« No Zombies » : quand Olivier Peru croque le genre survivaliste…

« Zombie » : revenant ou cadavre animé, se nourrissant de la chair des vivants. Revisitée dans les années 1960, la nouvelle définition du monstre a radicalement transformé le genre en mode survivaliste. Confrontant de fait l’humanité toute entière à sa propre fin, pour ne pas dire sa dévoration, scénaristes (Robert Kirkman) ou réalisateurs (de Jacques Tourneur dans les années 1940 à Yeon Sang-ho dans les années 2010 (« Dernier train pour Busan », 2016) en passant par Sam Raimi) ont cherché à préciser les frontières du thème, quelque part entre réel et fantastique. Dans la série « No Zombies », Olivier Peru joue de manière relativement inédite avec des clichés dérangeants : si les morts-vivants peuvent être ramenés à la vie par un vaccin salvateur, le passé n’est jamais complètement oublié. Le troisième tome, à paraître chez Soleil le 11 mai, nous donne l’occasion de contaminer ceux qui avaient échappé jusqu’ici à cette production horrifique de grande qualité…

Etre ou ne pas être un zombie ? (Couverture du T1 - visuel par Bertrand Benoit -, encrage et couleurs pour la première planche - Soleil 2021).

Après le choc « Walking Dead » (33 tomes parus chez Delcourt entre 2005 et 2020 ; 11 saisons TV depuis 2010, complétées par quatre saisons de « Fear the Walking Dead » depuis 2015), outre les mythiques « Je suis une légende » (roman de Richard Matheson, 1954), « La Nuit des morts-vivants » (film de George Romero, 1968), « Resident Evil » (saga vidéo-ludique débutée chez Capcom en 1996) et « World War Z » (roman de Max Brooks, 2006), comment réinventer le genre, au croisement de l’horreur et du fantastique ? En pleine vague et vogue « The Walking Dead », le dessinateur et romancier Olivier Peru arrivait toutefois à étonner de très belle manière, en 2010, passant à la scénarisation au profit d’une série sobrement intitulée « Zombies ». Publiée par les éditions Soleil et inscrite dans la collection Anticipation dirigée par Jean-Luc Istin, cette série connaîtra quatre tomes dessinés par Stéphane Cholet (2010-2015), suivis par un tome 0 (dessiné par Leoni Lucio ; 2012) et trois albums spin-off (« Zombies Néchronologies » ; 2014-2017 ; dessins par Nicolas Pétrimaux, Arnaud Boudoiron et Stéphane Bervas). Problème : la machine Cholet s’enraye en cours de route, et le cinquième tome de « Zombies » – toujours très attendu – passe dans la quatrième dimension…

La fête des morts... (Couverture et planches du T2 ; Soleil 2022).

Entretemps, Istin marque à son tour la collection Anticipation avec « Alice Matheson » (six tomes publiés entre 2015 et 2019) : le scénario, malin, fait savamment monter le suspense, dans un huis-clos hospitalier confrontant l’anti-héroïne – une infirmière psychopathe ! – à une invasion de morts-vivants. Octobre 2021 marque le retour au thème pour Olivier Peru, qui imagine dans « No Zombies » un concept inverse au schéma traditionnel : les héros sont d’anciens morts-vivants, miraculeusement ramenés parmi les humains grâce à un vaccin salvateur. Des personnages qui conservent diverses séquelles et traumatismes de ce voyage cauchemardesque ; mais tentent d’oublier leur passé en sauvant à leurs tours des proches ou d’autres communautés, croisées au fil de leurs périples. Dernier espoir du monde survivant, ces « No Zombies » se prénomment Joseph (T1), Cassandre (T2), Lila (T3) ou Ruben (T4, annoncé pour l’automne 2022). Le cadre, inévitablement américain, permet essentiellement aux auteurs quelques savoureux renvois à notre contemporanéité. Le rôle fort laissé aux femmes ou la question du racisme y sont ainsi abordés de manière ironique, puisque le remède miracle est notamment issu du sang Lakota : les Amérindiens sauvent le monde après avoir été eux-mêmes décimés par les maladies des colonisateurs blancs au XIXe siècle…

Froids effrois ! (Planches 3 à 5 du T3 ; Soleil 2022).

Dans l’actuel tome 3, prise dans un conflit opposant diverses communautés de survivants aux intérêts divergents, le personnage de Lila (introduit à la fin de l’album précédent) est mordu : rejoignant donc lentement le rang des morts-vivants, la jeune femme continue de garder des souvenirs humains. Et tous les questionnements qui vont avec : pourquoi sa communauté l’a-t-elle abandonnée dans les ruines de Pittsburgh ? Ses amis sont-ils morts ? Peut-elle encore les sauver ? Est-elle en mesure de se sauver elle-même, au-delà de sa sinistre perspective de monstre en devenir ? Storyboardée par Benoit Dellac (« Missi Dominici » ou « Nottingham »), dessinée par le Russe Evgeniy Bornyakov, la série bénéficie également des couleurs de Simon Champelovier et des beaux visuels de couvertures concoctés par Bertrand Benoit. Logiquement sombres et post-apocalyptiques, ces dernières soulignent l’ambivalence de protagonistes torturés, confrontés malgré eux tant aux hordes destructrices qu’à leurs propres pulsions morbides. Au-delà d’un graphisme précis et dynamique, force est laissée aux cadrages cinématographiques, à la lisibilité et à la force du scénario, l’ensemble – très proche d’une série TV – étant souvent bien plus malin qu’il n’y parait au premier abord.

Visuel (basse définition) du T4.

Indéniable point fort parmi d’autres, les zombies sont décrits à la fois comme des créatures menaçantes et des humains alternatifs, les héros eux-mêmes (ou les seconds rôles…) pouvant inversement se révéler bien plus dangereux que les monstres et hordes d’outre-tombe. Dans un parallèle volontairement dérangeant, le monde décrit a basculé dans l’horreur depuis trois ans : les humains se sont donc peu à peu habitués à vivre à proximité des zombies, situation alternative à la vie en temps de pandémie de Covid-19. Les solutions abordées pour s’en sortir seront diverses, perspectives démultipliant à l’évidence les potentialités scénaristiques. Il en ira de même pour les différents « Livres » de la série, qui détaillent le parcours du quatuor initial, entre actions héroïques, dilemmes intérieurs et déchirements personnels… morsures aidant ! Traités en sépia, les flashbacks permettent aux lecteurs d’appréhender les tenants et aboutissants des troubles de chacun : le chef de groupe Joseph tente de convaincre les humains rencontrés du bien-fondé de la vaccination et cherche en parallèle son frère contaminé ; la sportive de haut niveau Cassandra, malade, tente de ne pas définitivement basculer dans la monstruosité ; Lila, nous l’avons dit, s’accroche tant bien que mal à ses souvenirs humains en tentant notamment de se remémorer les causes de son ralliement aux « No Zombies ». Autant de cheminements intérieurs, mus et dictés par les transformations physiologiques et mentales. En bref, une série d’anticipation à dévorer pour les amateurs de survival horror : genre et territoire aussi hostile que psychologique

Philippe TOMBLAINE

« No Zombies T3 : Le Livre de Lila » par Evgeniy Bornyakov, Benoit Dellac et Olivier Peru

Éditions Soleil (14,95 €) – EAN : 978-2-302-09512-0

Parution 11 mai 2022

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