Aujourd’hui, il y a pléthore de BD documentaires, car on peut tout expliquer et raconter avec ce média. Si la narration graphique y est, toutefois, trop souvent négligée, ce n’est absolument pas le cas de cette très intéressante histoire du polar. Initié par une spécialiste du genre qui s’est attaché à la meilleure lisibilité possible de sa réflexion et une illustratrice à la ligne claire complice et créative, ce copieux ouvrage de pas moins de 200 pages en bande dessinée — divisées en 21 chapitres autant chronologiques que thématiques — nous permet d’appréhender ce genre littéraire populaire de façon ludique : de ses origines mythologiques aux actuels true crime sous forme de podcasts, sans faire abstraction des précurseurs, des incontournables… même en ce qui concerne le 9e art !
Lire la suite...Walter Fahrer : disparition d’un gentleman…

Nous venons d’apprendre, le 3 mars dernier, le décès de Walter Fahrer, le plus français des dessinateurs argentins, à l’âge de 85 ans. Auteur d’une vingtaine d’albums seulement, il avait produit des milliers de strips pour l’agence de presse Opera Mundi. Disciple d’Hugo Pratt — dont il était l’ami —, il possédait un trait réaliste et dynamique qu’il mettait au service de récits dont l’action couvrait tous les genres. Son élégance, sa gentillesse et son humour nous manquent déjà.
Né le 10 décembre 1939 à Santa Fe, Walter Fahrer se passionne très jeune pour la bande dessinée. Il confie avoir réalisé sa première BD à l’âge de six ans. À huit ans, il rencontre son maître : Hugo Pratt, dont il devient un ami proche, tout en suivant les cours de l’École des Beaux-Arts de Buenos Aires. Après avoir signé quelques couvertures en 1957, il publie « Tee Howard » : sa première bande dessinée, en 1958 (il a 18 ans), pour Editorial Lainez. Ce sont ensuite quelques épisodes d’« Ernie Pike » sur scénarios d’Hector German Oesterheld, pour le magazine Hora Cero aux éditions Frontera.
En auteur complet, Walter Fahrer collabore en 1959 au mensuel de guerre Fuego. Après avoir dessiné « Nat Mandel » dans les revues Misterix et Royo Rojo en 1960 et 1961, puis participé à El Eternauta, il voyage au Brésil. En 1962, sous l’impulsion d’Hugo Pratt, il gagne l’Europe et livre des récits complets aux magazines italiens des éditions Universo : Intrepido, Il Monello, Bliz… Influencé par Hugo Pratt, Milton Caniff, mais aussi par Harold Foster et Chester Gould, il parvient à proposer un trait réaliste original, nerveux et puissant.
En 1963, il arrive en France, où il commence une longue collaboration avec l’agence de presse Opera Mundi, laquellese poursuit jusqu’en 1972. Il livre des strips verticaux et horizontaux, avec les textes placés sous les images, destinés à la presse quotidienne.
Notons sous forme de strips horizontaux : « Au fond du gouffre », « Les Dames de Croix-Mort » ou « Le Roi de Paris » d’après les romans de Georges Ohnet, « Le Pays où l’on n’arrive jamais » d’après André Dhotel,
« Les Mystères de Londres » d’après Paul Féval, « Lunegarde » et « La Dame de l’Ouest » d’après Pierre Benoit,
« La Belle de Port-au-Prince » d’Adèle Fernandez, « Anna Karénine » d’après Tolstoï… Il propose les 200 premiers strips de « Janique Aimée » de Juliette Benzoni (d’après une fameuse série TV), œuvre poursuivie par Juan Carlos Aznar, puis surtout par Angelo Di Marco.
On lui doit aussi les bandes verticales : « La Châtelaine du Liban » d’après Pierre Benoit, « Bataille de femmes » d’après Vicki Baum, la reprise d’« OSS 117 » de Jean Bruce sous le pseudonyme de Frédéric Lind (après le décès de Pierre Degournay), des récits de la série « Destins hors-série » d’Anne et Serge Golon (« Mandrin », « Aliénor d’Aquitaine », « Fournier Sarlovèze »…), des « Reines tragiques » de Juliette Benzoni, et enfin de la saga : « Aventures exotiques » de Robert Gaillard.
Cette impressionnante production est proposée dans Le Parisien libéré, L’Humanité, L’Aurore… et par des quotidiens de province. Malgré une production intensive et mal payée, Walter Fahrer produit des dessins soignés, hélas !, jamais publiés sous forme d’album.
Parallèlement, il trouve le temps de faire un séjour aux États-Unis, et de retourner en Argentine où il réalise quelques séries pour l’Editorial Columba. En 1968, après un récit complet didactique publié dans Pilote l’année précédente (« Les Géants sibériens ») et avoir envoyé un dossier à Greg alors rédacteur en chef de Tintin, il réalise quelques récits complets authentiques, avant de créer, en 1971, la trop méconnue série « Cobalt » sur un scénario de Greg.
En 1973, à la suite d’un séjour en Argentine,il publie « Gato Montés » : un western original ayant pour cadre l’Argentine, traduit par les éditions Dargaud de 1991 à 1996. Un ultime épisode est publié en 2004 aux éditions corses Étoile du Sud.
C’est en 1976 qu’il donne vie, dans France-Soir, à « Harry Chase » : son personnage le plus célèbre, imaginé avec la complicité de Claude Moliterni. De 1979 à 1989, sept albums sont édités par Dargaud dont la prépublication chaotique est proposée ensuite par Phénix, Télé 7 jours, Pilote, Charlie mensuel et la presse étrangère.
En 1987, il dessine « Le Casque et la fronde » : un récit historique écrit par François Corteggiani et dont un seul épisode, « Des Gentilshommes de fortune », est publié par Vécu aux éditions Glénat.
En 1988, dans Pilote, il commence « Captain Hard » : un récit de flibuste dont un unique album, « L’Empire Gilgamesh », est édité l’année suivante par Dargaud.
Après une participation à l’album collectif « Les Amis de Julien Clerc » dirigé par Christophe Arleston chez Soleil en 1987, il dessine, de 2000 à 2004, la trilogie policière « Mon nom n’est pas Wilson », éditée par Casterman, sur scénarios de son compatriote Carlos Trillo. C’est — sauf erreur — sa dernière incursion dans le monde de la bande dessinée.
Walter Fahrer vivait en Corse, où il s’était installé depuis les années 1980.
Malgré une carrière trop discrète en librairie, il figure parmi les auteurs incontournables de la fin du siècle dernier.
Libéré de ses influences, il proposait des pages soignées, de son trait classique, dans la grande tradition des dessinateurs d’après-guerre.
Ceux qui l’ont croisé au hasard d’un salon se souviennent d’un homme élégant, plein d’humour et d’une grande gentillesse.
BDzoom.com présente ses condoléances à ses proches.
Henri FILIPPINI
Relecture, corrections, rajouts, compléments d’information et mise en pages : Gilles RATIER et Fred FABRE
Walter était un bon dessinateur et un auteur sympathique… nous le regrettons profondément.