« Scalped » T3, « Northlanders » T1, « B.P.R.D. » T9 et « Fathom » T4

Cette semaine,  » Comic Book Hebdo  » vous propose de revenir sur quatre albums récemment sortis où vous retrouverez l’univers de Vertigo chez Panini et la science-fiction chez Delcourt.

« Scalped » T3 (« Mères mortes »)

Avant le prochain volume qui devrait sortir à la rentrée, ne loupez pas ce troisième tome de « Scalped », assurément l’une des meilleures séries Vertigo du moment, « la meilleure série depuis des années » selon Garth Ennis. Plus les épisodes passent et plus cette œuvre gagne en substance et en qualité. Le premier volume était une volée de bois vert, une entrée en matière outrancière et explosive. Le deuxième plantait plus avant le décor et les protagonistes, installant différents éléments nécessaires à la compréhension de la tragédie en cours. Après beaucoup de violences et un rythme d’enfer mené par un langage foncièrement ordurier, ce troisième volume s’avère plus calme et intimiste, toujours aussi nerveux et intense mais s’attachant de plus en plus à la psychologie des personnages, s’attardant sur les failles de chacun tout en réaffirmant la cruauté de certains. Dash va devoir affronter la mort de manière très concrète, et ne s’en sortira pas aussi solide et fort qu’il ne le voudrait – ou voudrait bien le montrer. Il y a certes cette junky assassinée qui laisse derrière elle cinq enfants désemparés par ce drame soudain, mais aussi sa propre mère qu’on vient de retrouver dans le désert, tuée, scalpée et laissée à même le sol, baignant dans son sang. Dash dit qu’il s’en fout ; mais rien n’est moins vrai. Et les cinq orphelins qui croisent son chemin deviennent contre toute attente des êtres dont il n’arrive pas à se détourner totalement. La carapace qu’il s’est construite pourra-t-elle tenir face aux échos mortels qui l’assaillent de toutes parts ? Sans compter le F.B.I. qui continue de le manipuler sans même prendre la peine de s’en cacher, certain de tenir l’homme en tenailles.

Au fur et à mesure que le récit avance, Aaron instaure de plus en plus de sensibilité et d’humanité au sein de l’enfer. Avec un scénariste efficace, « Scalped » n’aurait pu être qu’un bon gros polar hardboiled pour mecs, un comic couillu allant vers la surenchère et le spectacle. Avec Aaron, « Scalped » est en train de devenir l’une des plus puissantes tragédies que les comics aient généré depuis longtemps, ne se perdant pas dans la violence gratuite ni les clichés du genre. Il érige là une œuvre vénéneuse, nécessaire, évoluant vers l’intelligence et la profondeur et non vers les mouvances trop à la mode où il fait bon voir du sang. Non, « Scalped » n’est pas une série hardcore de plus. C’est une tentative rare et belle d’extirper de la fange ce qu’il y a de plus lumineux et de désespéré en chacun de nous, œuvre aussi spécifique qu’universelle, sachant parler des Indiens d’aujourd’hui autant que du drame qui forge l’humanité malgré elle depuis ses origines. « Scalped » est une claque et un pensum que nous méritons toutes et tous. Maintenant, s’il vous plaît, si vous aimez la bande dessinée, soyez attentifs. Peut-être dira-t-on dans quelques années que je me suis trompé. Mais – au-delà de l’intérêt que je porte au scénario d’Aaron, ce qui m’a le plus motivé pour écrire cet article est le travail du dessinateur : Rajko Milosevic Gera, artiste mieux connu sous le nom de « R. M. Guéra ». J’aime cette nouvelle génération venue d’Europe de l’Est qui investit le monde des comics avec un talent qui doit faire frémir bien des culottes anglophones… Il y avait déjà les Croates Zezelj et Ribic, il faut maintenant compter avec le Serbe Guéra. Je ne vais pas vous en faire des tartines pour vous dire tout le bien que je pense de son art et le plaisir d’esthète fou que j’ai ressenti en lisant ce volume, mais sachez que Guéra dessine de mieux en mieux, qu’il accède là à un nouveau niveau de son dessin, en passe de devenir l’un des plus grands artistes des comics actuels. Je réitère aussi sec : avec ces épisodes, Guéra est en train de devenir un très grand. Ses noirs prennent une amplitude rarement atteinte. Son trait acquiert une volupté âpre fascinante. C’est sublime. Et les couleurs de Giulia Brusco rendent un vibrant hommage au style de l’artiste. Sur le fond comme sur la forme, « Scalped » devient une œuvre incontournable. À très juste titre. Vivement la suite, p….. de b….. de m…. !!!

« Northlanders » T1 (« Sven le revenant »)

L’auteur de « DMZ » nous entraîne au 10ème siècle après J.-C., une époque où des barbares de tous poils foulaient de leur pied conquérant des contrées qui n’étaient pas encore les leurs. Une période violente et encore archaïque, traversée par la croisée des religions et des ethnies, où le pouvoir du sang et la légitimité de la force sont loi. On annonçait un peplum violent où Brian Wood explorerait les méandres de l’histoire politique de l’époque sur un ton très contemporain. Et c’est vrai que les Vikings disent « merde » et consorts… mais la grande dichotomie mettant le contexte de l’époque en choc frontal avec les prérogatives de notre époque ne sont pas si explosifs que ça. Et c’est ici que la nuance doit prévaloir : ce n’est certainement pas parce que l’explosion escomptée n’a pas lieu que la chose est ratée, loin de là. Car – bon dieu de bon dieu – nous ne jurons pas que depuis un siècle ; les Abyssiniens juraient, les Néanderthaliens maugréaient, et j’arrête les exemples ici car au fond depuis que l’homme est homme, il a toujours dit « merde » du fond de son puits sous les étoiles. Non, l’intention universaliste d’analyser les fruits de la discorde ne viendra pas du choc de cette ancienne époque avec la nôtre, mais bien d’une approche on ne peut plus classique du sujet, lorgnant du côté de Shakespeare. Le thème du roi déchu devant retrouver la légitimité de son trône après avoir traversé les trahisons, les passions et les épreuves est bien un fondement de l’art de la tragédie, porté aux nues par les plus grands littérateurs de notre histoire.

Wood a établi une structure narrative digne des plus grands archétypes de la tragédie, mais pour autant je ne crierai pas au génie, par souci d’objectivité, même si j’adore Wood. C’est une bonne œuvre, pas un chef-d’œuvre, mais cela vaut tout de même le détour ! J’ai beaucoup apprécié ce « manque d’originalité » de Wood, justement, me délectant de lire une trame on ne peut plus classique où l’auteur insuffle tout de même une vrai excitation au sein de l’intrigue. Mais mon vrai coup de cœur sur cet album vient du dessin de Gianfelice et les sublimes couleurs de Dave McCaig. Davide Gianfelice nous offre un spectacle réaliste taillé à la serpe, excellant dans des paysages où terre, roches, eau et cieux se répondent dans un graphisme impeccable. Si le trait de l’artiste italien vaut le coup d’œil, il est littéralement transcendé par la mise en couleurs de McCaig qui réalise là un véritable bijou chromatique où les matières parachèvent le style, l’ouvrant à des ambiances aussi subtiles que puissantes. C’est tout simplement magnifique, du grand spectacle. Ajoutons à cela les belles couvertures très graphiques de Massimo Carnevale, et vous obtiendrez un bon comic historique dont on attend la suite avec impatience.

« B.P.R.D. » T9 (« L’Avertissement »)

Lorsque s’ouvre cet album, l’équipe du B.P.R.D. n’est pas au mieux, encore sous le choc de récents et tragiques événements… Liz est toujours assaillie par d’horribles visions, Daimio a disparu après s’être transformé en bête fauve zigouillant des membres de l’organisation, et Johann s’avère incompréhensiblement insouciant. C’est un coup dur pour le B.P.R.D. qui doit maintenant réagir au mieux, car les problèmes ne font que commencer. Ce neuvième volume (dont le titre, « L’Avertissement », en dit long) est même le premier opus d’une trilogie où nos héros vont aller de Charybde en Scylla, la menace semblant aussi exponentielle qu’inexorable. Dans sa postface, Arcudi nous prévient même que la suite de l’aventure risque fort de ressembler au plus grand cataclysme jamais lu en bande dessinée ! Les horreurs que vont traverser les personnages durant ce volume ne sont donc qu’un avertissement, un avant-goût de l’apocalypse qui vient à notre porte. On a hâte de lire la suite ! Avec « L’Avertissement », Mignola et Arcudi signent un nouveau pan important de la mythologie de « B.P.R.D. », l’amorce d’une nouvelle dimension dans leur histoire. Certes, l’intrigue rebondit sur l’histoire mise en place dans l’album « Le Fléau des grenouilles » (« Hellboy » T3 chez le même éditeur), mais les scénaristes explorent ce postulat pour entrouvrir ses ramifications et ses faces cachées, donnant de l’ampleur et d’autant plus de substance aux événements passés. Selon la logique de Mignola, lui est ses compères continuent donc d’étoffer toujours plus – mais avec raison et parcimonie – l’univers d’Hellboy.

Depuis le volume 3 rempli de batraciens, justement, c’est Guy Davis qui a repris le flambeau graphique de « B.P.R.D. ». Difficile de passer après Mignola, surtout sans singer son style, mais Guy Davis est un grand artiste dont le style brut et libre remplit sa mission sans hiatus. Dans cette aventure où notre équipe va à la rencontre de ce qui hante Liz et découvrir les dessous d’une menace sous-terraine sans précédent, Davis doit donner forme à d’immenses monstres-robots. Le talent avec lequel il a créé et dessiné ces créatures engendre des visions rappelant les ambiances et l’esthétique de « La Guerre des mondes », de la plus belle des manières. Sur une pleine ou double page, il donne toute la démesure nécessaire à ces monstres, qui plus est dans une recherche graphique des plus réjouissantes (les croquis de recherche en fin d’album confirment la réussite de cette belle création graphique). On admirera aussi le superbe travail de Davis dans la séquence de l’exploration du temple des visions de Liz… Outre le dessin, le scénario est bien ficelé et apporte de nombreux éléments importants pour la suite. Les agissements troubles et l’attitude évasive de Johann, par exemple, ou le problème Gilfryd, posent réellement question et participent grandement au suspens, annonçant de grands coups de théâtre. Gnomes enfouis, monstruosités antédiluviennes, méchants intangibles et robots gigantesques sont donc au programme de cette aventure qui laissera des traces indélébiles dans l’univers de la série. Une série qui ne faiblit pas en qualité et qui mérite toujours notre intérêt, assurément…

« Fathom » T4 (« Ultime Limite »)

De ce quatrième volume de « Fathom », nous retiendrons un court récit simplement intitulé « Bleu », écrit, dessiné et mis en couleurs par le talentueux Peter Steigerwald. Une histoire de 14 pages où Aspen va plonger dans les profondeurs de l’océan pour rencontrer un Bleu censé lui apprendre de grands secrets sur son identité et son peuple… Mais le dialogue sera-t-il possible, voire constructif ? Rien n’est moins sûr, car le contexte entre les peuples aquatiques et de la surface sont loin de se simplifier. Tout est réussi dans cet épisode : le texte est réellement écrit, le découpage est nuancé et inventif, le dessin est superbe, et les couleurs… sublimes ! Steigerwald a profité de cet espace de création personnelle pour pousser toujours plus loin son art de la couleur, nous immergeant dans une œuvre presque monochrome où les bleus profonds se font intenses comme jamais. C’est vraiment très beau, et l’artiste nous donne une version d’Aspen aussi respectueuse de la création de Turner que personnelle et originale. À voir…

Cecil McKINLEY

« Scalped » T3 (« Mères mortes ») par R.M. Guéra et Jason Aaron
Éditions Panini Comics (17,00€)

« Northlanders » T1 (« Sven le revenant ») par Davide Gianfelice et Brian Wood
Éditions Panini Comics (11,00€)

« B.P.R.D. » T9 (« L’Avertissement ») par Guy Davis, Mike Mignola et John Arcudi
Éditions Delcourt (14,95€)

« Fathom » T4 (« Ultime Limite ») par Koi Turnbull, Peter Steigerwald, Michael Turner et J.T. Krul
Éditions Delcourt (14,95€)

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