« Chroniques de Roncevaux T1 » : l’épique aux basques !

Avec la « Chanson de Roland », la mort légendaire du supposé neveu de Charlemagne à Roncevaux est entrée dans le folklore national. Mais qu’en est-il des troubles réalités et des circonstances ayant conduit à ce cuisant massacre des troupes franques par les Vascons en 778 ? En auteur complet, Juan Luis Landa appose son trait précis sur les prémices de cet événement légendaire : une date devenue symbolique à l’heure de la Reconquista hispanique, des Croisades et, plus largement, de la guerre idéologique confrontant les Chrétiens aux Musulmans… Disponible dès le 14 avril chez Glénat, voici le premier volet à grand spectacle d’un diptyque pour le moins épique !

Chroniques des temps de guerre, contre les Saxons (planches 1 et 2 - Glénat 2021).

Roi des Francs en 768, Charles 1er (dit Charles le Grand) a reçu en héritage de son père Pépin le Bref un territoire allant du Rhin à la Garonne. Le duc de Gascogne, qui a prêté serment au nouveau monarque, lui a demandé de protéger sa région, laquelle s’étend de la Garonne jusqu’au sud des Pyrénées, incluant des villes comme Pampelune. Cette marche hispanique en devenir, composée de comtés dépendants des Carolingiens et de garnisons militaires défensives, présuppose que la conquête musulmane de la péninsule ibérique n’est plus qu’une menace relative. Or, en 777, l’instabilité demeure, dans la mesure où Suleyman ibn Yaqzan al-Arabi, le gouverneur musulman de Barcelone, s’est révolté contre l’émir de Cordoue, puissant ennemi Omeyyade de Charles. Très officiellement, le Wali (gouverneur) a demandé l’aide des Francs pour tenir la ville de Saragosse. Ce haut lieu du christianisme, par ailleurs enjeu stratégique et économique majeur, motive Charles à engager ses armées. D’après les sources médiévales, l’opération est un succès : les troupes franques (composées de 30 000 Bavarois, Bourguignons, Bretons, Gascons, Provençaux, Lombards, Mosellans, etc.) soumettent Pampelune et Barcelone, puis se rejoignent à Saragosse… ville qui résiste et refuse d’ouvrir ses portes. Car, entre-temps, l’émir Abd Al-Rahman a donné ses ordres… Craignant un long siège autant qu’un piège, Charles s’en retourne vers la ville vasconne de Pampelune (dont il rase une partie des murailles) avant de revenir vers son pays franc, notamment pour s’occuper des Saxons qui viennent de se révolter.

Le royaume franc de Pépin le Bref à Charlemagne (751-814).

La mort de Roland à Roncevaux, représentée sur un parchemin enluminé par David Aubert (1462), dans les « Chroniques des empereurs ».

C’est dans ce contexte d’affrontements généralisés que survient l’épisode de Roncevaux, dont les archéologues et les historiens peinent encore à circonscrire la date et les faits avec exactitude. Différents textes, manuscrits et annales constituent néanmoins des sources précieuses, dont la « Vie de l’empereur Charlemagne », rédigée par Éginhard entre 826 et 829 au palais d’Aix-la-Chapelle. Attaquée par surprise par (suivant les versions…) des Basques, des Vascons ou des Gascons, l’arrière-garde de l’armée franque est décimée en Navarre dans le col de Roncevaux, peut-être le jour du 15 août 778. Plusieurs personnalités sont tuées, dont le vaillant chevalier Roland, préfet de la marche de Bretagne. Immortalisé tardivement dans la « Chanson de Roland » (XIIe siècle), avec son appel de cor (ou olifant) désespéré et sa résistante épée Durandal face à d’innombrables ennemis devenus Sarrasins, Roland redevient donc l’objet central du présent album, riche de 64 pages.

Au Sud, les Sarrasins : amis ou ennemis pour Charlemagne ? (planches 7 et 9 - Glénat 2021).

Maître de son scénario comme de son graphisme, Juan Luis Landa adopte le point de vue quasi omniscient d’un chroniqueur fictif prénommé Angelo de Syracuse. Historiquement vainqueur des Saxons (commandés par Widukind) entre 772 et 785, Charlemagne détruit notamment leur principal sanctuaire, l’Irminsul, tronc totémique symbolique de la résistance du paganisme local. L’épisode de cette conversion de la Saxe (élément de l’ex-Germanie romaine) par la force et la violence anticipe donc chez Landa celui de l’expédition en Espagne ; l’armée franque ne se dirige en conséquence que dans un second temps vers Saragosse, afin de réduire cette grande ville du nord de l’Aragon. La description des arcanes, préparatifs, péripéties et traîtrises liées à cette lourde expédition militaire occupe ce premier volume, les ambitions des uns et l’orgueil aveuglant des autres annonçant déjà les drames à venir ; et la bataille de Roncevaux à proprement parler, donc, placée sous de mauvais augures.

Planches encrées par l'auteur (sources : Facebook de Landa).

L’auteur explique : « Pourquoi choisir ce thème ? J’ai toujours été amoureux du Moyen Âge mais, au cours de ses huit siècles de durée, le 8siècle m’a plus spécifiquement fasciné : étant la période la plus sombre depuis la chute de l’Empire romain, on y racontait des événements transcendantaux qui ont marqué l’avenir de l’Europe. Alors que la religion chrétienne œuvre toujours pour mettre fin aux poches de paganisme qui abondent encore, une nouvelle religion, l’Islam, éclate au sud de manière écrasante. Dans ce contexte, une bataille aura lieu à Roncevaux qui engendrera le mythe de Roland. Curieusement, les mêmes personnes qui l’ont tué, les Basques, en feront un être mythologique, un géant qui vit dans leurs montagnes. Au même moment, les restes de l’apôtre Saint-Jacques ont été découverts à Compostelle et les premiers pèlerins ont commencé à arriver d’Europe pour s’y rendre en passant par Roncevaux. Donc, ce merveilleux coin des Pyrénées devient une scène passionnante pleine d’aventures que j’ai toujours voulu raconter et dessiner. Je suis Basque et, en tant que Basque, Roncevaux a toujours palpité dans mon cœur. »

Graphiquement, dire que l’album est somptueux serait un euphémisme et l’on retrouve ici tout le savoir-faire du dessinateur qui nous avait déjà ébloui avec « Arthus Trivium » (quatre tomes scénarisés par Raule entre 2016 et 2019). Variété des cadrages et des expressions, richesse des détails, beauté des couleurs, dynamisme de la narration et tension croissante : placée dans le pas d’un Roland jusque là héroïque et invincible, l’attente du deuxième et dernier tome est d’ores et déjà haletante !

Philippe TOMBLAINE

« Chroniques de Roncevaux T1 : La Légende de Roland » par Juan Luis Landa
Éditions Glénat (19,99 €) – EAN : 978-2344038567

Galerie

Une réponse à « Chroniques de Roncevaux T1 » : l’épique aux basques !

  1. JOSE ANGEL OLABE dit :

    Landa est un génie. Une magnifique bande dessinée avec une grande qualité dans le dessin, la couleur et la scénographie. Et très bien documenté. Spectaculaire!

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