Quelques récentes et passionnantes études érudites sur le 9e art pour briller en société !

Profitant de l’engouement autour d’un certain événement angoumoisin qui vient de consacrer Emmanuel Guibert en tant que son Grand Prix 2020, les éditeurs sortent quelques ouvrages spécialisés méritant vraiment le détour, et dont la fluide écriture n’est pas la moindre qualité ! Que ce soit le survol historique fort bien mené par Benoît Peeters, l’agréable monographie consacrée à Dany par Philipe Tomblaine ou la comparaison audacieuse, mais justifiée, entre Brassens et Hergé, analysée par Renaud Nattiez : des opus, certes quelque peu érudits, mais qui devraient ravir autant les amateurs que le public lambda !

 En se basant sur deux conférences qu’il avait données à la BnF, en 2019, où il constatait l’oscillation fondamentale et fondatrice de la bande dessinée entre le monde de la presse et celui du livre, Benoît Peeters nous narre, en une petite centaine de pages (avec une belle iconographie) les moments phare de l’histoire du 9e art francophone.

En effet, dès son introduction, le scénariste des « Cités obscures » et spécialiste d’Hergé, précise que : « L’histoire des comics ne sera qu’effleurée. Du reste du monde, et notamment du Japon, il ne sera question que de manière très incidente. »

            En tant que témoin et acteur du monde bédéesque, notre théoricien et critique aux intérêts éclectiques s’intéresse particulièrement, ici, aux conditions matérielles de fabrication et de diffusion du medium. Axant son discours sur l’oscillation fondamentale et fondatrice de la bande dessinée entre le monde de la presse et celui du livre, il évoque, ainsi, autant les auteurs (Rodolphe Töpffer, Gustave Doré, Benjamin Rabier, Caran d’Ache, Hergé, Paul Gillon…) que les personnages (La Famille Fenouillard, Bécassine, Blake et Mortimer, Spirou et Fantasio, Barbarella…), les éditeurs (l’Imagerie d’Épinal ou la Maison Quantin, les éditions Casterman, Éric Losfeld…), les magazines spécialisés (Pilote, Pif gadget, L’Écho des savanes, Fluide glacial, Métal hurlant, [À suivre]…) ou les grands mouvements (l’invention de l’album de BD moderne, la grande presse, l’avènement du roman graphique, l’essor de l’édition indépendante…) : un nouvel essai passionnant qui résume, très bien, presque 200 ans d’histoire de notre passe-temps favori.

            Signalons, enfin, qu’en cette année 2020, qui se veut « Année de la BD » en France, la BnF met le genre à l’honneur à travers une nouvelle application (BDnF), des publications, le lancement d’une nouvelle résidence d’auteurs, des conférences et des masterclasses, ainsi qu’une mise en valeur du 9e art dans ses exhaustives collections.            La monographie est un autre biais qui permet d’aborder l’histoire de la bande dessinée et de participer, ainsi, à un certain devoir de transmission des connaissances (1) : notre collaborateur Philipe Tomblaine, par ailleurs enseignant, conférencier et vice-président de l’Association du FIBD, l’a bien compris !

Après Hermann et André Juillard, il retrace, en 256 pages bien illustrées — avec bibliographie à l’appui —, le parcours exceptionnel de Daniel Henrotin, dit Dany, talentueux pilier du journal Tintin sachant alterner dessin humoristique et réaliste, sans dédaigner l’onirisme : comme dans « Olivier Rameau », sa célèbre série écrite par Michel Greg, publiée à partir de 1968.

On lui doit aussi le premier one-shot grand public qu’est « Histoire sans héros » (1975) scénarisé par Jean Van Hamme, avec lequel il collabore aussi sur « Arlequin » (1978), une reprise de la série d’aventures « Bernard Prince » (encore avec Greg, en 1979), des gags érotiques avec « Ça vous intéresse ? » (1990), une incursion dans l’heroic-fantasy avec « Les Guerrières de Troy » dont Arleston lui concocte le scénario, et bien d’autres créations que Philippe Tomblaine remet habilement dans leur contexte. Outre l’évocation chronologique, à partir de ces débuts comme décoriste chez Mittéï, Tibet ou Greg, de tous les travaux de ce grand voyageur qui signe plus de contrats que de planches (dixit Dany lui-même !), notre ami Philippe a recueilli les témoignages en images ou en textes ou proches comme Yves Sente, son épouse la coloriste Marcy, Hermann, Marc Hardy, Ptiluc, Batem, Olivier Grenson, Raoul Cauvin, Philippe Francq, Serge Carrère, et même Bastien Vivès.

S’il s’agit du premier ouvrage entièrement dédié à l’œuvre de Dany, il y a d’autres auteurs à qui on a déjà consacré pléthore de livres : c’est le cas d’Hergé, le créateur de « Tintin ».

Renaud Nattiez, ancien élève de l’ENA, docteur en économie et, aujourd’hui, inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, connaît bien le sujet, ayant déjà écrit « Le Mystère Tintin : les raisons d’un succès universel » aux Impressions nouvelles en 2016, « Le Dictionnaire Tintin » chez Honoré Champion en 2017 et « Les Femmes dans le monde de Tintin » chez Sépia BD en 2018.

Histoire de sortir des sentiers battus, tout en restant dans la sphère de son idole bédéesque, il a eu la bonne idée, certes un peu étonnante quand même, de comparer le monde créé par le chanteur et poète Georges Brassens à celui où évoluent Tintin et ses compagnons : « Deux mondes parallèles, au double sens du mot : ils ne se confondent pas, ils ne se rejoignent pas, mais ils évoluent dans la même direction… »

Toutes les couvertures des livres de Renaud Nattiez sont dues à Stamislas.

Ce qui lui paraît comme une évidence pourrait être balayé par de nombreuses contradictions (la poésie et la folie planent sur l’œuvre du premier, tandis que le petit reporter est immergé dans l’action, par exemple, sans parler de l’anticonformisme et l’anticléricalisme qu’on trouve chez l’un opposés aux valeurs boy-scouts chrétiennes de cet aventurier de papier pratiquement asexué), et pourtant, Renaud Nattiez réussit à nous convaincre de similitudes insoupçonnées : ceci grâce à une analyse approfondie de ces deux immenses œuvres, en mettant en exergue de surprenantes correspondances et en démontrant qu’ils séduisent, tous les deux, des publics finalement communs.

            Comme Peeters et Tomblaine, le dévoué fonctionnaire et ancien diplomate aime les mots et les citations des bonnes sources : et comme ces deux confrères, il les manie avec dextérité !

 Gilles RATIER

 (1)   Voir aussi celle consacrée à Lewis Trondheim parue en ce tout début d’année : Trondheim sur tous les fronts….

 « La Bande dessinée entre la presse et le livre : fragments d’une histoire » par Benoît Peeters

BnF éditions (25 €) — ISBN : 978-2-7177-2833-0

 « Dany : du rêve au 9e art » par Philippe Tomblaine

Éditions P.L.G (18 €) — ISBN : 978-2-917837-35-1

 « Brassens et Tintin : deux mondes parallèles » par Renaud Nattiez

Éditions Les Impressions nouvelles (17 €) — ISBN : 978-2-87449-747-6

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