Chevrotine et folies douces…

Il y a quelques semaines, Henri Filippini, qui réalisait une chronique pour le troisième tome de la série « #Les Mémés », y retrouvait l’ADN des éditions Fluide glacial. C’est chez le même éditeur que sort « Chevrotine », écrit par Pierrick Starsky et dessiné par Nicolas Gaignard. Ce surprenant album nous rappelle que le magazine d’« umour et bandessinées » possède aussi quelques diamants noirs à son actif.

Chevrotine vit dans une jolie chaumière en forêt. Lorsqu’elle va à la pêche, il lui arrive d’attraper des hommes-grenouilles. Ces derniers deviennent ses amants, avant de subir un sort funeste.

Chevrotine est responsable d’une « marmaille » de six enfants, quatre filles et deux garçons. Darwin, Gorgon, Filoche et Nougatine sont les enfants de Chevrotine, nés de pères différents. Mornifle a été « plus ou moins adopté » et Nope a une origine encore plus mystérieuse. La marmaille s’agrandira avec l’arrivée de Kimshi.

Cassidy fait aussi partie de la famille, c’est le chien de la maisonnée, il a la langue bien pendue — ce qui étonne beaucoup les étrangers.

D’autres personnages invraisemblables côtoient la petite bande. Il y a tout d’abord Mouillette, le commerçant livrant la famille avec sa moto-hoverboard et cible récurrente des facéties de Cassidy. Nous croisons aussi Tartine, l’ancien propriétaire de la maison de Chevrotine, qui revient de temps en temps lorsque sa monture le ramène — trop soûl — à son ancien logis.

Les voisins les plus proches de Chevrotine sont Pépé Moko — 157 ans… —, sa femme, qui n’aime pas trop sa voisine non plus que « son engeance misérable », et Youmi, un cosmonaute dont la fusée est en panne. Chevrotine croisera, entre autres, la route de Gretchen, une poétesse dotée d’une curieuse source d’inspiration, et celle d’Édouard Paggetto, agent du recensement.

Il n’y a pas que les personnages qui étonnent dans cet album : les décors et l’atmosphère sont tout autant surprenants. Si l’on aperçoit — au détour d’une séquence — une métropole embrumée, l’essentiel de l’action se déroule dans la magie des bois entourant la demeure de Chevrotine ou dans la sécheresse d’un désert — digne de l’Ouest américain — entourant la ville de Knop (Tartine est l’adjoint du shérif).

Les situations proposées par Pierrick Starsky sont toutes aussi déroutantes. Dans son univers, un enfant peut choisir de ne plus vieillir, mais on peut aussi s’attacher à sa maladie et l’accepter comme compagnon de route. Ces postulats sont déroulés naturellement, jusqu’à leur finalité logique et baroque.

La violence et la mort sont fortement présentes dans ce récit, mais leur impact est désamorcé par la magie et l’humour. Cette atténuation du drame est aussi produite par la douceur du dessin de Nicolas Gaignard et son choix de planches à l’atmosphère grisée, ponctuée de rehauts bleutés ou rosés.

Cette fantaisie gothique nous ramène à une partie plus sombre du catalogue des éditions Fluide glacial, du côté des « Idées noires » de Franquin ou des contes de Foerster. « Chevrotine » peut les rejoindre sans rougir, puisque cette série montre que les atours de l’humour peuvent être divers et se parer admirablement de poésie et d’étrangeté.

Brigh BARBER

« Chevrotine » par Nicolas Gaignard et Pierrick Starsky

Éditions Fluide glacial (16,90 €) — EAN : 979-10-382-0344-0

Parution 1er février 2023

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