« Next Men » : est-ce bien humain ce que l’on transhumanise ?

John Byrne est l’un des auteurs les plus connus et respectés du monde des comics, dont on a déjà eu l’occasion de parler récemment (1). Si cet Anglais, émigré au Canada, puis finalement naturalisé américain, a marqué la culture comics des années quatre-vingt avec ses passages sur les « X-Men », « Les Quatre Fantastiques » ou « Superman », il a aussi produit quelques séries plus personnelles, dont ce « Next Men », Thriller d’anticipation intelligent de 1992, au ton percutant. Un must have, créé pour le label indépendant Legends de Dark Horse comics, certes bien ancré dans les années quatre-vingt-dix, mais oh combien pertinent, scénaristiquement et graphiquement.

Nathan, Bethany, Jack, Jazz et Dan sont des jeunes vivant tranquillement dans leur « serre », un monde fantasmagorique, sorte d’Eden, dans lequel ils évoluent, après d’autres jeunes adultes avant eux, découvrant d’étranges pouvoirs, en attendant leur « accomplissement ». Parfois, l’un d’entre eux « s’efface », littéralement, et une stèle apparaît dans ce qui fait office de cimetière. Mais qui sont-ils ? Et quel est cet étrange endroit ? Jack, le premier, va faire, par accident, la douloureuse expérience de l’explication, et le projet Next Men va être révélé au grand jour, changeant leur vie à tout jamais…

Lorsque John Byrne se lance dans ce projet, il est déjà un auteur reconnu. Comme le fait très justement remarquer Xavier Fournier dans son incontournable avant propos (2), celui-ci fait preuve d’un avant-gardisme notable, et les idées qu’il développe, soit au sein des séries licenciées pour lequel il est archi connu, telles Les « X-Men », avec son Wolverine typique, ou les « Alpha Flight », équipe canadienne ; soit sur des projets plus personnels, montre une inventivité donnant tout son sel, encore aujourd’hui, à ce genre de récit. Les scènes du début, en l’occurrence, traitées en parallèle, dévoilent deux faces d’une même pièce : l’ingénierie du capitalisme moderne outrancier, façon « Frankenstein », cachant ses erreurs sous le tapis, sous couvert de transgénisme (pour le bien commun), et un onirisme déroutant, censé révéler un être humain augmenté (le transhumanisme). Ces deux faces vont finir par se retrouver confrontées de plein fouet, grâce – ou à cause de – ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui un « lanceur d’alerte », en fait un complice désœuvré.

L’essentiel de ce premier tome de 285 pages, compilant les numéros 0 à 9 de la série, est constitué de ces thématiques d’hésitations, de préparations, de mensonges et lui confère cette touche Thriller et action, autant que d’anticipation. La découverte subite par ces jeunes gens, d’un monde qu’ils ne connaissent pas, se fera avec violence, et au contact d’armes létales, offrant d’ailleurs des cases magnifiques.
John Byrne à son truc pour dessiner et rendre les explosions particulièrement puissantes. Au sein de ses planches et cadrages très dynamiques, on se surprend à rechercher ces rouges, orangés et noirs charbonneux, rien que pour le plaisir des yeux. Certes son trait et les couleurs de Matt Webb sont marqués par les années quatre-vingt-dix, mais leur précision percute. Dommage à ce titre que la couverture ne lui rende pas tout à fait justice, même si son symbole fort d’éclatement de la réalité « traduit » fort bien le propos.

« Next Men » n’est pas un récit de guerre, malgré ses scènes militaires. Il n’est pas non plus complètement un récit de super héros, tout du moins dans ce premier tome. Ce n’est pas tout à fait de la science-fiction (pris en tous cas dans le contexte de sa réédition aujourd’hui), car ces événements sont quasiment crédibles face aux avancées technologiques et scientifiques. Il possède en fait tous ces critères et thématiques à la fois, allant même jusqu’à flirter avec l’horreur, comme lorsque de l’apparition d’un extraterrestre monstrueux, sacré rebondissement d’ailleurs de la série, dans le numéro 4 : « Survivor ». Cela dit, Satanax, robot squelette extraterrestre, fait aussi flipper.

« Next Men » dénote par son aspect alternatif fort, dans une thématique supposée être super-héroïque. Si l’on peut difficilement comprendre qu’il n’ait pas été davantage mis en lumière en France depuis 1992 (3), et connu surtout des seuls amateurs de John Byrne (mais remplaçons les choses dans leur contexte d’avant 2000 et la vague de films Marvel…) il ne fait aucun doute que cette édition d’une intégrale avec une nouvelle traduction de Virgile Iscan va permettre à un nombre grandissant d’amateurs de faire connaissance avec une œuvre puissante.

Vivement la suite !

Franck GUIGUE

John Byrne dessine les explosions comme personne.

(1) À l’occasion de la réédition couleur de son roman graphique « 2112 », en juin dernier.

(2) Cet avant-propos érudit et bienvenu, en plus de l’ajout de la couleur, du cartonnage, de la nouvelle traduction et de l’ensemble des couvertures originales en interchapitres, constitue ce que l’on peut appeler l’édition ultime de ce désormais classique.

(3) Dante comics, petite structure parisienne, à bien proposé une première édition de « Next Men » dès 2009, au moment du lancement de la suite de la série aux États-Unis, mais les deux volumes omnibus ayant été traduits par Thomas Rivière et édités en noir et blanc, avec « 2112 » inclus, n’ont, semble-t-il, pas connu la diffusion méritée. La suite de 2010, incluant 6 nouveaux épisodes, a aussi été proposée à l’époque.

 « Next Men intégrale T1 » par John Byrne
Éditions Delirium (26€) – ISBN : 9791090916531

 

 

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