Le fantastique exacerbé, avec « Jenny Finn » de Mike Mignola et Troy Nixey, enfin réédité…

Il en va ainsi de certains ouvrages : ils sont créés, comme « Jenny Finn », aux États-Unis en 1999, par Mike Mignola, puis publiés dix ans plus tard en France, malheureusement dans une quasi-indifférence critique et publique. Et voilà que vingt ans après, une seconde chance leur est donnée, avec une réédition bienvenue aux éditions Delcourt, « maison » d’accueil du scénariste, devenu star depuis (1). De quoi enfin apprécier à sa juste valeur cette œuvre incontournable du fantastique anglo-saxon.

« Jenny Finn » est née, d’après les notes du dessinateur Troy Nixey, alors que celui-ci présente un carnet de croquis à Mike Mignola à l’aube des années 2000. Les deux n’ont pas encore travaillé ensemble, et le scénariste-dessinateur est emballé par ces dessins évoquant l’époque victorienne, et ces hommes à têtes de poisson. L’histoire cocréée paraît en juin 1999 chez Oni press, en noir et blanc, et en deux épisodes. Il faudra attendre 2005 et « Jenny Finn Doom» (Atomeka Press), puis « Jenny Finn Messiah », chez Boom studios, pour connaître la fin.

Jenny Finn est le nom d’une de ces femmes de peu de foi, qui arpentent les ruelles du Londres populaire de ce XIXe siècle en pleine période d’industrialisation. L’heure est aux meurtres de prostituées et l’ambiance est posée. Jenny est apparemment une jeune fille, de petite taille d’ailleurs, et, si l’on ne sait de prime abord d’où elle vient, tous ceux qui ont eu à faire à elle ont développé une sorte de gangrène, leur faisant apparaître des sortes de verrues sur le visage et le corps, les faisant se transformer à plus ou moins long terme en créatures aquatiques monstrueuses. Jenny porte indéniablement une malédiction, et le jeune Joe, travaillant aux abattoirs, témoin de choses qu’il n’aurait pas dû voir, va tenter de l’aider. Une rude épreuve…

À la lecture de  ce comics indépendant, qui a pu passer relativement inaperçu depuis vingt ans auprès de publics ne sachant trop comment aborder ce petit roman graphique, hors univers « classique » du père de Hellboy, (sans l’avoir en main, on pouvait légitimement se demander « est-ce une BD, est-ce un livre illustré ? »), on ne peut cependant s’empêcher de penser, en confirmant qu’il s’agit bien d’un roman graphique, même si paru en plusieurs épisodes originaux distincts à l’époque, à une autre histoire, paru en 2017, et illustrée par le génial Garry Gianni : « Dans le silence des abysses », un épisode de Hellboy. L’univers marin a marqué son créateur il faut croire. C’est en tous cas le premier choc esthétique qui s’opère à la lecture de cette histoire magnifique, coécrite entre Mike Mignola et Troy Nixey, ce dernier ayant été révélé dans les anthologies Oni Double Feature, sur les séries « Grendel » et « Matrix », mais aussi en tant que scénariste sur le film de Guillermo Del Toro « Don’t Be Afraid of the Dark » (2012).

On a eu la chance de le retrouver en 2016 aux éditions Delcourt avec un épisode de Batman tendance victorien, une fois n’est pas coutume (« Batman : La malédiction qui s’abattit sur Gotham», chroniqué en son temps sur NebularStore). Cet auteur au dessin fin, trop peu connu par ici, très influencé apparemment par Lovecraft, Lewis Carol, et le Captain Achab du « Moby Dick » de Herman Melville, à pourtant tout ce qui est nécessaire pour mener à bien une œuvre de cette trempe, et l’on se demande pourquoi il n’est pas davantage publié dans nos contrées.

Cette nouvelle édition propose une vingtaine de pages de ses carnets originaux pour la série, en noir et blanc. De quoi saliver davantage…

Notons cependant que le dernier épisode « Messiah » est dessiné par le talentueux Farel Dalrymple, vu et apprécié entre autres sur « John Prophet » (Urban comics), ou « The Wrenchies » (Delcourt).
Une réédition bienvenue et nécessaire, reprenant les couleurs de Dave Stewart ajoutées en 2017.

Franck GUIGUE

« Jenny Finn » par Mike Mignola, Troy Nixey et Dave Stewart
Édition Delcourt (15,95  €) – ISBN  : 9782413009030

(1) Mike Mignola est déjà papa, en 1999, et depuis cinq ans, du héros cornu qui l’a révélé au grand public, mais pas encore chez Delcourt qui fera vraiment décoller sa carrière en France en 2002. Ce sont de ce fait les éditions Emmanuel Proust, dans un élan passionné, qui proposent en 1999, en premiers, son « Jenny Finn ».

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