Michel Magne : les extrêmes d’une vie d’artiste…

« Les Amants d’Hérouville » est un album atypique, à plus d’un titre : la biographie d’un artiste peu connu du public, mais qui a marqué la vague créative des années 1960 et 1970, compositeur de musiques de films et chef d’orchestre. Planches de BD, avec parfois incrustations de photos d’époque, textes explicatifs illustrés, photos d’archives, filmographie, discographie, et hommages pour clore l’ensemble, tout cela en fait plus qu’une BD, un livre complet.

L’artiste a de quoi fasciner : filmographie impressionnante où se côtoient grands noms et films célèbres et même cultes, des disques de chansons avec Sagan, Gréco, Salvador, Mouloudji et tant d’autres, de l’expérimental, du jazz…

Mais cet album décrit surtout sa vie, de l’intérieur, en abordant ses hauts brillants et ses bas profonds, avec un style vif, limpide, et très agréable à suivre.

Sa trajectoire, touchante jusqu’au tragique, et pourtant drôle par moments, est vue à travers Marie-Claude, l’amour de sa vie, et le fameux château d’Hérouville où il avait installé ses studios si novateurs pour l’époque.

Une vie si peu conventionnelle, même pour cette période débridée, transformée en rêve, ne serait-ce que pour un temps… Hasard ou non, en tout cas bonne nouvelle, certaines de ses musiques sont maintenant rééditées : à saisir.L’album s’ouvre sur le château en feu (1969), cassure qui annonce une vie en dents de scie.

On embraie alors sur la rencontre avec Marie-Claude, mineure (moins de 21 ans à l’époque), dont il fait la baby-sitter de ses enfants.

Elle sent qu’il se passe quelque chose avec lui. Il mène une vie confuse, trépidante et aménage son château pour y installer des studios d’enregistrement.

Même son cuisinier est poète. De façon éclatée, on assiste au bouillonnement créatif, à la fête.

Il invite population du village, mais aussi artistes tels que le groupe américain Grateful Dead. Notre époque a du mal à imaginer cette vie où tout était plus libre, insouciant et joyeux.Après l’incendie, Magne renaît de ses cendres et continue d’arrache-pied, à composer, à enregistrer.

Il reçoit les plus grands de la musique pop ou rock, pas seulement pour des fêtes, mais pour enregistrer : Elton John, Johnny Hallyday, David Bowie, et bien d’autres.

Quelques chapitres en textes illustrés de dessins, photos, presse et pochettes de disques éclairent des passages de sa vie absents de la BD.

Ainsi, l’enfance, les débuts, l’histoire avec Sagan qui donnera un disque chanté par Gréco, la musique d’avant-garde, la peinture. Ces parties très documentées offrent un complément solide à la BD qui se veut enlevée, spontanée, lisible. Ce style simple et direct fait mouche : les nombreuses pages se lisent avec gourmandise.

Un chapitre spécial est évidemment consacré à la musique de film, production la plus importante pour laquelle il est encore connu et reconnu.

Citons « Les Barbouzes », « Les Tontons flingueurs » de Lautner, les Verneuil « Un singe en hiver », « Mélodie en sous-sol », les pêchus « OSS 117 » (pas moins de quatre), les cinq « Angélique marquise des anges », deux des premiers Costa-Gavras dont l’excellent « Compartiment tueurs », « Symphonie pour un massacre » du jeune Jacques Deray, « Belle de jour » de Buñuel, « De la part des copains » avec Bronson, les Vadim « Le Repos du guerrier », « Don Juan 73 » et le refusé « Barbarella », entre autres.Accablé de dettes, son château et ses droits d’auteur saisis, il continue à se battre, travailler pour payer ses dettes et exister en artiste.

On assiste au destin dramatique — comme si le sort s’acharnait sur cet artiste hors normes — d’un homme aux rêves trop grands. Et la spirale l’entraîne, ce qui donne des pages fortes et dramatiques pour le dernier tiers de l’album, révélant sa part d’ombre.

Hossein, pour sa dernière grande œuvre de cinéma, lui offre également la sienne : « Les Misérables », long et beau film avec Ventura, Bouquet, Carmet. Parmi ses compositions pour ce film, il conçoit un requiem… qui sera aussi le sien.

À la fin, l’album présente des photos de Marie-Claude, qui a pu rendre possible le livre, celles qui racontent Hérouville, son abandon, des souvenirs, et des émouvantes postfaces signées Costa-Gavras, Eddy Mitchell et Sempé. Rare aussi, il liste la chronologie des enregistrements des studios du château, filmographie complète (110 films !), du « Pain vivant » (1954) au plus discutable « Emmanuelle 4 » (1984), avec titres mis en avant, et une discographie sélective très variée. Un beau livre, à la fois sensible et fort, dans lequel on sent un engagement total des auteurs.

Après lecture, on n’a qu’une envie : (re)découvrir quelques musiques, à travers des compilations ou disques plus moins anciens encore disponibles ou réédités.

Par exemple, « Les Misérables » et le pop/électro « Moshe Mouse Crucifixion/Don Juan 73 » sortent en CD complet chez Playtime (et ce dernier en vinyle chez Diggers Factory), ainsi que les vinyles (et en téléchargement) de quelques musiques pour Jean Yanne, « Les Tontons flingueurs », la trilogie « Fantomas »… (Universal).

Un grand, qui a marqué la musique française, mais comme déclamait son cuisinier citant Baudelaire : « ses ailes de géant l’empêchent de marcher ».

Patrick BOUSTER

« Les Amants d’Hérouville » par Romain Ronzeau, Yann Le Quellec et Thomas Cadène
Éditions Delcourt (27,95 €) — EAN : 978-2-413-00347-2

Galerie

Une réponse à Michel Magne : les extrêmes d’une vie d’artiste…

  1. BARRE dit :

    Lavilliers, Higelin, Couture (Tchao pantin) y ont enregistrés quelques bons albums dans ce château. Encore un album singulier dans cette formidable collection « mirages »

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