« La Balance, le glaive et les fourmis » : Jean-Luc Loyer et Xavier Béteaucourt font justice à la vie de Palais…

À l’exception d’une visite occasionnelle lors des Journées du Patrimoine, se rendre dans un palais de justice est rarement un plaisir. L’Angoumoisin Jean-Luc Loyer, pilier de l’Atelier du Marquis, et son complice nordiste Xavier Béteaucourt ont quant à eux choisi d’y passer deux années entières ! Pour la bonne cause, naturellement, et surtout pour mieux rendre compte des arcanes de ce décor mal connu, où de grands drames côtoient quotidiennement des tracas prêtant un peu moins à conséquence. Loin de l’imagerie à sensation télévisuelle, cet ouvrage de 176 pages, truffé de savoureuses anecdotes en liens avec le tribunal de la préfecture de Charente, vous permettra de mieux comprendre comment procureure, juge, greffier ou avocate font véritablement vivre la justice en France.

Enquête au palais... (planches 8 et 9 - Futuropolis 2021).

Ce n’est pas la première fois que le duo Loyer/Béteaucourt est interpellé sur le fait. Outre un « Noir métal » (2006) de sinistre augure pour l’usine Métaleurop, c’est en 2016 que les complices furent aperçus avec « Le Grand A », occupés à déambuler (y compris de nuit…) dans les rayons d’une grande surface pendant la période des fêtes de Noël ! Las : après vérification des services compétents, force fut de reconnaître qu’il s’agissait simplement d’une enquête portant sur le fonctionnement du (deuxième) plus grand hyper de France, en l’occurrence le magasin Auchan situé à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), 21 850 m² au compteur. Toujours liés par contrat avec l’un des pontes du secteur de l’édition en matière de bd reportage, voici donc que les deux hommes (l’un au moins s’avouant « Cintré(e) » !) s’infiltrent désormais derrière les murs du tribunal d’Angoulême… Étudions donc comme il se doit cette nouvelle affaire… pour le moins judiciaire.

Commençons par les lieux du crime, ou du moins, par l’endroit où ils sont usuellement évoqués et jugés. Le tribunal, donc, terme qui doit son sens premier à la tribune surélevée depuis laquelle les magistrats désignés rendent la justice. Cette dernière est usuellement représentée via l’allégorie de la déesse grecque Thémis : les yeux bandés en signe d’impartialité, cette incarnation de la loi (divine) porte souvent une épée ou un glaive (symbole du châtiment et puissance de l’état souverain) ainsi qu’une balance (l’équilibre du jugement équitable). L’on comprendra mieux dès lors le sens du titre de ce one shot qui rajoute à ces deux attributs des « fourmis » : celles-ci ne sont autres que les différents corps de métiers s’affairant dans les méandres de l’administration et des dossiers en attente, entre victimes, témoins et accusés, pour y effectuer une travail digne de l’agitation de ces myrmicidés.

Le tribunal d'Angoulême dans les années 1900.

... Et de nos jours (Photos : Filmfrance.com).

Dans la fourmilière angoumoisine, ce ne sont ainsi pas moins de « 23 magistrats, 48 greffiers et 3 directrices du greffe du palais de justice d’Angoulême [qui] gèrent les 35 682 dossiers en attente… », si l’on en croit l’énumération effarante et ironique effectuée en couverture à la manière de Goscinny et Uderzo sur le premier plat originel d’« Astérix et Cléopâtre » (1965). Achevé dans un style néoclassique en 1826 par Paul Abadie père, le palais de justice d’Angoulême fut modernisé dans les années 1990. Installé place Francis Louvel, il accueille aujourd’hui les tribunaux d’instance (TI ; litiges et préjudices de la vie quotidienne inférieurs à 10 000 €) et de grande instance (TGI ; litiges supérieurs à 10 000 €), ainsi que le conseil des prud’hommes (conflits entre employeurs et salariés). Certains d’avoir « plein de choses à raconter » sur le sujet, Béteaucourt et Loyer prirent contact avec Mickaël Janas et Patrice Cambérou, anciens président du tribunal et procureur, tous deux passionnés de bande dessinée. L’autorisation de la chancellerie une fois acquise, les auteurs furent donc autorisés à arpenter – plus ou moins librement – les couloirs, à pousser les portes et interroger les habitués des lieux…

Pour les auteurs, il n’était pas question de réaliser un ouvrage pédagogique sur la justice. Interviewés par la Charente Libre dès octobre 2017, ils déclaraient ainsi : « Il faut qu’on apprenne des choses en nous lisant, mais on ne veut surtout pas donner de leçons. Quelqu’un qui travaille dans un tribunal doit s’y retrouver, et quelqu’un qui n’y connaît rien doit tout comprendre. On va raconter une histoire. À travers plein de petites touches impressionnistes qui bout à bout raconteront la vie du palais de justice. » Sans oublier de raconter les audiences et les procès : « On a vu des gens qui viennent là comme au spectacle. C’est vrai qu’il y a une volonté de mise en scène, des costumes, un cérémonial, c’est très codifié. Les procès sont une toute petite partie de ce qu’on montre. On veut raconter l’histoire de ceux qui travaillent ici. » Parmi les difficultés exprimées avec humour par les compères : comprendre le sens des nombreux acronymes utilisés (bien malin est celui qui sait par exemple que le GUG (le Guichet unique du greffe) est devenu le SAUJ, le Service d’accueil unique du justiciable) et repérer les spécificités ou les fonctions de chaque interlocuteur.

Le grand théâtre de la Justice (page 78 - Futuropolis, 2021).

En s’attardant sur l’humain, les auteurs (et probablement les lecteurs à leur suite…) découvrent que la machinerie judiciaire repose sur d’innombrables compétences. Au travers de dizaines d’anecdotes personnelles, dessinés par Loyer dans un style rond rehaussé de quelques couleurs, ces petites mains (ou ces « fourmis ») de la magistrature prennent ici un visage et une apparence qui transcendent ce one shot. Elles rendent tour à tour intelligente, humoristique, grave ou tout simplement accessible la portée de leurs actes quotidiens, souvent lourds de conséquences. Au-delà des difficultés administratives, humaines, informatiques, mobilières ou immobilières, juge, greffière, clerc d’huissier ou éducatrice de la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse) mettent chacun du cœur à l’ouvrage. En accord avec la sensibilité des auteurs, ils en mettent aussi au cœur de chaque planche de cet ouvrage très éclairant. Rendons leur justice sur ce point !

En guise de bonus : la genèse de la couverture, racontée par Jean-Luc Loyer :

Philippe TOMBLAINE

« La Balance, le glaive et les fourmis » par Jean-Luc Loyer et Xavier Béteaucourt
Éditions Futuropolis (22,00 €) – EAN : 978-2754823807

Galerie

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