« Passe-moi l’ciel » : un esprit saint dans des dessins…

Accueillir les morts quotidiennement aux portes du Paradis ? Un enfer, qui voit souvent saint Pierre excédé et prêt à rendre ses clés ! Créée par Stuf et Janry en 1990, dans Spirou Magaziiiine, interrompue en 2015 et relancée depuis 2019, la série « Passe-moi l’ciel » s’enrichit d’un huitième album ce mois-ci. L’occasion de retracer la vie d’un univers épicé où seul l’humour (au poivre noir) et les gags (sacrés salés) demeurent éternellement en odeur de sainteté…

Les premier et dernier gags de la rubrique « Jeux d'enfer » (Dupuis, 1988-1990).

Au commencement… se trouve le n° 2622 du journal Spirou (13 juillet 1988), dans lequel parait une rubrique ludique intitulée « Jeux d’enfer », illustrée par Stuf et Gurtz. Le premier – Stéphane De Becker – est un dessinateur bruxellois, ami et condisciple de Philippe Tome (voir l’entrevue réalisée par Gilles Ratier en 2019 ; 2e partie) et du second, autrement dit Janry, lequel a, à l’époque, opté pour le pseudonyme Gurtz, dérivé phonétique de son véritable nom, Jean-Richard Geurts. Stuf ne tarde pas à rejoindre ses compères chez Dupuis à partir de 1985, afin d’assurer les couleurs de « Spirou et Fantasio » sur « Le Réveil du Z ». Suivront les colorisations de « Soda » et du « Petit Spirou »…

S’appuyant sur un canevas savoureux, ces « Jeux d’enfer » ne laissent pas leurs lecteurs insensibles : à l’entrée du paradis, les défunts doivent répondre à trois questions posées par saint Pierre. Enfers assurés aux détours des mauvaises réponses et gag final dans tous les cas ! Devant le succès de la formule, Stuf et Janry tenteront en vain de proposer à l’éditeur d’en faire un album. Une autre formule est heureusement trouvée : la page de jeux (riche de 47 épisodes, le dernier étant publié le 15 août 1990 ; n° 2731) laisse ainsi la place dès le 23 mai 1990 (n° 2719) à une nouvelle série, intitulée « Passe-moi l’ciel », constituée de gags d’une page, dénués de titres. Un premier volume de 44 planches (« Au suivant ! ») est finalement publié par Dupuis en octobre 1999. Constatons, très logiquement, que la numérotation des planches rassemblées dans cet ouvrage démarre au numéro 48, s’inscrivant bien dans la continuité des planches constitutives des précédents « Jeux d’enfer ».

Couverture et premier gag de « Passe-moi l’ciel » (Spirou n° 2719, 23 mai 1990).

Six autres albums aux titres exclamatifs suivront, avec une sage lenteur, jusqu’en janvier 2015. Subitement parti faire une partie de billard avec saint Pierre le 22 juillet 2015, à la suite d’une crise cardiaque, Stuf (56 ans) laisse derrière lui une poignée de gags crayonnés. Ce brillant auteur et coloriste recevra un bel hommage posthume en septembre 2002, avec l’inauguration d’une fresque murale dédiée à « Passe-moi l’ciel », visible au 91 rue des Minimes, au sein du parcours BD bruxellois. Le 5 octobre 2019, c’est la mort de Philippe Tome (62 ans) qui frappe à son tour un monde de la bande dessinée franco-belge particulièrement ému. Après une période de torpeur et de deuil bien légitime, Janry se décide à reprendre seul « Le Petit Spirou » et « Passe-moi l’ciel » : avec l’accord de l’éditeur, il terminera la vingtaine de pages du tome 7 (« Tenue correcte exigée »), déjà encrées à partir des ultimes crayonnés de Stuf, avant d’initier, en solo, un huitième opus. Secondé par Cerise pour la mise en couleurs, Janry n’oublie pas de rendre un émouvant hommage à son confrère, avec un tendre gag qui le voit partir rechercher de la documentation dans les nuages et jusque auprès de saint Pierre… puis ne jamais revenir.

Planche originale n° 300, dessinée par Stuf à l’encre de Chine (25,4 x 36,5 cm).

Planche hommage réalisée par Philippe Bercovici et parue dans Spirou n° 3183 le 14 avril 1999 (Encre de Chine sur papier ; 38,5 x 49 cm).

Couverture de Spirou n° 4428 (22 février 2023) et gags repris dans le huitième album (Dupuis 2023).

En nous racontant ce qui se passe juste après la mort, Stuf et Janry font dans l’humour noir et volontiers irrévérencieux, renouvelant la tonalité de l’hebdomadaire Spirou des années 1990-2000. Ainsi, verra-t-on un accueil (au paradis ou en enfer) loin d’être triste : on retrouve pêle-mêle, dans le huitième album, des chaussettes célibataires, des dinosaures (grosse affluence il y a 65 millions d’années !) ou encore Atchoum, Prof et Timide (Blanche-Neige aurait-elle décidé de faire une tarte aux pommes ?). Quant aux chanteurs de charme, princes charmants et autres millionnaires, ils risquent fort de finir en enfer, Saint Pierre supportant mal la concurrence de ces bellâtres et parvenus… Dans cette hilarante parodie de la vision chrétienne de la vie après la mort, chaque espèce, voire chaque objet, possède son propre paradis, chacun étant gardé par une version différente de saint Pierre vérifiant sur son ordinateur si une personne peut entrer ou doit être redirigée vers l’enfer. Héros de la série, le saint Pierre du paradis des hommes est râleur, parfois fainéant, bon vivant et amateur de parties de billard aux côtés de son ami Nestor (la mort) et de quelques anges. Un métier où les vacances sont rares ; mais, entre quelques diableries et autres tours pendables, les défunts pourront bien attendre : l’éternité, c’est long, surtout vers la fin… Souhaitons à la série de ne pas voir sa dernière heure arriver trop rapidement.

Extraits de « Passe-moi l’ciel » T8 (Dupuis, 2023).

Philippe TOMBLAINE

« Passe-moi l’ciel T8 : » par Stuf et Janry

Éditions Dupuis (12,50 €) – EAN : 979-1034731268

Parution 17 mars 2023

Galerie

2 réponses à « Passe-moi l’ciel » : un esprit saint dans des dessins…

  1. Kroustilyion dit :

    Janry ! Au secouuuurs… Reviens, reprends Spirou, et fais-le revivre, en nous faisant RIRE !!

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