« China Li » : une bande dessinée en cinémascope…

C’est le quatrième et dernier chapitre de l’épopée de Li, magistralement mise en musique par le couple d’artisans que forment Maryse et Jean-François Charles, depuis un demi-siècle. Une belle leçon de bande dessinée qui ravira, une fois de plus, les amateurs d’histoires classiques et bien illustrées… À noter que la chronique d’Henri Filippini est suivie d’une courte interview inédite des auteurs, réalisée par Patrick Bouster.

Vendue à Zhang par son propre frère pour honorer une dette de jeu, Li devient la fille adoptive de Zhang : chef eunuque d’une puissante triade de Shanghai. Envoyée par son protecteur en France pour éviter les dangers que représente l’affrontement entre communistes et nationalistes, la jeune femme devient une photographe de renom. Elle s’éprend d’un jeune peintre et donne naissance à un fils : Lotus. Elle revient en Chine dans le but d’interviewer Mao, qu’elle admire et rencontre dans les montagnes du Hunan. Enrôlée de force dans l’armée communiste, elle est épuisée par la Longue Marche. À la mort de l’honorable monsieur Zhang, elle prend la direction de son empire mafieux : la Bande verte. Aidée par Hu Minyi baptisé le « Général chrétien », elle règne d’une main de fer sur l’empire de la drogue, tout en recherchant inlassablement son fils disparu. Madame Li ferma les yeux en France presque centenaire, le 17 décembre 2012.

Utilisant avec intelligence cette période trouble de la grande Histoire, Maryse Charles (Maryse Nouwens) mêle avec subtilité aventure et humanisme, à travers le personnage ambigu de cette petite paysanne chinoise devenue, au fil des soubresauts de l’histoire, à la fois une femme forte, une mère désespérée et le chef d’un empire du crime.

Ne cherchant pas le moindre « truc » pour gagner du temps, n’utilisant pas abusivement les gros plans, Jean-François Charles ne ménage pas ses efforts. Neuf illustrations pleine page aux décors époustouflants aèrent une riche mise en images où les séquences de bravoure se succèdent à un rythme d’enfer. L’épopée de Li permet aux deux auteurs d’évoquer un siècle de l’histoire de la Chine, aux sources puisées dans un nombre impressionnant d’ouvrages érudits.

Né en 1952, Jean-François Charles est l’auteur des « Pionniers du Nouveau Monde », d’« India Dreams », de « War and Dreams » et d’« Africa Dreams » avec la complicité de son épouse Maryse, de « Fox » avec Jean Dufaux et d’un épisode du « Décalogue » avec Frank Giroud. Il reste l’un des trop rares représentants francophones de la bande dessinée classique encore en activité.

À noter la parution de la réédition avec une nouvelle couverture de l’édition intégrale de « War and Dreams » chez Casterman ; 216 pages (35 €) — EAN : 978 2 2032 2484.

Henri FILIPPINI

« China Li T4 : Hong-kong — Paris » par Maryse et Jean-François Charles

Éditions Casterman (14,95 €) — EAN : 978 2 2032 3758 2

Parution 3 mai 2023

ENTRETIEN AVEC MARYSE ET JEAN-FRANÇOIS CHARLES

Maryse et Jean-François Charles.

BDzoom.com — Pouvez-vous nous parler un peu du tome 4 de « China Li » ?

Maryse Charles — Ce tome final, c’est naturellement l’aboutissement de son parcours. Nous avons été très attachés à ce personnage, que nous avons fait débuter enfant, puis suivi en adolescente, jeune femme, femme mature : toute sa vie ! De toutes les héroïnes que nous avons créées et aimées, c’est celle qui nous manquera le plus. Elle nous a fait découvrir la Chine, ce qui n’était pas évident pour nous au départ : un pays-continent très lointain, assez fermé et pas forcément « intéressant » pour les gens d’aujourd’hui… Cette série, c’est la traversée d’un siècle. Songeons que dans les années 1920, ce pays comptait 500 millions d’habitants ; désormais, il en compte 1,4 milliard. Pour ce projet, nous nous sommes beaucoup documentés sur ce pays que nous connaissions peu, par les livres et quelques voyages là-bas. 

BDzoom.com — Comment avez-vous abordé l’univers graphique de « China Li » ?

Jean-François Charles — Pour les couleurs et la lumière, nous avons été frappés de constater que les murs des habitations étaient souvent gris. Pour les gens du peuple, c’était la couleur requise : celle de la discrétion, de la modestie, et les couleurs vives leur étaient (et sont toujours apparemment) prohibées. Le rouge est une couleur réservée à l’élite, les dirigeants, avec la technique de la laque. Idem pour l’or, la dorure. Nous avons expressément demandé à notre éditeur Casterman une charte graphique spéciale à cette série : la couverture devait contenir un fond rouge, du doré, et évoquer fortement la Chine et ses codes graphiques. Pour la couverture du tome 4, nous avons choisi un dessin qui résume l’album. Et nous avons été amenés à changer le titre, pour qu’il évoque plus le déplacement, le voyage. 

BDzoom.com — Cette intégrale de « War and Dreams », qui sort au même moment que « China Li » T4, vient après celles de « Fox » et des « Pionniers du Nouveau-Monde », ainsi qu’après la réédition avec certaines nouvelles couvertures. Que pensez-vous de cette intégrale ?

Jean-François Charles — L’éditeur Casterman est bien entendu à l’initiative de cela, et nous sommes heureux que cela redonne vie à la série, en un seul volume. Il y a aussi un dossier réalisé par la conservatrice du Mémorial de Caen (consacré au débarquement allié et aux batailles de Normandie de la 2e Guerre mondiale), sur la demande de l’éditeur. C’est utile pour comprendre le contexte de la guerre illustré par nos albums. D’ailleurs, un de nos petits-fils s’est pris d’intérêt pour l’Histoire, les musées, et cela nous ravit. L’intégrale captera peut-être l’intérêt des jeunes lecteurs qui souhaitent se pencher sur cette période, et qui n’ont pas lu cette série. 

BDzoom.com — « War and Dreams » est votre première grande série à se dérouler principalement en France. Il s’agit pour vous de quelque chose qui vous tenait à cœur, d’installer l’histoire d’abord sur la côte d’Opale ?

Jean-François Charles : Oui, de la côte d’Opale (d’ailleurs, c’est le prénom de la jeune femme héroïne de la série), à 25 km de l’Angleterre que l’on voit par temps clair, avec le mur de l’Atlantique qui n’est pas loin, nous rappelle le contexte historique. Ce sont des lieux empreints de témoignages, et aussi, sources d’imagination. Je vois les couleurs de la mer de mon bureau, qui sont changeantes, jamais les mêmes, c’est inspirant. Pendant la guerre, mon père a été prisonnier, celui de Maryse a été résistant. Nous aimons beaucoup cette région, que ce soit en Belgique ou du côté français, nous restons proches de la côte d’Opale : donc cela nous touche de près. Espérons que cela se ressent à la lecture du texte et des images…

        Patrick BOUSTER

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4 réponses à « China Li » : une bande dessinée en cinémascope…

  1. BARRE dit :

    Le classicisme du couple Charles me ravit, et je ne suis pas le seul.
    Toutes leurs aventures ont un charme fou, leurs dessins/histoires sont envoûtants !

    • PATYDOC dit :

      En revanche, quelle honte de tracer si mal les caractères chinois ! dans les années 20, bien que peu d’Européens connaissent la culture chinoise, Hergé s’adjoint les services de Tchang pour tracer des caractères parfaits. De nos jours, alors qu’une part beaucoup plus importante de la population européenne connait la culture chinoise, le couple Charles trace avec négligence d’ignobles graffitis qui décrédibilisent et enlaidissent leurs pages.

  2. Patrick BOUSTER dit :

    L’album est superbe, éblouissant, comme les 3 précédents, ne le salissons pas pour des inexactitudes alphabétiques formelles, si elles sont avérées (je ne peux pas en juger, comme beaucoup, le chinois n’étant pas une langue répandue ici). La population européenne et française connait beaucoup plus les civilisations très présentes ici (Proche-Orient, Afrique principalement du Nord), et beaucoup moins l’asiatique, d’ailleurs discrète et travailleuse.
    Ces idéogrammes n’enlaidissent pas l’album puisqu’il est très beau et qu’il le reste !
    Dans les 3 tomes précédents, pas de remarque sur les idéogrammes.

    Conservons en tête l’essentiel : le couple Charles a livré une nouvelle fois un objet somptueux, d’une série qui sera certainement marquante dans leur carrière. Et ces couvertures !…
    Il y en a peu de ce niveau, texte et dessins.

  3. Capitaine Kérosène dit :

    Tout de même, un truc me dérange quand des dessinateurs occidentaux essaient de représenter des visages asiatiques : ils n’y arrivent jamais.
    Il y a deux choses que pèchent systématiquement : les proportions et les paupières. Là, c’est encore le cas si j’en juge par les extraits présentés : nez trop longs, pommettes pas assez marqués, ovales des visages trop allongés et plis supérieurs des yeux faux.
    On se gausse chez nous des visages d’Occidentaux des mangaka, mais notre représentation des Asiatiques ne vaut guère mieux. Il y a une mécompréhension de leur morphologie qui me dérange profondément et m’empêche d’entrer dans l’histoire et d’y croire.
    Franchement, il faudrait faire un effort de documentation pour réellement comprendre les traits des Asiatiques et casser ces habitudes de dessin.

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