Un cinquième tome de transition très réussi pour la passionnante odyssée des frères Rubinstein !

Cette ambitieuse fresque historique qui nous conte le destin de deux frères juifs, des années 1930 à la création de l’État d’Israël (1), ne démérite toujours pas avec ce cinquième opus de 70 pages : l’enchantement provoqué par l’habile narration due à Luc Brunschwig — laquelle évolue entre deux époques — n’ayant rien à envier à celui ressenti devant la somptueuse et efficace mise en images signée Étienne Le Roux et Loïc Chevallier.

Entre allées et venues dans deux époques différentes, la saga des Rubinstein se poursuit : passant des fastes du Hollywood américain du milieu des années 1930 au camp d’extermination de Sobibór en Pologne, où — entre mai 1942 et l’été 1943 — les autorités allemandes feront assassiner environ 250 000 juifs. Moïse Rubinstein y est incarcéré, mais sa fonction de coiffeur des bourreaux allemands lui permet d’être aux premières loges pour échafauder un plan, afin de pouvoir s’échapper avec son ami Léon. Toutefois, ils viennent d’apprendre que les champs qui entourent le centre où ils sont détenus sont envahis de mines. C’est alors qu’arrivent de nouveaux prisonniers récemment capturés : des soldats de l’Armée rouge provenant du ghetto biélorusse de Minsk qui pourraient peut-être bien les aider dans leur projet d’évasion.

À cette intrigue déjà prenante, le talentueux scénariste Luc Brunschwig, rompu à l’art de la narration bédéesque, superpose subtilement, à ces terribles séquences se déroulant pendant la guerre, celles de 1936, où Moïse et son frère, ayant fui la France gangrénée par la montée du fascisme, vivent dans le clinquant Hollywood : le tout s’enchaînant avec brio.

Salomon Rubinstein, l’aîné des deux frangins, est devenu scénariste de longs métrages à succès. Comme la Warner Bros a dû fermer les portes de son bureau allemand, il y a deux ans, mettant alors des centaines d’employés sur le carreau, dont pas mal de juifs allemands, il doit s’incliner devant le producteur Jack Warner qui, en conséquence, a perdu beaucoup d’argent dans l’affaire. En effet, Salomon a accepté de réécrire plusieurs scènes de son dernier film (censurant ainsi la présence des juifs à l’écran), ceci pour que la production puisse aussi être diffusée en Allemagne. Évidemment, cette complaisance déplaît énormément à l’intègre et idéaliste Moïse… Pourtant, si Salomon ne s’engage pas autant que son frère qui pressent les horreurs à venir, c’est toutefois un homme bon, sachant prendre soin de sa femme (qui est aveugle), de ses enfants, et de son impétueux cadet.

Les deux protagonistes — aussi attachants l’un que l’autre — s’adorent… mais tout les oppose ! Le récit s’articule évidemment autour de leur relation compliquée, dans une Europe totalement déchirée, depuis déjà cinq albums remarquables : nul doute que les quatre qui restent à paraître seront du même tonneau. Car, non seulement la narration est originale en provoquant systématiquement la curiosité du lecteur qui a hâte de tourner la page pour en savoir plus, mais la réaliste adaptation graphique à quatre mains d’Étienne Le Roux et Loïc Chevallier — soutenue par la palette suggestive de la coloriste Elvire De Cock —, force également le respect ! Personnages expressifs, décors soignés, cadrages cinématographiques, astucieux changements d’ambiance… : tout est réuni pour favoriser la lisibilité de ces deux intrigues entremêlées entre passé et avenir.

Gilles RATIER

(1)  Voir sur BDzoom.com : La saga des « Rubinstein » : frères à la vie, à la mort… et La saga des fils du tailleur juif polonais ou le récit de survie et devoir de mémoire de Luc Brunschwig !.

« Les Frères Rubinstein T5 : Un pacte avec Satan » par Étienne Le Roux, Loïc Chevallier et Luc Brunschwig

Éditions Delcourt (15,95 €) — EAN : 978-2-413-04939-5

Parution 24 mai 2023

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