« M.O.R.I.A.R.T.Y » : une série à toute vapeur !

1899, Londres, Sherlock Holmes… et un mystérieux automate friand de poker. Dans cet univers steampunk, le monstrueux Hyde dévaste une fumerie d’opium tandis que le machiavélique professeur Moriarty prépare en secret une armée de surhommes. Lancée avec ces ingrédients depuis septembre 2018 chez Delcourt, la série « M.O.R.I.A.R.T.Y » est une trépidante variante du canon holmesien qui fait mouche : haletante, l’intrigue fait comme il se doit de nombreux clins d’œil aux fans du mythique détective créé par Arthur Conan Doyle en 1887. Si les deux premiers tomes avaient été dessinés par Stevan Subic, le nouvel album paru ce mois-ci inaugure un deuxième diptyque sous les crayons de Gess. Notre détective préféré doit, cette fois-ci, arrêter un voleur aux multiples avatars : auteur d’extravagants larcins commis lors des étapes d’une grande course autour du monde en ballon…

Couvertures réalisés par Nicolas Siner pour les deux premiers volumes (Delcourt, 2018 et 2019).

Ambiance victorienne (T1 : planche 4) et machineries (T2 : planche 27) : la définition du steampunk.

Apparu dans les années 1980, le courant littéraire baptisé steampunk désigne une uchronie faisant référence aux machines à vapeur, à la révolution industrielle et à l’époque victorienne. L’on ne s’étonnera donc pas d’y voir associer tant Sherlock Holmes que les romans de Jules Verne, d’H.G. Wells ou, en l’occurrence, de Stevenson (« L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, 1886 »). Les amateurs du genre ont par ailleurs déjà parcouru à la loupe ses pastiches classiques que sont (en VO) « Sherlock Holmes’War of the Worlds » (Mandy Wale Wellmann et Wade Wellmann, 1975), « Exit Sherlock Holmes » (Robert Lee Hall, 1977), « Gaslight Grimoire : Fantastic Tales of Sherlock Holmes » (J. R. Campbell, 2008) ou encore (en français), « Le Bestiaire de Sherlock Holmes » (René Reouven, 1987). En couvertures de la série « M.O.R.I.A.R.T.Y », les somptueuses illustrations réalisées par Nicolas Siner annoncent ici la couleur : Holmes et Watson doivent comprendre ce qui se trame lorsque la belle horlogerie du puissant empire britannique commence sérieusement à se dérégler ! Sous un ciel crépusculaire encombré de dirigeables géants, Londres et Big Ben semblent craindre le pire : le mal, visiblement mécanique, inhumain et pour ainsi dire totalitaire, érige en ce tournant du siècle des « Temps modernes » qui font déjà froid dans le dos. Dans ce décor aussi science-fictionnel que polar, qui n’est pas sans renvoyer aux films de Guy Ritchie (« Sherlock Holmes » en 2009, « Sherlock Holmes : Jeu d’ombres » en 2011 ; 3e opus – réalisé par Dexter Fletcher – prévu en 2021), l’intrigue opte pour une nouvelle déviation issue du mythique épisode des chutes de Reichenbach ; disparu corps et âme avec le professeur Moriarty au cours d’une lutte fratricide, Holmes fait donc l’objet d’une véritable résurrection. Reste à savoir ce qu’est vraiment devenu son redoutable ennemi lequel donne également son nom à une série manga publiée par Kana depuis 2018)… Le premier diptyque (« L’Empire mécanique ») n’aura ainsi de cesse de vouloir répondre à une série de questions : quel virus permet de créer les mutants (baptisés Hyde Men) qui déferlent sur la capitale britannique et menacent la couronne ? Qui se cache derrière cette vague de méfaits conjuguant science et haute technologie ? Moriarty est-il vraiment mort, ou n’est-il qu’une entité, un concept aussi maléfique qu’indestructible ? Avant d’obtenir quelques certitudes, Mycroft Holmes (frère du détective et grand ponte du renseignement britannique) devra s’allier au jeune Winston Churchill pour aider Sherlock et contrer Li Mei, veuve d’Alfred Nobel et associée de James Moriarty. Notons que ceux qui ne connaissent pas encore cette série pourront la découvrir au début du mois de juillet, par le biais de l’opération 48H BD 2020 : le premier tome vous sera alors proposé… pour un coût de seulement 2 euros !

Encrage de Stevan Subic pour une case du T1.

Rien ne sera épargné, pas même le 221B Baker Street... (extrait du T2, planche 11 - Delcourt 2019).

Maquette de couverture pour une intégrale encore inédite du 1er cycle (éditions Black & White).

Avec son trait n’ayant rien à envier à Mike Mignola, le Serbe Stevan Subic (« L’Homme de l’année T10 : 1666, l’homme à l’origine du grand incendie de Londres », scénario de Fred Duval et Nicolas Moustey, 2015) compose des planches impressionnantes, où pullulent personnages, action, décors et machines à vapeur extraordinaires. Si « James Bond » et la « Ligue des Gentlemen extraordinaires » (par Alan Moore et Kevin O’Neill, depuis 2001) sont les références majeures, c’est tout l’art de la narration qu’il faut saluer : Fred Duval et Jean-Pierre Pécau signent ici quelques uns de leurs meilleurs scénarios, truffés de répliques (ou punchlines) aussi fines que « so british ». Une parmi d’autres, extraite du tome 2 (p. 40) et replacée dans la bouche de son auteur, l’ironique Winston Churchill : « Vous connaissez mon point de vue. En Angleterre, tout est permis, sauf ce qui est interdit. En Allemagne, tout est interdit, sauf ce qui est permis. En France, tout est permis, même ce qui est interdit. Et en Russie, tout est interdit, même ce qui est permis… »

Un Tour du monde (revisité) façon Jules Verne ? (extrait du T3 - planches 1 et 2 ; Delcourt 2020).

D’origine rouennaise, Gess est connu de nombreux bédéphiles pour le dessin des huit premiers volumes de la série « Carmen McCallum », scénarisée par Olivier Vatine puis Fred Duval depuis 1995. Ayant passé la main à Emem en 2009, Gess participera notamment à la grande aventure (aux accents steampunk) de « La Brigade chimérique » en compagnie de Serge Lehman, puis à l’adaptation chez Glénat de Conan le Cimmérien (T9 : « Les Mangeurs d’hommes de Zamboula » en 2020). Nous le retrouvons donc sur l’actuel « M.O.R.I.A.R.T.Y T3 : Le Voleur aux cent visages », où Holmes fait face à un individu aux multiples personnalités (voir sur le même sujet le film controversé « Split » de M. Night Shyamalan, réalisé en 2016 avec James McAvoy). En couverture, devant un décor devenu parisien avec la présence métallique de la tour Eiffel, la silhouette de l’agité voleur pourra faire songer à celle du « Joker », remis en lumière sur grand écran fin 2019 (film de Todd Philipps et performance de Joaquin Phenix). Folie, hystérie, neurologie hypnose et psychiatrie sont les mots-clés de cet album où les seconds rôles se nomment Sigmund Freud et Jean-Martin Charcot, pionniers de l’étude des psychopathologies. Comme l’indique le titre de la série, si Holmes est bien le héros attendu, Moriarty garde toujours une longueur d’avance : étant tous les deux des as du déguisement, l’intrigue multiplie les rebondissements inattendus et les jeux de masques autour des deux principaux protagonistes. Bien malin sera donc celui qui pourra prédire ce qui se passera deux planches plus loin… ou dans le tome 4 à venir. Rien n’est aussi élémentaire dans cette intrigue aux cents facettes !

Philippe TOMBLAINE

« M.O.R.I.A.R.T.Y T1 : Empire mécanique 1/2 » par Stevan Subic, Nicolas Siner, Jean-Pierre Pécau et Fred Duval
Éditions Delcourt (15,50 €) – EAN : 978-2756071909

« M.O.R.I.A.R.T.Y T2 : Empire mécanique 2/2 » par Stevan Subic, Nicolas Siner, Jean-Pierre Pécau et Fred Duval
Éditions Delcourt (15,50 €) – EAN : 978-2756099255

« M.O.R.I.A.R.T.Y T3 : Le Voleur aux cent visages » par Gess, Nicolas Siner, Jean-Pierre Pécau et Fred Duval
Éditions Delcourt (14,50 €) – EAN : 978-2413021773

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