« Sélénie » : de la Lune à la Terre avec Fabrice Lebeault…

Loin de la Terre dévastée, une petite communauté s’est réfugiée sur la face cachée de la Lune. Rien ne va plus quand un curieux vaisseau s’écrase à faible distance. Espoir ou menace ? Pour en avoir le cœur net, Sélénie, Verne et Méliès partent à sa recherche… En 60 planches, Fabrice Lebeault rend hommage à la science-fiction d’antan : « Buck Rogers », « Flash Gordon » ou « Le Rayon U », l’auteur nous promet un voyage par anticipation dans le rétrofuturisme !

Un monde confiné... (planches 6 et 7 - Delcourt 2021).

En couverture, un rocailleux paysage lunaire se dévoile. Au premier plan, une jeune femme est juchée sur une étrange monture blanchâtre, croisement de cheval et d’hippocampe. Aux alentours, un véhicule d’exploration à larges roues gonflables (le pneumaphore), une taupe (toute aussi albinos que l’animal précédemment décrit) et une gravure en forme de lézard sur un rocher. Enfin, le titre « Sélénie » qui évoquera à la fois les Sélénites, habitants imaginaires de la Lune, et la pierre de gypse. L’héroïne (Sélénie, donc), ici présentée seule dans un environnement inquiétant, installe à notre regard un cadre science-fictionnel : celui-ci, bien sûr, est stipulé par le lieu (la Lune), mais aussi par l’ouverture en toile de fond sur un ciel noir, le satellite terrestre étant dénué d’atmosphère. Créatures inconnues, véhicule exploratoire, habits et encadrement du visuel agissent comme éléments de connotation supplémentaire. D’autres, absents, poussent à nous interroger : pourquoi Sélénie ne porte-t-elle pas de casque respiratoire ou de combinaison de protection ? La présence d’une arme suppose-t-elle un danger invisible ? Est-elle seule ou d’autres humains l’accompagnent-ils, notamment à l’intérieur du véhicule ?

Monde post-apocalyptique et communauté extra-terrestre : deux socles de la SF (planches 1 et 8 - Delcourt 2021).

En habitué des genres SF – Fantastique et des thématiques poético-philosophico-futuristes, Fabrice Lebeault a successivement signé depuis 1994 « Horologiom » (7 tomes parus chez Delcourt jusqu’en 2014), « Le Croquemitaine » (2 tomes en 2004 et 2006 chez Dupuis ; scénario de Denis-Pierre Filippi) et « Le Spirou de… T12 : Fondation Z » (Dupuis 2018 ; scénario par Filippi). Parmi les références avouées : Jules Verne, George Méliès et son « Voyage dans la Lune » (1902), George Orwell, « Le Roi et l’Oiseau » de Paul Grimault et Jacques Prévert (1980), Moebius. Des pulps SF traditionnels en passant par « Le Rayon U » d’Edgar P. Jacobs (titre de 1943, succédant alors dans Bravo ! au « Flash Gordon » d’Alex Raymond, et dont Jean Van Hamme a concocté la suite…) ou l’esprit de « La Guerre des mondes » (H.G. Wells, 1898), Lebeault a conservé une atmosphère tiraillée entre questionnements de l’enfance et angoisses du monde adulte. De fait, tout au long de sa soixantaine de planches, « Sélénie » réinvestira de nombreux topoï de la SF : colonie transportée ailleurs, Terre inconnue, guerre atomique, robots et androïdes, êtres aux pouvoirs extraordinaires, lutte entre le bien et le mal, nouvelles technologies, vie sous un dôme protecteur (relire « Dôme » de Stephen King (2009), mais aussi la nouvelle éponyme de Fredric Brown, publiée dès 1951), vie artificielle et exploration spatiale.

Accommodé au style des années 1930-1940, le rétrofuturisme de « Sélénie » bascule en conséquence dans le dieselpunk, sous-genre inspiré par les films noirs, l’expressionisme allemand, l’art déco ou les designs Streamline Moderne. Le présent album n’est pas le premier à s’inspirer de ces divers éléments : l’on relira ainsi les séries « La Nef des fous » (Turf) et « Les Trois Fantômes de Tesla » (Richard Marazano et Guilhem) ou le bien-nommé diptyque « Streamliner » de ‘Fane, avant de jeter un œil sur « Le Géant de fer » de Brad Bird (1999), « Dark City » (Alex Proyas, 1998) ou « La Cité des enfants perdus » (Caro et Jeunet, 1995). Colorisé avec talent par Greg Lofé, très imaginatif, rempli de suspense et non dénué de surprises, « Sélénie » se clôture, pour sa part, sur un cahier graphique de sept pages, où l’auteur commente la genèse de ses principaux personnages. Un retour vers le futur qui vous donnera certainement envie de replonger dans quelques classiques, aux portes des étoiles, de « Planète interdite » en « Chroniques martiennes »…

Philippe TOMBLAINE

« Sélénie » par Fabrice Lebeault
Éditions Delcourt (15,95 €) – EAN : 978-2413015215

Galerie

2 réponses à « Sélénie » : de la Lune à la Terre avec Fabrice Lebeault…

  1. Lemaire J-Michel dit :

    j’ai adoré !

  2. liaan lusabets dit :

    Un petit côté Philip K. Dick dans le récit, non ?
    Très chouette album.

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