Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...PLUS DE LECTURES DU 28 MARS 2005
Aujourd’hui, la variété et la qualité est telle en BD que le lecteur n’a que l’embarras du choix. Notre rubrique pluraliste et hebdomadaire est là pour vous aider à vous y retrouver dans cette production pléthorique. Cette semaine nous vous conseillons vivement : “ Mister Blueberry T.28 : Dust ” par Jean Giraud aux éditions Dargaud, “ Black Hole T.6 : Bleu profond ” par Charles Burns aux éditions Delcourt, “ Koma T.3 : Comme dans les westerns ” par Frederik Peeters et Pierre Wazem aux éditions Humanoïdes associés, “ Terre de rêves ” par Jirô Taniguchi aux éditions Casterman et “ Elixirs T.1 : Le sortilege de Loxullio ” par Alberto Varanda et Christophe Arleston aux éditions Soleil.
“ Mister Blueberry T.28 : Dust ” par Jean Giraud
Editions Dargaud (11 Euros)
Certes, ce genre de série mythique n’a peut-être plus besoin d’être encensé ! Cependant, cet ultime album du cycle «OK Corral» est encore exceptionnel et il mérite vraiment d’être mis en avant dans nos colonnes… Même s’il avoue qu’il n’a jamais autant souffert qu’en dessinant «Blueberry» ; aujourd’hui, le virtuose et intransigeant Jean Giraud a réussi l’exploit de se réapproprier complètement la série sans trahir le style feuilletoniste d’origine. Après le décès du regretté Jean-Michel Charlier, immense scénariste qui fut le créateur de ce western légendaire, la barre était placée très haut ! Avec «Dust», nous allons assister à la résurrection de notre héros, ex-lieutenant et joueur de poker invétéré, qui s’est retrouvé cloué au lit, par intermittence, depuis quatre albums. Le célèbre duel d’OK Corral (entre les frères Earp, les défenseurs de l’ordre, et quatre malfrats du clan Clanton manipulés par un banquier véreux), est sur le point de commencer alors, qu’au même moment, un tueur psychopathe s’apprête à égorger Doree Malone, la superbe chanteuse vedette du Dunhill. 72 pages auront été nécessaires à Jean Giraud pour que son trait génial se lâche tout en restant totalement maîtrisé, composant ainsi une superbe chorégraphie graphique inspirée par la technique des films asiatiques et des mangas. Le dénouement de cette tragédie complexe nous démontre, une fois de plus, qu’en matière de western, «Blueberry» est la référence absolue !
“ Black Hole T.6 : Bleu profond ” par Charles Burns
Editions Delcourt (7,50 Euros)
L’américain Charles Burns met ici un point final à sa série la plus aboutie, laquelle nous narre, depuis 1998, la vie quotidienne d’adolescents dans un trou perdu des States. C’est donc en pleine cambrousse ricaine qu’une maladie étrange, horrible et sexuellement transmissible fait irruption. Plus ou moins contaminés, certains ados «très comme il faut» voient apparaître, sous leur peau lisse, des monstruosités qui sommeillent et attendent leur heure. Métaphore du passage à l’âge adulte oscillant entre le récit autobiographique et l’histoire d’horreur, cette BD originale, évoluant dans une Amérique de cauchemar que ne renierait pas un William Burroughs, nous fascine tout en nous mettant un peu mal à l’aise. Le dessin noir et puissant de cet auteur innovant (qui a travaillé pour Art Spiegelman et qui a influencé, chez nous, des graphistes comme Mezzo ou Michel Constant), y est pour beaucoup ; mais sa narration poétique est aussi un atout déterminant pour le succès critique de cet étonnant roman graphique que l’éditeur français serait bien inspiré de nous proposer, prochainement, en intégrale.
“ Koma T.3 : Comme dans les westerns ” par Frederik Peeters et Pierre Wazem
Editions Humanoïdes associés (10 Euros)
Voilà une série qui confirme les qualités entrevues dans les deux premier opus : une originalité graphique et narrative qui sait se mettre à la portée du grand public. Entre la comptine enfantine et le fantastique merveilleux saupoudré de mangas, cette BD nous rappelle un peu les films de Myazaki car comme eux, elle explore un monde qui semble irréaliste mais qui est pourtant très proche du notre. Sujette à de brutales pertes de conscience, la petite Addidas aide son père à réparer les cheminées de la ville polluée, tout en essayant de retrouver la trace de sa mère. Coincée dans un des conduits à ramoner, notre héroïne va rencontrer un monstre impressionnant, tout aussi effrayé qu’elle. Pour réussir à retrouver son père et le chemin de la sortie, la petite «ramoneuse» va devoir faire preuve d’imagination pour échapper aux habitants de ce monde étrange. Cette recherche d’identité dans un univers oppressant et inventif est aussi une réflexion sur le destin, la solitude et la mort… : un très beau conte teinté de tendresse et de poésie.
“ Terre de rêves ” par Jirô Taniguchi
Editions Casterman (12,75 Euros)
Avec ce nouveau recueil de nouvelles initialement parues au Japon entre 1991 et 1992, Jirô Taniguchi confirme son statut d’auteur tout public : c’est en effet grâce à lui (et à quelques autres comme Tezuka ou Urasawa) que la BD japonaise a pu pénétrer certaines couches d’un lectorat jusqu’alors hermétique et réfractaire au manga. Si l’on retrouve sa touche intimiste et nostalgique dans les premiers récits de «Terre de rêves» (lesquels forment un tout), la cinquième et dernière histoire (qui est la plus longue) est un subtil mélange des deux penchants de l’œuvre de l’auteur : l’un étant fondé sur le quotidien («Quartier lointain» ou «L’homme qui marche»), l’autre sur l’action («Kaze No Shô» ou «Le sommet des dieux»). Si la première partie nous conte l’accompagnement, à tous les âges de la vie, d’animaux domestiques par un couple sans enfant (situation courante dans la société japonaise d’aujourd’hui), la seconde nous plonge dans la rudesse des montagnes himalayennes et là, c’est l’animal qui soutient l’homme le long d’une route semée d’embûches. Dans les deux cas, Taniguchi tente de nous faire partager ses réflexions sur la vieillesse et sur la mort ainsi que sa vision profonde de l’univers. En multipliant les expériences et en revisitant les registres classiques avec son touchant style graphique et narratif, le célèbre mangaka réussit, une fois de plus, à nous faire couler une larme au coin de l’œil !
“ Elixirs T.1 : Le sortilege de Loxullio ” par Alberto Varanda et Christophe Arleston
Editions Soleil (12,50 Euros)
Certes, c’est encore de l’heroic-fantasy à la sauce médiévale ! Mais attention, c’est signé Varanda et Arleston ce qui, n’en déplaise à certains, est un signe de qualité. D’ailleurs on ne peut rien reprocher à ce scénario rythmé et équilibré, lequel ne se prend jamais au sérieux : il rempli complètement son rôle en réussissant à nous distraire, sans arrière pensée. Et ce n’est pas parce qu’il a du succès qu’Arleston se moque de ses lecteurs ! Au contraire, tel un Van Hamme, il fait très bien son travail et nous propose d’excellents moments de détente afin que le lecteur parte, sans ambages, pour la grande aventure et pour la franche rigolade ! Bien entendu, le héros est jeune, intrépide et un brin fumiste, l’héroïne est belle et a un caractère bien trempé, l’animal de compagnie est mignon et rigolo, le méchant est… méchant, etc. Ce n’est peut être pas très original, mais ça marche ! Comme disait Charlier, l’important c’est la sauce qui accompagne le plat principal même si on mange la même chose tous les jours : et, manifestement, la sauce Arleston est bonne et bien relevée ! Quant au dessin fin et racé de Varanda, il se simplifie à bon escient pour devenir plus cartoonesque et servir au mieux cette histoire rocambolesque d’un étudiant en magie qui se retrouve emmêlé dans un imbroglio l’obligeant à devenir le chevalier servant d’une princesse acariâtre.
Gilles RATIER