Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Alice Guy : le destin romanesque d’une femme hors normes !
Alice Guy — connue aussi comme Alice Guy-Blaché (à partir de son mariage) — est la première femme réalisatrice de fiction de l’histoire du cinéma : cependant, cette grande créatrice du muet était complètement tombée dans l’indifférence… Du moins jusqu’à il y a une vingtaine d’années, lorsque les efforts de passionnés ont permis de faire ressurgir ses films, que l’on croyait perdus, et son nom, effacé des mémoires. La dessinatrice Catel et son scénariste-compagnon José-Louis Bocquet (1), toujours en quête de bons sujets pour mettre en avant le destin de femmes importantes dans la marche de l’humanité et dont on a oublié le rôle, ne pouvaient qu’être séduits par le parcours hors du commun de cette pionnière qui vécut jusqu’en 1968.
D’autant plus que la vie d’Alice Guy se déploie véritablement comme un roman !
Elle passe une enfance au Chili et en Suisse à la fin du XIXe siècle, une jeunesse en France en tant que secrétaire de Léon Gaumont qui se tourne alors vers le cinématographe naissant, puis en tant que réalisatrice dans l’effervescence de la création spontanée, une existence de femme mariée et de femme d’affaires reconnue aux États-Unis (où elle a monté son propre studio de cinéma : la Solax Company), pays depuis lequel elle écrit, réalise et produit des centaines de films jusqu’à son retour en France en 1922, à l’aube de l’industrialisation du 7e art.
Sa filmographie est tellement pléthorique qu’on l’appelle parfois La Femme aux mille films.Cependant, après des investissements hasardeux et les infidélités de son mari, la maladie, son divorce, puis la restructuration du secteur, cette femme engagée et indépendante, bien seule dans un milieu très masculin, devra survivre en écrivant des contes pour enfants ou des traductions. Ceci, sans jamais retrouver de place dans ce cinéma qu’elle a pourtant largement contribué à inventer.C’est cette passionnante épopée sur une femme complètement hors normes pour l’époque que nous racontent avec sensibilité les auteurs d’autres remarquables biopics : comme ceux sur Kiki de Montparnasse, Joséphine Baker ou Olympe de Gouges, en attendant celui qu’ils consacreront à Anita Conti (la première femme océanographe).Avant de composer leur copieux roman graphique de 350 pages en différentes scènes marquantes de la vie de cette incroyable défricheuse totalement novatrice, Catel et Bocquet, comme à leur habitude, se sont d’abord très sérieusement documenté sur leur sujet et sont partis en repérages pour visiter certains lieux où Alice Guy aurait vécu.De leur complicité est née l’élaboration d’un scénario au découpage dynamique, mis en valeur par le trait délicat de la dessinatrice, experte dans le travail en noir et blanc avec différents niveaux de gris. Certainement l’une des bandes dessinées les plus réussies de cette rentrée…
Gilles RATIER
(1)  Sur Catel, voir, parmi nos récentes chroniques : René et Anne Goscinny, héros d’une chaleureuse biographie en BD !, « La Princesse de Clèves », entre cœur et devoir amoureux…, Les femmes dans la bande dessinée européenne francophone…, « Joséphine Baker » par Catel et José-Louis Bocquet, « Adieu Kharkov » par Catel, Claire Bouilhac et Mylène Demongeot, « Ainsi soit Benoîte Groult » par Catel, « Olympe de Gouges » par Catel et José-Louis Bocquet…
« Alice Guy » par Catel et José-Louis Bocquet
Éditions Casterman (27,95 €) — EAN : 9 782 203 171 657