Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...28 FEVRIER 2007,CENTENAIRE DE LA NAISSANCE DE MILTON CANIFF
Le neuvième triennal Festival of Cartoon Art qui se tiendra à The Ohio State University Cartoon Research Library les 26 et 27 octobre 2007 fêtera les cent ans de Milton Caniff un des plus grands dessinateurs du XX°siecle.Plusieurs conférences sont prévues sur sa vie et son travail de dessinateur
CANIFF MILTON
États-Unis (1907-1988)
Né le 28 février 1907 à Hillsboro (Ohio). Après le collège, Milton Caniff entre à l’université et obtient son diplôme à l’Ohio State University. Sur les conseils du dessinateur W. Ireland il opte pour la carrière de dessinateur et commence à travailler avec le Dayton Journal, le Miami Daily News et le Columbus Dispatch. En 1932, il s’installe à New York et collabore à l’Associated Press où il crée Puffy the Pig et The Gay Thirties, et l’année suivante, Dickie Dare, tandis qu’il travaille avec Noel Sickles à la création de Scorchy Smith et qu’il seconde Bill Dwyer dans la réalisation de Dum Dora, une jolie adolescente créée par Chic Young qui l’avait abandonnée pour se consacrer à Blondie. En octobre 1934, le New York News lui demande une aventure exotique qui le conduit à la création de Terry and the Pirates, qu’il réalise jusqu’en 1946 avec succès, aussi bien auprès du public que de la critique, série dans laquelle Caniff, sous l’influence de Noel Sickles, impose ce style de dessin au pinceau en jouant avec de larges aplats noirs qui facilitaient la narration, tout en organisant chaque image autour d’un point solide. Durant
TERRY AND THE PIRATES
Milton Caniff créa Terry en octobre
Pendant longtemps, il a fait figure de héros en Chine et il fut de même au Japon jusqu’au jour où un grand journal de Tokyo pirata la bande et fit paraître des légendes dans les ballons en japonais. Le plus curieux de l’histoire est que cette bande avait sans doute pris parti dans la querelle sino-japonaise. Caniff avait blâmé toute intervention du Département d’Etat dans ses bandes dessinées en fustigeant les Japonais de l’épithète d’envahisseurs ; mais le secret de leur identité était largement violé par les gueules de dogues, les dents en épis de blé, maintenant bien connues, ainsi que par le drapeau du Soleil Levant. Au fond, tout cela était plutôt comique et Caniff se demandait encore ce que les légendes japonaises pouvaient bien raconter.
Terry a fait largement son chemin. Il a grandi et est devenu pilote américain de l’aviation de chasse. Il a passé cinq jours par semaine dans les airs au-dessus du « Réseau Bleu ». Il a envahi le Metropolitan Muséum, l’Institut d’Art de Chicago, la galerie de Boston Symphony Hall, le musée des Arts décoratifs à Paris en 1967. Il y avait des marques de baseball, de livres, de bazookas et même des bébés qui portaient son nom. C’était presque une victoire pour cet Américain n’ayant jamais mis les pieds en Chine, n’ayant aucune notion de ce pays, qui logeait son héros dans un coin perdu du Fleuve Jaune dérivant vers l’est alors que le courant le mène vers l’ouest où il s’entretenait avec un Chinois dont le pantalon érait retenu par des boutons vendus en exclusivité dans une boutique de mercerie de l’Ohio, patrie de Caniff.
? Quand nous nous sommes décidés pour la Chine, avouait à l’époque Caniff, mon premier geste a été de courir à la bibliothèque publique de New York. A ce moment-là je ne savais rien de l’Orient. Ce n’est pas comme maintenant. Il y a des gens qui trouvent que Caniff ressemble à Pat Ryan, ce soldat irlandais fanfaron qui a été le camarade inséparable de Terry jusqu’au jour où celui-ci est devenu cadet dans l’aviation en Chine alors que Pat faisait profiter les Etats-Unis de son incommensurable imagination en se faisant passer pour lieutenant affecté aux Services Secrets de
Contrairement à l’homme ordinaire qui a conquis la renommée et une sorte de fortune comme artiste de bandes dessinées, Caniff a, à son époque, étudié l’art. Son intérêt a commencé alors qu’étant à l’Ecole Supérieure, il obtint un emploi de stagiaire comme copiste au Dayton Herald , actuellement le Herald . Il put voir les dessinateurs de comic strips se balader par- ci par- là, en seigneurs de
Le Columbus Dispatch devant se restreindre (qui ne le fit pas alors ?), le congédia, ce qui était un coup dur pour ce jeune homme juste nanti de ses diplômes tout neufs, la tête pleine d’idées prêtes à naître, et une épouse de quelques mois. Pourtant (1932) il commença une bande d’aventures Dickie Dare pour le compte de Press Feature. Après deux années de cette occupation, il eut un coup de veine grâce à John T. Mac Cutcheon, doyen des dessinateurs du Chicago Tribune, et un copain Sigma Chi, ce qui lui permit de soumettre une bande d’essai au Chicago Tribune News Syndicate.
Il décida de prendre la Chine comme décor de sa bande. Il ne connaissait rien de la Chine, « mais, pensa-t-il, c’est bien le cas de presque tous les lecteurs ». A son avis, c’était le point de départ de l’aventure, le seul point de l’univers où n’importe quoi, oui, n’importe quoi, pût arriver. Seulement, il n’avait pas de nom pour le héros de sa bande. Sur la suggestion de J. M. Patterson, chef de la publicité du New York Daily News, il établit une liste de noms de cinquante garçons. Patterson choisit celui de Terry, mais il ajouta « et les Pirates ». Comme Caniff venait justement de lire le livre de Freeman sur Robert E. Lee, il donna à son Terry le nom de famille de Lee. Il est possible que vous ayez oublié comment débuta la bande dessinée. Terry et l’intrépide Pat abordaient sur un coin de la côte chinoise à la recherche d’une mine d’une richesse fabuleuse dont le grand-père de Terry avait laissé une carte. Là, avec l’aide d’un bizarre Chinois, un joyeux drille qui parlait un invraisemblable pidgin, ils découvraient le temple, la mine et le trésor, mais ils n’arrivèrent jamais à conserver la fortune parce qu’un héros devenu riche n’est plus un héros. En revanche, ils eurent des rencontres à faire dresser les cheveux sur la tête avec des bandits, des pirates et autres créatures sans aveu, hommes ou femmes. Depuis cette époque, leurs aventures avaient pris des allures de réalité à vous en couper le souffle car la bande avait eu sa contrepartie avec les « Tigres volants », où intervenaient largement des femmes belles et voluptueuses mais passablement canailles. Bien des amateurs de sociologie et des savants en matière de biologie humaine ont étudié ce comic strip sans parvenir à décider ce qu’il y avait de mieux dépeint, des aventures de Terry ou de ces sirènes féminines. La plus fascinante de celles-ci est
Cette Dragon Lady, entre parenthèses, avait été créé d’après un modèle vivant, comme tous les personnages de Caniff. Plus exactement, c’était un condensé d’une série de modèles, mariées l’une après l’autre, et sorties de la vue de Caniff. La première, Phyllis Johson, un modèle professionnel, devenue Mrs William Bippus habitait Nashville dans le Tennesseee.
? C’est une brunette, disait Caniff en parlant d’elle sur un ton si tendre que l’on a l’impression que Dragon Lady va faire sa réapparition un de ces jours. J’ai reproduit sa coiffure directement d’après elle, mais elle n’avait pas du tout les yeux bridés.
Ce qu’il me fallait, c’était un véritable bandit chinois qui ne fût pas Fu Man Chu. Transférer ça sur une femme, rendait la chose dix fois plus intéressante, une combinaison irrésistible de force et de beauté. Je n’ai jamais fait allusion à son âge, mais il fallait qu’elle fût adulte. C’est pour ça que les rapports entre Pat et Dragon Lady devaient être surveillés de si près. Ce n’était pas une amourette de jouvenceaux. Chaque lecteur épluche tous les mots. C’est du moins ce que me disait le courrier des lecteurs.
Pat lutinait toutes les filles : Dragon Lady, Burma, ce phénomène lascif qui faisait sauter toutes les volontés aussi bien avec ses hanches qu’avec ses lèvres (elle devait son nom à un personnage de Kipling), Normandy, qui fut son seul véritable amour (elle est mariée depuis avec un abruti dont elle ne peut se débarrasser), Rouge, celle qui venait aussitôt après Dragon Lady pour la méchanceté et que Terry surveillait. Jusque-là, Terry n’avait pu être héros qu’en sous-ordre. On n’aurait pas vu du tout un gosse en culottes courtes échangeant des baisers avec des femmes fatales, faisant sauter des locomotives japonaises et amenant des bandits à leur juste fin. Terry a donc appris, attendu, pour devenir un aviateur apte à voler et enfin agir pour son propre compte. Tout homme désireux de gagner la Croix des Distinguished Services pendant cette guerre devait rencontrer Caniff qui en fesait le prototype d’un de ses personnages. C’était le meilleur moyen pour devenir un véritable héros de chair et de sang. Considérez le cas de Phil Cochran. Cochran et Caniff étaient arrivés ensemble à l’Ohio State University mais, depuis, leurs chemins s’étaient quelque peu croisés. Cochran était entré à l’Ecole de Commerce tandis que Caniff entrait aux Beaux-Arts. Mais, dès avant Pearl Harbour, Cochran, qui était alors officier aviateur, s’entraînait à la 65e escadrille, le Coq de combat, sur le terrain de Groton, dans le Connecticut, à quelques miles de la base d’aviation de Caniff. Celui-ci portait l’insigne de son escadrille, un rapace rouge dans un cercle vert avec un trèfle autour du cou. Il en portait un aussi sur son casque et laissait ses meilleurs hommes s’enorgueillir d’en porter un aussi.
Le 4 juillet 1942, Cochran et Taffy Tucker, une infirmière militaire originaire de Manille, firent leur apparition sur
Frank L. Higgs, encore un autre camarade de l’Ohio State University, fut le prototype de Dude Hennick, l’élégant casse-cou. Il devint le capitaine Higgs de l’Aviation nationale chinoise, un détachement de l’Aviation américaine auprès de l’aviation chinoise dont elle assurait
leur prête dans mes histoires.
Bien des gens se demandaient comment il avait pu introduire Terry dans
? On ne parlait pas de guerre, disait-il, mais il suffisait d’ouvrir les journaux pour la reconstituer.
? Cette guerre devait servir à des suites prochaines. Je prévis une lutte terrible pour les Alliés et tout cela à intérêts perdus. C’est à cette époque-là que les militaires commencèrent à se faufiler. Les filles n’aiment pas les militaires ? du moins ne les aimaient-elles pas à ce moment-là ?. Mais il suffisait de leur faire admettre quelques bons truismes tout faits. Pat, en tant que neutre, obtint de l’armée japonaise un laissez-passer pour parcourir le Japon à la recherche de quelque chose qu’il cherchait. Ses deux gardes du corps n’étaient pas des neutres, ce qui leur permit, la nuit, de faire sauter des locomotives et de semer la pagaïe.
? L’esprit de la bande commença à s’affirmer encore davantage à cette époque. Il ne pouvait en être autrement avec un tel fond de tableau. Dès 1940, je dénonçai
Caniff avait prédit l’agression du Japon contre les Etats-Unis, mais, quand elle se produisit, il n’était pas sur ses gardes. D’habitude, il évitait de donner des précisions géographiques locales. A ce moment-là, tous ses personnages se trouvaient à Hong-Kong, tous lancés depuis des mois sur le sentier de
? Je pense que le public aura bien compris, disait-il plutôt tristement. Ils savent bien qu’elle a été surprise comme tout le monde a été surpris. Pourtant, quand le temps vint pour Terry d’entrer dans la guerre, sa destinée était inévitable. Cela lui fut signifié par un jeune élève de l’Ecole normale :
? Notre classe a décidé que Terry devait entrer dans l’aviation. C’est ce qu’il fit.
Bien entendu, il ne pouvait être question de faire revenir Terry de Chine pour le faire entrer dans une école d’aviation en temps de guerre. Au lieu de cela, il commença par s’entraîner avec les cadets de l’Ecole chinoise en Chine, en vertu d’un accord passé entre les deux pays alliés, lequel prévoyait que les cadets chinois s’entraîneraient dans les écoles américaines.
Vérifiez l’entraînement de Terry, jour par jour, semaine par semaine, et vous verrez que cela correspond très exactement, tout autant du moins que l’élément temps entre en ligne de compte, avec un cadet de l’aviation dans ce pays. Même pendant l’entraînement, Terry ne se comporta pas comme un sujet exceptionnel. C’était un Américain moyen, suffisamment brillant, d’un type courant, avec cette seule singularité qu’il pouvait prononcer des mots étranges et qu’il avait appris les mathématiques sur les parois d’un camion en Chine. Vous pourriez vous intéresser aux promotions de Terry, par exemple ; le jour où il reçut sa commission d’officier aviateur dans l’armée des Etats-Unis. Vous pourriez remarquer de quelle façon Caniff écrivit cette bande : la page en couleurs du 17 octobre 1943.(voir dans la galerie photo)
? C’est le fameux entretien entre Corkin et Terry, explique Caniff. Il fallait qu’ils se parlent d’homme à homme, d’ami à ami, mais pas comme un supérieur à une recrue. Je n’avais pas la moindre idée de ce qu’il pourrait lui dire. Et voilà que la chose s’écrivit d’elle-même. Peut-être savez-vous ce qu’il en est : vous avez une idée en tête et vous ne savez comment
? Je ne l’ai jamais vue, disait Caniff avec admiration. Pour moi, c’est un nom et un matricule, mais son apport fut inévaluable.
Peu de temps avant, il avait introduit dans son équipe un aumônier naval. Il le peignit peureux et pusillanime parce que le public a vite fait de relever les invraisemblances militaires. Mais il commit une erreur à cette occasion ; un aumônier militaire est sans cesse en route du haut en bas de la colonne, tandis que l’aumônier naval est confiné à une place donnée. Or, Caniff s’était trompé sur l’emplacement.
-J’ai reçu des tas de lettres là-dessus, dit-il. Elles provenaient d’aumôniers parmi lesquels j’ai ainsi appris que j’avais beaucoup d’amis. La clientèle de Terry n’était pas limitée à des correspondants civils. Il paraissait dans Stars and Stripes sous forme d’une publication spéciale. Et voilà qu’une série beaucoup plus gaie que celle de Terry, Male Call (L’appel du mâle), récemment rééditée par les éditions Toth paraît en bande hebdomadaire dans Stars and Stripes et tous les journaux militaires. Mâle Call a apporté sa contribution à la guerre mais, bien avant Pearl Harbour, le gouvernement faisait appel à Caniff. Son premier travail consista à illustrer un manuel de sabotage militaire pour le jour J, sur la manière de poser des bombes incendiaires, etc. Quand la guerre fut déclarée, il remplit une page entière d’illustrations destinées aux mesures à prendre en cas de raid aérien. Dans la suite, c’est lui qui illustra le Guide de poche du soldat en Chine.
? Une des plus importantes contributions de cet artiste qui, depuis 1934, rappelons-le, considérait la Chine comme une région retirée et mystérieuse, dessina « Comment reconnaître un Japonais ? » L’armée avait besoin d’une rapide description de l’étendue du Pacifique à l’usage des officiers de la Sécurité qui, sans avoir besoin de recourir à l’anthropologie, devaient pouvoir, dans le moindre temps possible, déceler si un homme était un Japonais ennemi ou un Chinois allié. Caniff établit ce tableau en faisant ressortir les différences fondamentales entre les deux races. Cet ouvrage fut publié entièrement en couleurs par le Chicago Tribune et 5 000 exemplaires de cette page furent distribués à l’armée. Il y en a encore quelque part (peut-être ?) dans le monde accroché aux murs. Claude Moliterni