« Les Murailles invisibles » : pour oser franchir les murs du temps…

De nos jours, le monde se retrouve segmenté par d’étranges murs invisibles et infranchissables. Dans chaque zone, le temps s’écoule à une vitesse différente… Dans cet univers devenu post-apocalyptique, Lino va suivre la route d’un groupe d’explorateurs venu du futur. Combinant les classiques de la dystopie à l’aventure temporelle, Alex Chauvel et Ludovic Rio nous donnent une étonnante vision science-fictionnelle. Un premier tome de 92 pages qui interrogent, comme il se doit, les ressorts humains et l’avenir de notre humanité.

Un monde contemporain fracassé... (planches 1 et 2 - Dargaud 2023).

De manière relativement discrète, Dargaud développe depuis plusieurs mois déjà une collection toute entière dédiée à la science-fiction : Visions du futur. Si, de « Valérian et Laureline » à « Renaissance » en passant par « Les Mondes d’Aldébaran » et même… « Flash Gordon » (dans les années 1980), le genre n’a bien sûr jamais échappé à l’éditeur, observons que la précédente tentative en la matière datait de mars 2002. Trois décennies après les débuts de Christin, Mézières, Bilal et Druillet, Guy Vidal lançait alors la collection Fictions, dans laquelle parurent notamment « Libre à jamais » (Joe Haldeman et Marvano, 2002-2003) et « Reality Show » (Jean-David Morvan et Francis Porcel, 2003-2008). Sans réel succès, cette collection a donc cédé la place depuis l’automne 2019 à ces Visions du futur, où se sont déjà illustrés plusieurs titres notables, parfois mentionnés en sélection officielle à Angoulême : « Renaissance » (Fred Blanchard, Fred Duval et Emem, cinq tomes depuis 2018), « Mécanique céleste » (Merwan, 2019), « Agughia » (Hugues Micol, 2021), « La Part merveilleuse » (Florent Ruppert et Jérôme Mulot, deux volumes en 2021-2022) ou encore « Aiôn », précédent titre réalisé par Ludovic Rio en mai 2019.

Il y a longtemps... dans le futur (planches 6 et 7 - Dargaud 2023).

Que nous indique la première de couverture des « Murailles invisibles » ? Tout d’abord que la lutte pour la survie est engagée, dans un monde contemporain ayant visiblement subi le pire. Pylônes électriques détruits, feu de circulation corrodé et épave automobile désossée laissent supposer qu’une longue période s’est déjà déroulée, ce d’autant plus que le sable a tout envahi, aucune végétation ni trace de vie n’étant plus visible. Le premier plan paraitra plus étonnant encore, avec son cadavre coupé entre deux espaces-temps : d’un côté, un passage pour piétons bien visible et un corps tombé sur le bitume, aux côtés duquel gisent quelques marchandises récemment achetées et non décomposées. De l’autre, un squelette, à quelques mètres à peine de l’automobile que cherchait sans doute à rejoindre cet individu à l’identité inconnue. L’on en conclura aisément que la mort a fauché ce dernier en une fraction de seconde, un mur étant venu s’abattre sur lui, divisant sa destinée en deux parties distinctes. Une hypothèse confirmée par le titre, à la typographie elle-même partiellement découpée et localement effacée.

Après la fin (planches 30 et 31 - Dargaud 2023).

Inévitablement, les auteurs balisent ce premier volume d’éléments connus : un héros cherchant à comprendre ce qui lui arrive, suivant tant bien que mal le groupe futuriste mené – depuis la zone Nostoc – par Asphane ; un personnage du reste chargé d’écrire le journal de bord des péripéties survenues, ce qui le transforme d’office… en auteur de récit de science-fiction. De Lino, narrateur interne et semi-omniscient, nous ne saurons pas grand-chose, l’aventure s’intéressant finalement beaucoup plus aux personnages secondaires (Alvic, Olimain, Thorian, Stélice et Malia) et aux allers-retours dans le temps et l’espace, une fois le groupe initial divisé en deux. Confrontant les débris de l’humanité à la bestialité sous toutes ses formes, le scénario d’Alex Chauvel (membre fondateur des éditions Polystyrène en 2010) ose se confronter à presque tous les – grands – classiques du genre : en vrac, « La Machine à explorer le temps » (H. G. Wells, 1895), « Ravage » (René Barjavel, 1943), « La Planète des singes » (Pierre Boulle, 1963), « Le Mur invisible » (Marlen Haushofer, 1963), « Mad Max » (George Miller, 1979), « Blue » (Joël Houssin, 1985), « La Horde du Contrevent » (Alain Damasio, 2004), « Dôme » (Stephen King, 2009) et « Périphérique » (William Gibson, 2014).

Reprenant le style graphique employé pour « Aiôn » en 2019, l’Amiénois Ludovic Rio échappe cette fois-ci aux influences mangas pour se rapprocher à la fois des comics et d’une ligne semi-réaliste franco-belge contemporaine, dans la veine de Bruno Gazzotti, Hamo et Pierre Alary. Passé par l’EESI à Angoulême et la rédaction du journal Le Télescope à Amiens (au profit de divers reportages graphiques) et maîtrisant son art, l’auteur est certainement l’une des nouvelles valeurs sûres de Dargaud. À suivre au prochain épisode !

Philippe TOMBLAINE

« Les Murailles invisibles » par Ludovic Rio et Alex Chauvel

Éditions Dargaud (17 €) – EAN : 978-2205203042

Parution 24 février 2022

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