PLUS DE LECTURES DU 7 MARS 2005

Voici encore cinq albums indispensables, parus tout récemment ! Tous bédéphiles dignes de ce nom doit les posséder dans sa bibliothèque : “ Les damnés de Nanterre ” par Chantal Montellier aux éditions Denoël Graphic, “ Les guerriers du silence T.1 : Point-Rouge” par Philippe Ogaki et Algésiras aux éditions Delcourt, “ Les imposteurs T.3 : Acte III ” par Christian Cailleaux aux éditions Casterman, “ Louis Ferchot T.7 : Le soldat inconnu ” par Didier Courtois et Frank Giroud aux éditions Casterman et la monographie “ Exem à tout vents ” par Ariel Herbez aux éditions Vertige Graphic.

 


Les damnés de Nanterre ” par Chantal Montellier


Editions Denoël Graphic (20 Euros)


La militante Chantal Montellier a souvent mis en scène un monde carcéral et déshumanisé, manifestant, par là, contre la marginalité et l’exclusion. En rouvrant, dix ans après, le dossier de la tragique virée de Florence Rey et d’Audry Maupin, qui, le 4 octobre 1994, fit cinq morts dont deux policiers, la dessinatrice délaisse la fiction pour une œuvre quasi-documentaire, suivant des pistes négligées en leur temps. L’auteur reste cependant fidèle à elle-même puisque, là encore, elle met en perspective les débordements d’un état policier qu’elle condamne depuis toujours, dénonçant violemment la banalisation de cette histoire sanglante par le gouvernement de l’époque. Chantal Montellier, elle, voit clairement, dans ce «fait divers», le prolongement d’actions politiques contestataires. Certes, le lecteur non syndiqué aura du mal à prendre au sérieux quelques outrances dans les propos et dans les comparaisons, mais l’ensemble pose de nombreuses questions importantes et est remarquablement composé. Le style réaliste, quasi-photographique, s’adapte d’ailleurs fort bien à ce manifeste, une nouvelle voie graphique et narrative que le 9ème art n’avait pas encore trop exploité. Signalons, par ailleurs, qu’outre cet album unique, vibrant de sincérité, Chantal Montellier vient d’illustrer, avec la même passion, un recommandable recueil de textes («TGV : conversations ferroviaires») aux éditions Les Impressions Nouvelles.


 


Les guerriers du silence T.1 : Point-Rouge” par Philippe Ogaki et Algésiras


Editions Delcourt (12,50 Euros)


Une race capable de lire dans les esprits découvre la puissance de la science d’une autre planète : elle permet de tuer par la seule force de la volonté. Alors qu’un complot religieux tente de renverser l’empereur de la galaxie, une jeune femme et un garçon pas très futés vont gripper l’infernale mécanique en marche, au péril de leur vie…Les spécialistes du romancier Pierre Bordage seront peut-être désarçonnés par cette adaptation en BD de sa célèbre trilogie (publiée à partir de 1993 chez L’Atalante), mais il faut bien avouer que le lecteur lambda y trouvera son compte, même s’il n’est pas spécialement amateur de science-fiction. Le dessinateur (qui vient de l’animation) y multiplie les cadrages différents et les décors spectaculaires : il colle ainsi au côté grand spectacle voulu par le scénario avec un graphisme adéquat, mis en valeur par l’efficace coloration de Servain, le dessinateur d’ «L’histoire de Siloë» et le compagnon de la scénariste. Cette dernière, également dessinatrice (voir sa série «Candélabres» chez Delcourt) sort parfaitement son épingle du jeu en mettant en BD ce cycle de SF dense et complexe : cette histoire a certaines accointances avec «Star Wars» et n’est pas si simple que ça à découper pour une efficace mise en images, vu le nombre impressionnant de protagonistes. En tous cas, à la vue des premiers résultats visibles dans cet opus, c’est réussi : espérons que les tomes suivants ne nous décevront pas !


 


Les imposteurs T.3 : Acte III ” par Christian Cailleaux


Editions Casterman (13,75 Euros)


Christian Cailleaux termine avec brio sa trilogie et s’impose comme un narrateur subtil et un graphiste élégant. Rappelons l’intrigue : un trompettiste peu doué, qui est aussi docker à l’occasion, est pris pour un célèbre écrivain, lors d’une soirée mondaine. Entraîné dans une nuit d’insouciances et d’excès, il assume tant bien que mal son imposture et n’aura de cesse de retrouver ce monde privilégié des nantis, s’efforçant de donner le change. Hélas, la pièce de théâtre tourne à la tragédie humaine et notre usurpateur, à bout de ressources matérielles, se retrouve à la dérive. Il retrouve cependant l’homme qui l’a poussé dans cette voie, mais ce dernier est lui-même un écrivain raté qui ne fait que mettre en pratique ses enseignements. Unissant leurs dernières forces, ils concoctent ensemble une ultime tromperie, même si le lecteur sait bien qu’il va bientôt falloir faire tomber les masques… Cette peinture perspicace et ambiguë d’un univers distant, blasé et où tout repose sur l’apparence et la dissimilation est une belle réussite : elle mériterait vraiment d’avoir un plus grand succès car, tout en ayant un propos ambitieux, elle est tout a fait accessible au grand public !


 


Louis Ferchot T.7 : Le soldat inconnu ” par Didier Courtois et Frank Giroud


Editions Glénat (8.99 Euros)


Après les expériences réussies du «Décalogue» et de la collection «Secrets», Frank Giroud a eu du mal à retourner aux intrigues classiques alimentant les quelques séries qu’il continuait à entretenir. C’est pour cela qu’en ce qui concerne cette jeunesse aventureuse de «Louis la Guigne», il a cherché une idée qui sort de l’ordinaire : on ne voit jamais le héros (ou celui qui a pris sa place…, car le lecteur est dans une totale incertitude) et le dessinateur doit interpréter les scènes en utilisant une caméra subjective qui se mettrait à la place des yeux du personnage principal, lequel reste invisible. Nous sommes en décembre 1914 et Louis Ferchot est bien rentré des colonies mais il a brusquement cessé de donner des nouvelles à sa mère. L’armée, débordée par plusieurs situations difficiles à gérer, est incapable de lui dire si son fils est mort ou vivant. Malgré les nombreuses difficultés et les interdictions faites aux civils, elle part à sa recherche alors qu’un homme, muni des papiers d’identité de notre soldat disparu, cherche du travail à Lyon, tout en évitant le moindre contact avec la police et l’administration. En traitant la guerre de 14 en montrant principalement la vie à l’arrière et en s’amusant avec sa trouvaille narrative, Frank Giroud réussit une nouvelle fois son coup et nous convainc, sans peine, à le suivre dans sa subtile démarche. Notons aussi que Didier Courtois se sort assez bien du challenge imposé par le scénario et qu’il arrive à se détacher, pour l’occasion, de son style un peu trop rigide. Bref, voilà une série qui fait comme le bon vin, elle se bonifie avec le temps !


 


Exem à tout vents ” par Ariel Herbez


Editions Vertige Graphic (12,50 Euros)


Si la BD moderne est née en Suisse (avec Rodolphe Töpffer, en 1837), il faut bien reconnaître que ce petit pays est assez avare en productions bédéesques. Ceci dit, quand un Suisse fait de la BD, on en entend parler ! Zep et son «Titeuf» en est le plus bel exemple, mais on pourrait aussi citer les noms de Derib, de Cosey, de Ceppi, de Marini, etc. Exem (pseudonyme d’Emmanuel Excoffier) est aussi l’un de ses artisans helvétiques du 9ème art et, s’il n’est pas aussi connu que ses confrères précédemment cités, il n’en est pas moins prolixe puisque cela fait plus de 20 ans qu’il est actif dans la production graphique. Son œuvre, truffée de références politiques, culturelles ou architecturales, en fait d’ailleurs l’un des dessinateurs les plus populaires de Genève. Enfin, ses pastiches sophistiqués et minutieux sont très recherchés par les connaisseurs puisque les minuscules albums de «Lanceval», sa parodie de «Tintin», se monnaye pas moins de 150 euros pièces. Du coup, Ariel Herbez, érudit journaliste au quotidien Le Temps, a eu la bonne idée de lui consacrer une très belle monographie («Exem à tout vents» aux éditions Vertige Graphic), laquelle fut précédée d’une importante exposition dans son pays. Dans cette très belle monographie, la carrière d’Exem y est examinée sous toutes les coutures et on peut y lire aussi la plupart de ses BD, sans pour autant se ruiner !


 


Gilles RATIER


 

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