Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Guy Mouminoux — Guy Sager — Dimitri : trois signatures pour un seul homme !
L’évocation du nom de Dimitri fait encore sourire bien des lecteurs du Charlie hebdo de la grande époque. Celui de Mouminoux évoque de nombreux bons souvenirs aux vieux lecteurs des illustrés d’antan. Enfin, Guy Sajer, le moins productif — mais le plus lu —, est l’auteur d’un best-seller qui a fait couler beaucoup d’encre. Trois signatures pour un seul homme qui vient de nous quitter le 11 janvier 2022…
Né le 13 janvier 1927, à Paris, Guy Mouminoux est le fils d’Alsaciens.
En 1942, alors âgé de 16 ans, il s’enrôle dans la Wermacht : l’armée allemande.
Envoyé sur le front de l’Est, il participe à la bataille de Stalingrad.
De retour en France, après avoir purgé sa peine pendant trois ans dans la marine, il se lance dans la bande dessinée.
Dès 1947, il dessine « Monsieur Minus » dans Nous les jeunes, collabore à  O.K, puis crée le personnage de Zar’O aux éditions Élan dans les modestes revues Ohé et Gong, sans oublier « Maya le Sioux » : sa première grande série.
Il collabore à  L’Équipe junior, Jocko et Poustiquet, Fillette, Joyeuse Lecture où il co-anime le western « Mexico Kid »…
À partir de 1959, il dessine quelques « Belles Histoires de l’oncle Paul » pour Spirou, tout en démarrant une longue collaboration avec les journaux des éditions Fleurus.
Dans Cœurs vaillants il reprend la série moyenâgeuse « Blason d’argent » qu’il poursuit dans Fripounet, dans Âmes vaillantes il réalise de nombreux récits complets…
En 1957, après le décès de Jacques Souriau, il reprend « Robin des bois » dans Hurrah !.
En 1963, il rencontre Joseph Gillain (Jijé), dont il devient l’assistant sur la série « Jean Valhardi » pour l’hebdomadaire Spirou.
Une solide amitié voit le jour, laquelle se poursuivra jusqu’au décès du dessinateur belge.
À la même époque, il réalise de nombreux récits de guerre destinés aux journaux anglais de la Fleetway, traduits en France dans les formats de poche des éditions Impéria : Ranger, Battler Briton…
En 1964, il travaille pour l’éphémère Chouchou (voir Chouchou : un hebdo XXL !) et entre l’année suivante dans les pages de Pilote où, après « Les Disparus de Pol Croac », il crée « Goutatou et Dorachaux » : il abandonne pour l’occasion le réalisme, pour un trait humoristique qui laisse entrevoir le futur Dimitri.
La publication, en 1967, du « Soldat oublié » aux éditions Robert Laffont (signé Guy Sajer le nom de jeune fille de sa mère), lui cause des problèmes.
Bien que s’étant vendu à plus de trois millions d’exemplaires et lauréat du prix des Deux Magots, cet éloge de l’armée allemande lui ferme les portes des éditions de Fleurus, mais aussi de Pilote.Â
Il rebondit dans les pages de l’hebdomadaire Lorraine magazine, puis dans celles des hebdomadaires pour la jeunesse où il signe désormais Dimitri.
En 1973, il adapte « Les  Charlots » dans une série d’albums édités par le Fleuve noir, revient dans Spirou avec « Les Familleureux », crée « Rififi » dans Tintin, imagine « Prémolaire » pour Formule 1 (le successeur de Cœurs vaillants)…
Il travaille aussi pour Charlie mensuel où il propose des récits indépendants : « Deo Gratias », « Le Meneur de chien », « Pognon’s story », « Les Consommateurs », « La Grand’messe » et « L’Abattoir », dont les albums sont édités par Dargaud.
En 1975, il dessine « Krampon » : modestes strips proposés dans Hop !.
Deux ans plus tard, ce léopard devient le héros du « Goulag » dans les pages de Charlie hebdo.
Le succès est au rendez-vous pour le dessinateur qui devient l’ami du professeur Choron (un ancien parachutiste), mais aussi de Reiser.
Toujours pour Choron, il collabore au magazine Grodada, puis à  La Mouise.
Après avoir réalisé « Kaleunt » en 1987, puis « Rapoutitsa », chez Albin Michel et enfin « Koursk » dans la brève version hebdomadaire de Hara-Kiri, il signe d’autres ouvrages indépendants chez Glénat, à partir de 1994 : « Haute Mer », « L’Hymne à la forêt », « Sous le pavillon du tsar », « Kamikazes », « Meurtrier », « D-LZ129 Hindenburg », « Kursk tourmente d’acier » et enfin « Le Convoi » en 2001, sans oublier une reprise de « Krampon ».
Les ventes n’étant plus au rendez-vous, il revient chez Albin Michel avec « Voyage » en 2003, suivi par « La Malvoisine » aux éditions Joker en 2007. Son dernier scénario (« Les Oubliés de l’Empire ») est dessiné en 2008 par Philippe Eudeline chez Joker.
Malgré un trait toujours efficace, ce génial touche-à -tout comprend qu’il est temps de poser ses crayons. Malade depuis plusieurs années, il est donc décédé le 11 janvier à quelques jours de ses 95 ans.
Taciturne, désabusé, admirateur de Céline et ayant depuis longtemps une piètre opinion de l’être humain, Guy Mouminoux se disait anar et aimait la campagne briarde où il vivait depuis plus d’un demi-siècle. Il aimait évoquer avec nostalgie ses nombreuses rencontres avec ses amis Jijé et Reiser : un trio improbable que seule la mort avait séparé.
Il avait évoqué, non sans humour, sa longue carrière dans « La BD… un merveilleux métier de chien » passionnant ouvrage publié en 1999 aux éditions Tambour et Trompette (filiale des éditions de Gergovie) et proposé sous forme de feuilleton dans le magazine Hop !.
Habitant non loin de son village, j’avais rencontré Mouminoux chez lui en 1967.
J’ai eu la chance de le faire travailler à la fin de sa longue carrière, et je conserve un merveilleux souvenir de ses visites à la rédaction avec sa charmante épouse.
Il évoquait, au cours de longues conversations, sa carrière de dessinateur, ses rencontres, mais aussi ses années de guerre qui, jusqu’à la fin, ont marqué au fer rouge sa vie.
Sincères condoléances aux siens de la part de la rédaction de BDzoom.com.
Henri FILIPPINI
Relecture, corrections, rajouts, compléments d’information, mise en pages et en images : Gilles RATIER
Ah la la… Au début de l’année 2020, je m’étais dit en regardant mes rayonnages débordant : « Eh bien, quelle nécropole ! Heureusement de tous nos grands anciens il nous reste encore Uderzo, Mouminoux, Forton et Attanasio ! » Bang, bang, bang ! Longue vie à Dino…
Depuis mes années d’apprentissage dans Tintin, dans les 60s triomphantes, j’ai un rêve : réaliser une édition chronologique intégrale des planches de Rififi, le Moineau turbulent (sans cracher sur les albums du Taupinambour, qui ont le mérite d’exister), qui représente pour moi la quintessence de l’art de Mouminoux : quand tout-il-est-gentil, la satire, le dérisoire, et la cruauté sont juste derrière le marronnier briard, et quand le sort s’acharne, la vie et l’empathie concluent.
Exit hélas Dimitri – je jette un dernier regard en coin sur la croupe de Loubianka qui m’a fait autant… penser que celle de Natacha !
Oui, on a tendance à un peu oublier le grand attrait érotique de beaucoup de récits de Mouminoux, qui, à l’inverse d’auteurs d’albums cantonnés au genre, a su écrire de bonnes histoires autour. Condoléances, et souvenirs… Le Meneur de chiens, quel récit !
« Habitant non loin de son village, j’avais rencontré Mouminoux chez lui en 1967″
Ne me dites pas qu’il était retourné dans son village natal , Varredes ?
Un très grand auteur qui reste encore à découvrir pour beaucoup.
En espérant son retour sous les feux des projecteurs via de belles intégrales.
RIP
…car il ne faudrait pas que Le soldat oublié devienne Le dessinateur oublié…
Snif ! J’aimais beaucoup « Le goulag », indépendamment de toute opinion politique c’était désopilant.
Cet entretien, même s’il n’y est pas beaucoup question de bandes dessinées : https://guerreshistoire.science-et-vie.com/article/nous-avions-retrouve-guy-sajer-le-soldat-oublie-2453
Les « éditions de Fleurus » n’ont jamais existé : ce sont les éditions Fleurus (deux occurrences dans votre texte).
Merci pour ce bel hommage.
Oui, vous avez raison : nous corrigeons cette erreur commise certainement sous le coup de l’émotion.
La rédaction
Je suis étonné que personne ne réagisse sur les propos qui auraient (j’emploie le conditionnel, je reste prudent) été tenus par Mouminoux dans l’entretien cité plus haut où il fait l’éloge de Hitler (rien que ça !), en sus d’autres commentaires bienveillants sur cette Allemagne de l’époque. Des commentaires plus tranchés apparaissent sur cet homme dans d’autres forums (avec des amateurs de BD, donc). Qu’en est-il ici ? M. Filippini ou d’autres pourraient-ils apporter des précisions ? Il y a en effet une différence entre s’engager « malgré soi » et épouser une cause fasciste (l’entretien cité date de 2012 quand même )..
Effectivement, sur l’autre forum que vous évoquez, et dont nous ne dirons bien sûr pas le nom ici, certains commentateurs ont écrit ce qu’évoquait pour eux le décès d’un auteur de BD (dont la vie, le passé, l’histoire et l’Å“uvre sont entièrement connus d’eux), d’autres se sont automatiquement et uniquement focalisés sur la biographie de Mouminoux telle qu’il l’a rédigée et jamais reniée, sans dire un mot de l’auteur de BD disparu. Bien sûr, sur ledit forum, les vieilles insultes croisées ont fusé, ce dont personne ne sort jamais ni indemne ni grandi.
Lisez le bouquin de Mouminoux (il est trouvable) si vous voulez en savoir plus sur ce qu’il a fait de sa vie, indignez-vous à juste titre, savourez son Å“uvre foisonnante si cela vous sied, mais n’encombrons pas ce forum comme l’autre l’a été.
Merci Fred, nous n’aurions pas dit mieux…
La rédaction
Goutatou et Dorochaux
Bien, ma candeur m’a encore joué des tours (je crois que j’écoutais « Indignez-vous » de HK & les saltimbanks pendant que je « rédigeais ») ; je vais reprendre mes lectures d’autres grands disparus que je connais mieux, le Valérian de JC Mezières (dont je garde un excellent souvenir lors d’une rencontre)et Christin, et le Rahan de Chéret ET de R. Lécureux . Merci du conseil, je devrais trouver Le soldat oublié et je n’encombrerai plus (je déteste ça) ce forum BD, désolé du dérangement.