Toujours plus à l’Est !

Pour les routards des années 70 ou 80 qui partaient à l’aventure dans une voiture d’occasion capricieuse, les histoires et les souvenirs ne manquent pas. Encore faut-il savoir les raconter, ou les dessiner. Nicolas de Crécy sait faire les deux, ce qui nous vaut un « Visa Transit » chaleureux, un bain de Jouvence pour l’auteur et un bain de plaisir pour le lecteur…

Quelques mois après Tchernobyl, en 1986 donc, Nicolas de Crécy et son cousin, la vingtaine tous les deux, décident d’une longue virée vers l’Est dans une vieille Citroën retapée. « Le plus loin possible » ! Sans grande préparation et donc avec pas mal d’improvisation, les deux apprentis voyageurs, sinon aventuriers, attaquent une virée vers Istanbul, et peut-être plus si affinités. Ils ont des bouquins sur la plage arrière et pas mal d’insouciance au compteur : camping sauvage, repas frugaux, rencontres improbables comme celle de ces vendeurs de tapis turcs au milieu de nulle part, problèmes de moteur (inévitables, a priori)… Ils sont partants et donc ils sont partis ! « Touristes », les deux acolytes ? Ils se le demandent, mais qu’importe l’étiquette quand on a la quête !

Les voilà direction l’Italie, chacun ayant un jour sur deux la responsabilité du sac rouge qui contient argent et papiers. Lourde responsabilité ! Lourde responsabilité aussi pour l’auteur de se mettre à raconter une histoire aussi ancienne, quand on sait que la mémoire a fait du tri, décomposé certaines séquences, réécrit des épisodes… Qu’importe ! L’Italie est à deux pas et les premiers émois d’un passage frontalier également. L’Italie, ses parfums, ses lumières, ses « usines sombres, magnifiques et effrayantes », sans s’attarder sur les merveilles architecturales, avoue De Crécy, « flemme culturelle », dit-il ! Dommage, évidemment, mais faut rouler, la Turquie n’est pas si loin et la Visa tourne bien !Avec l’œuvre et les poèmes d’Henri Michaux en bandoulière, le duo entre en Yougoslavie, le rideau de fer, les faubourgs de Zagreb, glauques… Puis la Bulgarie, la chaleur, la Mer noire… De Crécy en profite pour évoquer des souvenirs de jeunesse ; longue parenthèse, par exemple, où il règle de petits comptes avec l’enfance peureuse, avec la religion et une drôle d’histoire des mains de la Vierge. Comme si refaire ce voyage plus de 30 ans après, c’était aussi l’occasion de revisiter d’autres épisodes de la vie, pour tenter d’y voir plus clair dans ce qui nous construit.

Voyager, à l’époque, c’était le bon temps, semble dire De Crécy, parce que personne à ce moment-là ne savait où ils étaient : « C’était un autre siècle » sans « hypermnésie numérique généralisée » : « pas d’écran, pas de filtre, pas de guide sous forme d’algorithme, pas de données à livrer à quiconque. » Rien pour les pister ! Le bonheur d’être ailleurs et d’être seuls à le savoir ! Et à le savourer ! Mais la preuve que partager ce qu’on a vécu, même ce qui est anecdotique, revêt une certaine importance, puisque voilà l’auteur en train de s’y adonner… Alors, nous attendront avec intérêt le second volume prévu pour l’automne 2020 et ces dessins griffés, esquissés, tremblants et dynamiques à la fois, aquarellés et lumineux.

Alors, bon voyage !

Didier QUELLA-GUYOT ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/

[L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook.

 « Visa Transit » par Nicolas de Crécy

Éditions Gallimard (22 €) – ISBN : 978207513093


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