Pan ». Mais il y a les toriis, les ponts de bois aux rambardes japonisantes, les branches noires dénudées qu’on croirait sorties d’estampes et le regard bridé d’Atsuko. Réunis tous deux dans une maison perdue dans la forêt – une réplique d’un petit temple de Kyoto, tout de même – ils vont écouter les renards, surprendre le grincement des planchers, fouiller les mémoires et reconstruire un passé douloureux, secret de famille oblige.

Comme à l’habitude, Cosey ne nous déçoit pas. Son trait a beau simplifier la crête des sommets, schématiser les feuillages, esquisser les visages aux lèvres entrouvertes, il y a chez lui une rondeur des échanges, une délicatesse des sentiments, une sinuosité des destins qui force l’admiration et l’empathie, si bien qu’arrivé au bout du récit on se reprend à revenir sur ses pas, sur ses pages, à refaire le chemin inverse, navré de devoir abandonner l’aventure. C’est la force des grandes histoires que de piéger son lecteur, de le retenir et, en même temps, de lui faire regretter de devoir la quitter, de le pousser à l’inquiétude d’avoir probablement laissé passer quelque chose, d’autant que le rythme lent des conversations ou la beauté des cases silencieuses, bercé par des haïkus sentencieux ou énigmatiques, laisseront croire à certains que ce qui est lent est mou. C’était d’ailleurs plutôt le cas dans l’épisode précédent, «  Elle (ou dix mille lucioles) ». Jonathan séjournait déjà  en Birmanie et le grand arpenteur de l’Asie s’initiant alors à ce nouveau pays, posé au bord d’un lac entre pirogues et maisons lacustres, méditait en un récit intimiste effectivement plutôt immobile.

Comme dit Jonathan, quelque part dans ces planches (celles de la vieille maison familiale, évidemment !) : « Crois-tu que connaître l’histoire de quelqu’un, c’est le connaître ? ». C’est sûrement un peu l’approcher, en tout cas, comme le permet  « L’Autobiographie imaginaire » que l’éditeur propose parallèlement à la sortie de l’album. L’ouvrage réunit les préfaces des cinq tomes de « Jonathan intégrale » (qui ne l’est plus, intégrale, du coup, depuis ce quinzième titre des aventures !), autant dire un ensemble richement illustré et passionnant. Deux expositions honorent par ailleurs l’auteur suisse en ce moment : l’une à Bruxelles, Galerie Champaka – du 4 au 20 novembre (www.galeriechampaka.com), l’autre à Paris, Galerie Daniel Maghen – du 2 au 12 novembre (http://www.danielmaghen.com/fr/exposition-cosey_e61.htm), laquelle a publié en 2007,  « Écho », une promenade de 232 pages de pur bonheur visuel (http://www.danielmaghen.com/fr/echo_l8.htm).

Alors, bons voyages !

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook.

«  Atsuko », par Cosey,

Éditions Le Lombard (15, 95 €) – ISBN : 978-2-8036-3003-5

«  Une autobiographie imaginaire en BD  » par Cosey

Éditions Le Lombard  (15, 95 €) – ISBN : 978-2-8036-3004-2

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