Joris Mertens : un auteur à suivre…

Après un remarqué — et remarquable ! — (1) album sans dialogues, paru également chez Rue de Sèvres (en 2020), l’artiste belge flamand Joris Mertens récidive aujourd’hui avec « Nettoyage à sec » : un polar aussi sombre que flamboyant, qui démontre, une fois de plus, que le 9e art va devoir compter avec cet habile narrateur visuel ! En effet, son étonnant univers sans concession, déployé au travers d’une Bruxelles fantasmée des années soixante et soixante-dix, fait mouche à chaque page…

François vit seul, dans une grande ville où il pleut sans cesse : et, en plus, il oublie sans arrêt son parapluie ! Modeste livreur-chauffeur pour la blanchisserie Bianca, il mène une vie morose, solitaire et routinière, qui n’est pas vraiment celle dont il a rêvé. Travaillant depuis des années sans rien demander, tout en n’ayant jamais manqué un seul jour, il n’arrive toujours pas obtenir la moindre augmentation. Ses plaisirs se résument à jouer, sans résultat jusqu’à présent, les mêmes numéros au Lotto chaque semaine, et à écluser une pinte de bière bien fraîche au Monico : son bistrot favori. D’autant plus qu’il y revoit fréquemment Maryvonne, la souriante buraliste qui tient le kiosque à journaux où il tente régulièrement sa chance aux jeux de hasard, avec qui il aimerait bien nouer une relation plus intime. S’il pouvait gagner, il pourrait lui « acheter un bel appartement à la mer, équipé du chauffage central, évidemment. Mais aussi une grande maison de la presse sur la digue », au soleil : ne serait-ce que pour qu’elle ait une vie meilleure, avec sa fille qui est asthmatique…

Chargé de former, pendant quelque temps, le neveu un peu demeuré de la patronne — un jeune type maladroit, mais pas bien méchant — que cette dernière vient d’embaucher pour renforcer l’équipe, François va avoir une opportunité à laquelle il lui sera difficile de résister… Mais si on se met à croire à la chance, dans ce monde triste et pluvieux, on est vraiment mal barré.

Au-delà de l’intrigue elle-même, on est d’emblée pris par l’ambiance urbaine et humide, très humide : la pluie, omniprésente, joue d’ailleurs un rôle clé dans ce scénario plutôt malin…

Mais on est aussi conquis par l’efficacité de la narration et de la construction visuelle, véritablement impressionnante, qui alternent pages d’illustrations aux couleurs chatoyantes et suites de cases aux dialogues ciselés (fort bien traduits du néerlandais par Maurice Lomré).

Ayant commencé à travailler pour le grand écran et la télévision en tant que directeur artistique indépendant, graphiste pour accessoires, photographe et artiste storyboarder, Joris Mertens sait aller à l’essentiel : il excelle avec ce touchant récit, quasi cinématographique, qui nous donne à voir la société et les individus tels qu’ils sont…

Gilles RATIER

(1)  Pour en savoir plus sur « Béatrice », le précédent petit chef-d’œuvre de Joris Mertens, voir la chronique de Didier Quella-Guyot sur BDzoom.com : Béatrice ou la vie d’une autre ?.

« Nettoyage à sec » par Joris Mertens

Éditions Rue de Sèvres (25 €) — EAN : 978-2-81020-170-9

Parution 20 avril 2022

Galerie

2 réponses à Joris Mertens : un auteur à suivre…

  1. Le principe de l’objet transitionnel represente par ce sac mysterieux rouge, le recyclage du mythe de Faust : revivre une autre vie et ce qui va avec, sont certes des themes qui ont deja servi mais Joris Mertens s’en acquitte fort honorablement.

  2. EC Comics fan dit :

    _ J’aime bien … cela rappel les années 70/80 (la 404 bleu/verte , les parties
    de belote les week-ends dans les bistros du bled , les filles aussi ^^) .

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