« Dédales » T1 par Charles Burns : retrouver le chemin de la maison.

Après son déroutant hommage à Hergé et Tintin dans « Toxic » (3 tomes, Cornelius 2010-2016), revoilà Charles Burns, un des auteurs américains de comics les plus connus du grand public. Que nous réserve-t-il cette fois-ci ? On peut en tous les cas s’attendre à des expositions, séances de dédicaces, et une couverture médiatique exceptionnelle. Il sera présent à Angoulême en janvier.

Brian est un jeune étudiant taciturne, dont la passion pour le dessin le fait remplir des carnets d’œuvres particulièrement étranges. Il est ami avec Jimmy depuis l’enfance, un autre étudiant, chouchou d’un groupe actuel de fans de cinéma, qui se retrouvent régulièrement à l’occasion de soirées arrosées, pour visionner des films super 8 d’horreur des années soixante, mais aussi leurs propres créations à tous deux. Ce soir-là, la belle rousse Laurie vient auprès de lui, s’intéressant à ses dessins, et surprenant ce garçon, plutôt habitué à l’isolement. Commence alors un début de relation, faite de sincère attirance, de son côté à elle, mais aussi beaucoup d’interrogations. La définition de la fascination…

Chaque nouvelle publication de Charles Burrns est guettée avec intérêt, puisqu’il est l’un des rares auteurs possédant la faculté de création d’œuvres particulièrement déroutantes. Depuis ses premiers récits, traduits en 1984 dans la revue Métal hurlant, ceux-ci présentent des ambiances et des personnages vivants des expériences proches de l’hallucination, mélangeant voyages oniriques liées a des fêlures mentales ou à des consommations de drogues. La maladie est aussi une thématique récurrente, tout comme l’adolescence, ou l’entrée dans l’âge adulte, l’auteur ayant magnifiquement traité ceux-ci dans la série « Black Hole » (6 tomes, 1998-2005, Delcourt ). Il est aussi bien sûr, issu de, et influencé par, la culture dite pop underground, de séries B ou Z, (catch mexicain, punk rock, cinéma, comics…) que l’on retrouve au travers de ces thématiques glauques et des diverses monstruosités qui s’y ébrouent.

Dans cette première partie de « Dédales », qui devrait s’étaler sur trois ou quatre tomes, l’auteur pose les bases de son histoire. Le décor est planté, les personnages sont présentés, et, si le constat de départ n’est pas aussi étrange et onirique que dans « Toxic », malgré une créature-plante un peu flippante, on comprend bien que les dessins tordus issus de l’imagination de Brian vont sans doute au-delà d’une simple idée créative. D’ailleurs, ne se voit-il pas lui-même, arpentant le chemin sinueux des décors de son œuvre ? Sa fascination pour le film « L’Invasion des profanateurs de sépultures » (Don Siegel, 1956), qu’il revoit, avec Laurie, pour la énième fois, à l’occasion de sa rediffusion au cinéma de quartier, et l’émotion qu’il lui procure, suffit à indiquer sa fragilité et l’évidente attirance qu’il a pour cette thématique de « L’autre ».

L’album se termine cependant abruptement, alors que l’on rentre à peine dans l’histoire, laissant un sentiment de frustration assez peu commun, même lorsque l’on est habitué à la lecture de comics VO, sous forme de fascicules. Sans doute parce qu’en bon lecteur français, on attend davantage d’un album édité cartonné et en couleur. Ceci dit, l’ambiance est bonne, les personnages attachants, et comme dans un de ces films projetés à la soirée : « The Flesh Eaters », « Destroy All Monsters », « I Was a Teenage Werewolf », ou « Rodan the Flying Monster », on est happés et l’on ne demande qu’à lire la suite.

« Dédales » remet un zeste de réalisme dans la BD de Charles Burns, qui nous avait embarqués un peu loin, mais pour une lecture plaisir tout de même, dans sa précédente série ; aussi, retrouver des étudiants dans l’esprit de « Black Hole » est loin d’être déplaisant, bien au contraire. Chacun sait en effet que c’est ainsi que le fantastique fonctionne le mieux : lorsque l’élément de départ est à notre porte, dans notre quotidien, derrière nous, nous tenant la main ou nous effleurant les reins. À moins qu’il nous observe à travers un grille-pain chromé.

Bienvenu à la maison Charles !

Franck GUIGUE

Charles Burns sera à Angoulême en Janvier 2020

À l’occasion de la parution du premier ouvrage de sa nouvelle série « Dédales », les éditions Cornélius rééditent l’ouvrage « Love Nest » qui est indisponible depuis plus de 2 ans. Cet ouvrage entièrement muet présente plus de 120 illustrations de Charles Burns inspirées par les comics à l’eau de rose des années 1950 et le cinéma fantastique.

Love Nest

Les dates de présences de Charles Burns en France :

• Jeudi 10 octobre / 17h / Galerie Martel / Paris : signature exceptionnelle de Charles Burns

• Samedi 12 octobre / 10h / Pavillon Blanc / Colomiers : vernissage de l’exposition consacrée à Charles Burns au Pavillon Blanc – Centre d’art de la ville de Colomiers (exposition réalisée en partenariat avec la Galerie Martel et le festival BD Colomiers). À 11h, Charles Burns donnera une conférence sur ses influences artistiques. L’exposition est visible du 12 octobre 2019 au 4 janvier 2020.

• Samedi 12 octobre / 17h-19h / Librairie Terres de légendes / Toulouse : dédicace de Charles Burns.

 Mardi 15 octobre / 18h / CAPC Musée d’art contemporain de la ville de Bordeaux / Bordeaux : dans le cadre de l’exposition « Histoire de l’art cherche personnage… » (où quelques planches de « Black Hole » sont exposées), Charles Burns présentera une conférence sur les artistes et les œuvres qui nourrissent son travail. La conférence sera suivie d’une courte séance dédicace de son dernier album.

• Mercredi 16 octobre / 17h / Librairie Mollat – Station Ausone / Bordeaux : dans le cadre du festival du film indépendant de Bordeaux (FIFIB), une projection du film « Les Profanateurs de sépultures » de Don Siegel aura lieu à la Station Ausone. Ce film tient une place toute particulière dans « Dédales », le prochain livre de Charles Burns. La projection sera suivie d’une rencontre entre l’auteur et Jean-Louis Gauthey (fondateur des éditions Cornélius). À partir de 19h45, une courte séance de dédicace se tiendra à la station Ausone.

« Dédales » T1 par Charles Burns
Éditions Cornélius (22.50 €) – ISBN :  978-2-360-81164-9

Une des séquences hommages au film de Don Siegel...

Galerie

3 réponses à « Dédales » T1 par Charles Burns : retrouver le chemin de la maison.

  1. Thark dit :

    Passionné par l’univers fascinant de Burns (en particulier son travail en noir et blanc « pur »), j’ai évidemment sauté sur « Toxic – La ruche – Calavera » [qui sont en plus de magnifiques ouvrages made in 'Cornelius - qualité maximus' ^^]… Néanmoins, cette fois-ci, la trilogie colorée m’a légèrement perdu au passage, dans son… dédale ;) narratif qui pourrait presque donner quelques maux de tête à David Lynch himself !…
    [Ceci dit je suis habitué (ou peut-être maso !) puisque j'adore me prendre la tête sur les exigeants puzzles BéDéistiques d'Andreas, par exemple. La devise de ce genre d'auteurs : "pourquoi faire simple quand ce qui est compliqué ou crypté peut être aussi jouissif ?" ;) ]

    Donc, Franck, puisque vous (re)faites allusion à son chef-d’oeuvre « Blackhole » (dont l’intégrale est un de mes bouquins fétiches), est ce que le grand Art du suspense malaisant et de la tension cauchemardo-romanesque se retrouvent bien ici, au coeur de ces Dédales ??

    • FranckG dit :

      Merci Thark pour votre commentaire très sympathique et passionné. Et bien, je ne sais ce que nous réserve ce « Dédales » puisque nous n’en sommes qu’au premier tome, mais dans l’absolu, comme écrit dans la chronique, je trouve davantage de réminiscences de « Black Hole » ici qu’au sein de son triptyque précédent, quelque peu déroutant, comme vous l’avez aussi ressenti d’ailleurs. Pour moi, « Dédales » nous montre pour l’instant un Charles Burns « pacifié », mais j’espère que je me trompe, car on attend bien sûr plus de lui ;-) Pour être tout à fait juste, et un peu cynique, on pourrait dire à cette heure que « Le Roi des mouches » de Mezzo et Pirus reste le chaînon manquant entre « Black Hole » et «Dédales ».

  2. Thark dit :

    Merci Franck.
    (Marrant que vous fassiez allusion au ‘Roi des mouches’ : je viens de commencer une série de chroniques un peu geek ^^ sur les « Crime Suspenstories » et autres « Tales from the crypt » – notamment pour Izneo et bientôt pour le « Centaur Club » – , ma pile de beaux bouquins (rééditions Akileos) trône à côté de ma table à dessin, et il se trouve que les splendides couvertures des 2 tomes de « The Haunt of Fear » sont signées… Mezzo ! :)
    On a là une espèce de Sainte Trinité de l’épouvante qui relie plusieurs décennies : EC Comics / Mezzo-Pirus / Charles Burns…

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