« Gilgamesh » : quand l’amitié est une épopée…

Quel fut le premier récit épique de l’histoire humaine ? Réponse : « L’Épopée de Gilgamesh », rédigée en sumérien au troisième millénaire avant J.-C. et narrant les exploits du roi de la cité d’Uruk, située dans l’Irak actuel. Bien avant « L’Iliade » et « L’Odyssée » (datées du VIIIe siècle avant J.-C.) ou… « Game of Thrones », voici que la collection La Sagesse des mythes se plonge de manière inédite dans la mythologie mésopotamienne. Pourtant, n’est pas héros qui veut : certes hors du commun, le tyrannique Gilgamesh va néanmoins devoir apprendre à composer avec l’envoyé des Dieux, Enkidu. Ainsi naissent les rivalités… ou les amitiés.

Un héros peu glorieux... (planches 1 et 2 - Glénat 2019)

En couverture, le coloriste et dessinateur Fred Vigneau a représenté Gilgamesh armé d’une lance et d’un bouclier, solidement posté au seuil d’une des portes d’entrée de la cité d’Uruk. Cette porte est représentée sur un mode voisin de la célèbre porte babylonienne d’Ishtar, construite en 580 av. J.-C. (sur ordre du roi Nabuchodonosor II) et dont une réplique réside de nos jours au musée de Pergame à Berlin. Outre son décor bleu et or constitué de briques émaillées et illustrant des taureaux et des dragons, le porche est ici rehaussé par des reliefs en briques cuites et moulées, inspirés par ceux du temple de Kara-indash (Uruk). Atteignant son apogée politique et religieux aux quatrièmes et troisièmes millénaires, époque qui coïncide avec l’apparition de l’écriture en Mésopotamie, Uruk doit une bonne partie de sa notoriété aux rois légendaires qui sont supposés y avoir régné… dont l’inévitable Gilgamesh.

Une réplique de la porte d’Ishtar (musée de Pergame) à Berlin.

Au début du récit transposé par Clotilde Bruneau et mis en images par Pierre Taranzano (voir aussi les 3 tomes de « L’Iliade », 2016 – 2018), le personnage principal n’a rien d’héroïque : kidnappant les plus belles femmes du pays pour en faire ses concubines, et les garçons pour en faire des serviteurs, tous enfermés de force dans son palais, Gilgamesh est plus craint que vénéré. Faisant appel au dieu souverain Anu (dieu du ciel, équivalant de Zeus ou Jupiter) et à Samas (dieu du soleil et garant de la justice), le peuple invoque l’intervention des seules forces supérieures capables de contrer Gilgamesh, et de « rétablir l’équilibre » du monde. Ainsi été posée auprès des humbles et des puissants l’éternelle question de la place de l’homme dans l’univers, de l’exercice de son pouvoir, de la direction donnée à sa vie, thèmes ultérieurement repris par les textes mythologiques et philosophiques grecs avec la notion de l’hybris (la démesure).

Une seule solution : l'invocation des dieux ! (planche 4 - Glénat 2019)

Face à Gilgamesh, les dieux façonnent donc Enkidu, être hybride que Pierre Taranzano a dessiné selon sa description antique d’homme sauvage : « Abondamment velu par tout le corps, il avait une chevelure de femme, aux boucles foisonnant comme un champ d’épis. Ne connaissant ni concitoyens, ni pays, accoutré à la sauvage ». S’ensuivra – sans en dire trop ici – le grand affrontement attendu avec le roi-héros-dieu, qui donnait son titre initial à l’album (« Les Jumeaux divins »)… De son apparition à sa postérité (Gilgamesh étant par exemple mentionné au premier siècle avant J.-C.dans les « Manuscrits de la Mer morte »), Gilgamesh pose aux historiens la question de son éventuelle existence réelle. Non prouvée à ce jour, cette dernière le place donc au même titre que d’autres monarques semi-légendaires comme le roi Arthur ; ce dans la mesure où le contexte de leurs exploits est vraisemblablement historique, et où l’incarnation héroïque est assez probablement la résultante d’un amalgame de différents personnages.

Héros (Gilgamesh ou Enkidu ?) serrant sur son cœur un lion vivant, symbole de la force et de la sagesse assimilées. Bas-relief du palais de Sargon II à Khorsabad, vers 700 av. J.-C (Musée du Louvre)

Ce pointage de la crédibilité ou du réalisme des mythes est précisément, faut-il le rappeler, en lien avec le constat initial de Luc Ferry, lequel remarquait que trop nombreux étaient les ouvrages erronés consacrés à la mythologie grecque. Rédigeant les huit pages d’apparat critique (situées en fin de chaque album), ainsi que la trame principale, Ferry délègue ensuite à Clotilde Bruneau l’ensemble du travail scénaristique ainsi que l’écriture des dialogues. Lisibilité graphique et fiabilité historique seront demandées aux différents dessinateurs travaillant sur La Sagesse des mythes, collection placée depuis son lancement en 2016 sous la direction artistique de Didier Poli et se poursuivant au rythme soutenu de six albums annuels. « Gilgamesh » fait du reste partie des récents titres portant désormais sur des figures héroïques et parfois tragiques (« Un mythe, un héros, une vertu »), au même degré que « Jason » (2016 – 2019), « Thésée » (2016), « Persée et la Gorgone » (2017), « Dédale et Icare » (2018) « Midas » (2018) ou « Orphée et Eurydice » (2019).

Comme nous le précise au final Clotilde Bruneau : « Le projet de cette trilogie « Gilgamesh » s’inscrit dans celui de la Sagesse des mythes, initié par Luc il y a un certain temps maintenant. Bien que la civilisation ne soit pas la même, il y a toujours eu la volonté pour Luc de mettre ce mythe en parallèle avec les mythes grecs, étant donné qu’ils partagent de nombreuses choses (le déluge, le panthéon divin, etc.). Bien que l’album ne sorte que maintenant, il a été prévu dès le début, il faisait partie de la première liste que nous avions établie tous ensemble en préparant la collection. Pour la partie scénario, comme sur chaque album, Luc m’envoie un premier traitement que j’adapte en scénario pour la bande dessinée. Je me suis appuyée sur ce dernier et sur des transcriptions du mythe de Gilgamesh pour écrire. Pierre s’est chargé du storyboard et de tout le dessin. Il a fait pour cet album un gros travail de documentation… Pour la couvertur, comme pour tous les albums, nous discutons des différentes idées avec Didier Poli, Benoît Cousin (l’éditeur), Fred Vigneau, Pierre Taranzano et les équipes de Glénat. Fred nous fait une proposition sur ces idées et nous fournit une maquette qu’il faut plus ou moins adapter. Quand tout est validé, il passe à la réalisation finale ! »

Philippe TOMBLAINE

« Gilgamesh T1 : Les Frères ennemis » par Pierre Taranzano, Clotilde Bruneau et Luc Ferry
Éditions Glénat (14,50 €) – ISBN : 978-2-344-02389-1

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