Peut-on toujours sourire quand le pire vous arrive ?

Le triangle amoureux en milieux scolaires reste un poncif des mangas pour jeunes filles. Néanmoins, il n’y a pas qu’une seule manière de parler de ce phénomène, comme le prouve « Don’t Fake Your Smile ». Niji, Taku et Hiyori ne représentent pas les archétypes classiques d’une romance simple. Ici, on n’est plus dans le Kawai sirupeux et l’empathie est de mise pour appréhender cette histoire. Empathie qui va cruellement faire défaut à l’un des protagonistes, alors qu’ils vont tous essayer de dissimuler leurs émotions.

Niji est une fille forte, elle est vice-présidente du club de judo et n’hésite pas à tenir tête à ses camarades masculins. Les nouveaux n’y voient souvent qu’une opportunité à la plaquer au sol lors des entraînements, pour espérer la tripoter au passage. Elle n’hésite pourtant pas à jouer le jeu et a très vite le dessus, empêchant toute velléité déplacée à son égard. Si elle se considère comme la princesse du club, elle a plutôt le surnom de Grizzly du club de judo. Petit nom notamment utilisé par Taku Ando, le président. Ce dernier en pince pour cette championne au caractère bien trempé. Mais un quiproquo va lui faire croire qu’elle a accepté les avances de son ami Hiyori. Pourtant, celui-ci lui a juste avoué qu’il était gay et l’accolade qui s’en est suivie a mal été interprétée par Taku. Bougon, il va laisser Niji rentré seul, et c’est ce soir-là que sa vie va basculer, puisqu’elle se fait agresser par un inconnu. Bien qu’elle ait apparemment eu le dessus, les séquelles psychologiques sont énormes.

Clairement, au début de l’histoire, Niji est montré comme une fille forte, alors qu’elle est finalement pleine de sensibilité. Son comportement désinvolte cache clairement une vulnérabilité que son agression va dévoiler tout en changeant son rapport aux autres. Elle va notamment être victime de rumeurs persistantes : comme quoi, il est impossible qu’elle ne se soit pas fait violer. Les autres filles de son école, plutôt faibles, ne s’imaginent pas lutter contre une agression de rue. Plus que l’agression elle-même, c’est ce manque d’empathie et cette victimisation qui vont peser sur le moral de la jeune fille ; laquelle passe d’une battante confirmée à une proie toujours aux aguets. Les deux personnages masculins sont également à contre-courant. Taku n’est pas le gentil garçon à même de conquérir facilement sa princesse. Il est finalement assez égoïste et son agacement, qui l’a empêché de raccompagner sa camarade, a eu de graves répercussions bien réelles. Hiyori, le personnage gay n’est pas stéréotypé, plus commun, le lecteur va être surpris en apprenant son coming out en même temps que Niji.

Aoki Kotomi n’est pas une jeune mangaka, même si elle est nouvelle dans le catalogue Akata : ses précédentes œuvres ayant été publiées par Soleil  : « Lovely Love Lie », « My First Love » et « Secret Sweetheart ». Trois mangas dont les titres sont en anglais, malgré une édition française. Les éditions Akata ont donc continué dans cette direction en optant également pour un positionnement anglophone pour ce titre. Pourquoi pas ? Même s’il est dommage de ne pas profiter de la richesse du français !

« Don’t Fake Your Smile », c’est un peu l’œuvre de la maturité pour cette autrice. On oublie les romances faciles ou la vie rock’n’roll pour se focaliser sur des sujets plus difficiles à traiter de manière simpliste. Si Niji, le lendemain de son agression arrive à annoncer à ses camarades, en souriant, que pour elle tout va bien, il n’en est rien. Elle se ment à elle-même, elle voudrait rester la jeune fille forte prête à affronter la vie avec tous ses désagréments. Mais là, c’en est trop, elle n’avait pas imaginé se retrouver dans cette situation. Surtout que le lecteur ne sait pas exactement ce qui s’est passé puisqu’une éclipse temporelle élude totalement ce passage pour se concentrer sur les séquelles psychologiques qui en découlent. « Don’t Fake Your Smile » n’est clairement pas un manga de voyeur, c’est un manga qui demande avant tout de l’empathie. Voilà ce qui manque à ce trio qui a bien du mal à se comprendre et faire la part des choses. C’est surtout une histoire de faux semblant où chacun se cache aux autres. Niji cache ses faiblesses, Taku cache ses sentiments et Hiyori cache son orientation sexuelle. Ils vivent dans le déni avec toutes les conséquences qui en découlent. C’est finalement un manga assez triste, malgré une ambiance générale joyeuse et au titre, du coup, plutôt bien choisi. En effet, il est question de faux sourire derrière lequel on peut se réfugier, mais ce titre en anglais n’est-ce pas un moyen de se détacher d’un titre trop explicite en français ? À vous de juger de ce double sens finalement bienvenu.

Même si le dessin d’Aoki Kotomi est immédiatement reconnaissable, il a quand même évolué et a, comme l’histoire, gagné en maturité. Les mimiques de situation comme les personnages déformés sont toujours présents, mais utilisés à bon escient. Les expressions comme la joie ou la colère sont extrêmement marquées et le côté faux des personnages n’en ressort que plus. On est dans une romance classique au premier abord qui bascule en tragédie sans tomber dans le mélodrame. L’optimisme est toujours de mise même s’il sonne un peu faux. Il est rare de voir un sujet fort comme les agressions dont sont victimes les femmes traiter de la sorte en manga. Le récit léger du début laisse rapidement place à une vague d’émotion qui ne devrait pas laisser le lecteur insensible.

Gwenaël JACQUET

« Don’t Fake Your Smile » T1 par Aoki Kotomi
Éditions Akata (6,99 €) — ISBN : 2 369 748 184

NIJI, AMAETEYO. © 2017 Kotomi AOKI / SHOGAKUKAN

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