« La Mosaïque Hexagon » – une locomotive au service du récit « de gare »

Une publication parue en juin, essentielle pour tout amateur de revues de BD petit format lié au comics. Jean Marc Lofficier tient les rênes de cette anthologie richement illustrée, mêlant interviews, bandes dessinées, et éditorial. Même si le public visé est indéniablement les Quadras biberonnés aux superhéros Marvel, le jeune public amené aux comics via le cinéma pourrait bien également y trouver son compte.

Les noms de Jean-Marc Lofficier, Jean-Marc Lainé, Thierry Mornet, Luciano Belusconi, Alfredo Macall…sont sans doute connus de tout amateur de comics en France, allant chercher un peu plus loin que les blockbusters de super-héros classiques américains bien connus du grand public. En tous cas est-ce plus certain pour la plupart des quinquagénaires ou quadragénaires (minimum) ayant eu une expérience de lecture avec les éditions Lug dans leur adolescence, et un peu plus tard. Car le propos de ce livre de 70 pages, sans table des matière et sans sommaire est de rétablir le lien entre les origines du comics en France dans les années 1950, le développement de Marvel à l ‘aube des années soixante-dix, grâce à Marcel Navarro, Claude Vistel et leurs éditions lyonnaises Lug, mais aussi avec la bande dessinée italienne de ces années-là, et plus précisément celle de ce qui allait devenir « l’empire » Bernasconi (et non Berlusconi!).Les lecteurs visés par ce volume ont tous eu dans les mains au moins une fois un petit format noir et blanc de type : Rodéo, Puma, Blek le roc, Akim, Zembla, Captain Swing et j’en passe… et ou un fascicule Fantax, Marvel ou Strange (là on est en bicouleur ou quadrichromie) Ces publications ont toutes en commun d’avoir, à un moment ou un autre, été fabriquées par des équipes américaines, italiennes ou française, par le truchement des relations entre Marcel Navarro, Claude Vistel, les bureaux DC ou Marvel et Luciano Bernasconi pour l’Italie. Toute ces relations ayant permis aux lecteurs français de passer des journaux d’après guerre aux comics que l’on connaît aujourd’hui.

Gérard Thomassian, spécialiste reconnu des petits formats, patron de la boutique Fantasmak à Paris, et auteur des encyclopédies liées, (voir : « Encyclopédie de la bande dessinée » : 7 000 pages de nostalgie…) partage ses connaissances sur le sujet, à l’occasion des nombreuses biographies parsemant le livre (Luciano Bernasconi, Alessandro Biffigandi, Onofrio Bramante, Lina Buffolente, Annibale Casabianca, Carlo Cedroni, Vincenzo Chiomenti, Leone Cimpellin, Mario Cubbino, Danilo Grossi, Claude J. Legrand, Yves Mondet, Franco & Fausto Oneta, Francio Paludetti, Raffaele Paparella, Ivo Pavone, Giorgio Trevisan, Emilio Uberti, Guido Zamperoni), tandis que d’autres acteurs interviennent à leur niveau pour expliquer comment les années quatre-vingt et quatre-vingt dix ont abondé dans ce sens. L’occasion de lire les témoignages de Thierry Mornet, ayant assuré la transition Lug-Semic en 1998, mais aussi les hommages de Patrice Lespare , Matthew Dennion, Frank Schildiner, Eric Boissau, Roy Thomas, Jean-Marc lainé, Eric Stoffel, Mike Baron, Stan Lee (oui!), Will Eisner (re oui !!) et l’explication de l’implication de Jean-Marc Lofficier, auteur, et de sa femme : Randy, résidants tous deux aux États-Unis, dans la création de Mosaic Multimédia. (Voir plus bas).

Fausto Oneta

Tout cela est expliqué certes, avec moult interviews et illustrations, mais dans un désordre que l’on aurait préféré plus maîtrisé. Car faisant fi du sommaire que l’on aurait pu attendre d’un tel ouvrage documentaire, « La Mosaïque Hexagon » aligne les témoignages dans un ordre un peu perturbant, et non chronologique, illustrant le propos de nombreuses illustrations magnifiques d’Alfredo Macall, que l’on ne nous présentera qu’en fin de volume. (Il a réalisé de nombreuses couvertures pour les éditions Hexagon comics dans les années deux-mille, et ses encrages ou crayonnés présentés ici, d’un très bon niveau, font vraiment envie). Il faut donc être motivé pour trouver le fil de « l’histoire », et accepter de naviguer « à vue » à l’intérieur des interviews, succinctes et aux questions assez simples des différents dessinateurs ou scénaristes (la plupart italiens) ayant été acteurs de ce mouvement. Les bouts se recollent néanmoins au fur et à mesure de la lecture, lorsque l’on comprend ce qu’Hexagon est exactement et ce qu’il représente.

Jean-Marc Lofficier créé en effet Rivière blanche, une filiale de sa société Hollywood comics, en 2004, avec pour but d’éditer des ouvrages de science-fiction, teintés seventies. Suite à la faillite de Semic en France en 2003, il créé par la même occasion Hexagon comics, dont l’objet et de continuer à faire travailler les auteurs des ex éditions Lug, et de revitaliser la culture partagée (Italie-Amérique et France) ayant connue ses heures de gloire avec les Petits formats jusqu’aux années quatre-vingt dix. Tout cela afin de sauvegarder, rééditer, diffuser et permettre la poursuite de l’héritage de ces séries, avec de nouveaux auteurs. Une sorte de continuité donc, d’où l’anniversaire des 70 ans. De nombreux titres classiques sont alors rassemblés en épais recueils noir et blanc, et de nouveaux numéros sont lancés, permettant à de nouvelles générations d’auteurs de continuer dans l’esprit de l’œuvre de leurs ainés. C’est ainsi que Wampus, Kabur, Strangers, Zembla, Jean Brume, Gun Gallon, la Brigade temporelle, Bob Lance, mais aussi Le Garde républicain (1) surgiront sur les étals des festivals et des boutiques spécialisées, mais aussi en ligne, sur les sites dédiés :
Pour les Etats-Unis : https://www.hexagoncomics.com/
Pour la France : https://www.riviereblanche.com/catalogue.html

« La Mosaïque Hexagon » est un livre broché en noir et blanc de 260 pages, agréable à feuilleter, qui se devait d’être publié. Il aurait pu être davantage cohérent en terme de maquette, mais il reste néanmoins très intéressant et richement illustré, avec les photos des protagonistes interviewés et de nombreux rappels bibliographiques. Pas sûr qu’un autre éditeur se serait chargé de raconter cette histoire. Il s’agit donc d’un ouvrage précieux et recommandé.

Franck GUIGUE

(1) S’il est un univers à la fois intriguant et fascinant, c’est bien celui du Garde républicain. Parmi toutes les publications récentes mettant en scène un super-héros typiquement français, cette série offre en effet la particularité de proposer pour chaque numéro un ou des dessinateurs différents et une époque différente. De quoi attendre le prochain fascicule avec intérêt.

Thierry Mornet, le scénariste, a réussi le pari de faire décoller sa création, lancée officiellement sous son propre nom en 2013, et voit donc, grâce à l’aide de nombreux collaborateurs (souvent jeunes), paraître bientôt son quatorzième numéro. Le dernier en date étant réalisé avec le dessinateur Paskal Millet, dans une version revisitée « horrifique » du récit « La Légende », précédemment publié dans le numéro 3 sous les offices de Cyrille Munaro. Paskal Millet, qui a su développer depuis son premier album auto-publié « Monsters » en 2014 un style personnel reconnaissable et fluide, (et de superbes toiles peintes sur sa page Facebook), assure ici un bel épisode zombiesque, à la fois nerveux et sensible.
On sait qu’une suite est envisagée, aussi, ce « prologue » ne fait que donner l’envie d’en découvrir davantage. Tasty !


Quatrième de couverture de « La Mosaïque Hexagon »

« La Mosaïque Hexagon : la fantastique histoire du premier univers de BD partagé français » par Jean-Marc Lofficier et divers
Éditions Hexagon comics (20€) – ISBN : 9781612278087

« Le Garde Républicain » #13 par Terry Stillborn et Paskal Millet
Éditions Hexagon comics (10€) – ISBN : 978-1-61227-897-1

 

Galerie

6 réponses à « La Mosaïque Hexagon » – une locomotive au service du récit « de gare »

  1. Capitaine Kérosène dit :

    Rien que de voir les dessins d’Alfredo Macall suffit à me faire fuir cette publication. C’est d’une laideur repoussante, sans parler des anatomies où l’on voit que le gars n’y connaît rien et se contente de répéter ce qu’il a vu chez Buscema encré par des Philippins sans rien y comprendre.
    Quant à Wampus l’Homme Morve, il n’avait déjà aucun succès du temps de Lug qui a arrêté sa publication assez vite. Cela ne risque pas de changer. Je me demande pourquoi Lofficier continue à vouloir imposer ce personnage.

    Au fait, la publication de Lug qui a précédé Strange et Marvel s’appelait Fantask, pas Fantax.
    Marvel ne prend pas de « s » (dans l’intro).

    • Thierry Marcaille dit :

      Bonjour Mon capitaine

      Eh bien! On ne peut pas dire que vous faites dans la demi mesure. Macall est pour moi un très grand dessinateur, bien meilleur que certains qui officient chez les grands éditeurs US. Après bien sur, il s’agit d’une question de gouts. Par exemple, je déteste le dessin de Steve Dikto mais étant incapable de ne dessiner qu’une seule de ses vignettes correctement, je me garderai bien de le traiter de tacheron. Il s’agit pour moi d’une question de respect.

      Wampus ne fut pas arrêté par manque de succès mais détruit par la censure qui avait déjà eu la peau de Fantask et qui ne tarderai pas à avoir celle de Marvel (le magazine) et faire de Strange un patchwork de dessins retouchés. Bon mais ça, nous ne l’avons su que bien plus tard.

      Si vous étiez familier de l’univers Hexagon , vous verriez que ce personnage en est certes un personnage important mais au même niveau qu’une bonne dizaine d’autres (voir plus). Le but de cet univers partagé étant de mettre un maximum de personnage en lumière tout en respectant une ligne qui ne doit pas être évidente à suivre même pour son auteur qui joue à l’equilibriste (allez faire vivre des héros aussi variés que espions, cowboys,super-héros et j’en passe).

      Ce livre a les qualités et les défauts qu’évoque Franck mais pour un passionné de petits formats et des Editions Lug en général, il est bien chronologique. Pour le néophite, il s’agit d’une porte d’entrée peut être un peu difficile à ouvrir mais le but de sa publication étant de proposer un hommage à 70 ans de parution made in France par un éditeur majeur de notre pays, je pense sincérement que le pari est réussi.
      Cordialement
      Thierry

  2. FranckG dit :

    Il y a des manières de le dire, mais votre opinion est respectable…
    Je corrige pour Fantax, merci d’avoir repéré cette coquille malencontreuse.

  3. Henri Khanan dit :

    C’est un collectif, donc il y a à boire et à manger. D’un bon rapport qualité-prix, en prime! Moi-aussi, je n’aime pas trop les planches de Macall, mais bon, il y en a d’autres plus sympas (Oneta, le dessineux de Zembla, ou Bernasconi, dessinateur de Wampus, également connu sous son pseudo porno Saint-Germain).
    Vous écrivez, ami Guigne: « Pas sûr qu’un autre éditeur se serait chargé de raconter cette histoire. »
    Effectivement, car je crois avoir entendu dire que JM Lofficier était désormais le propriétaire de ces marques.

    • FranckG dit :

      Je ne pense pas porter malchance, donc, merci d’essayer, au possible, de ne pas trop écorcher mon nom. C’est GUIGUE, et pas Guigne, svp. ;-)
      Trêve de « plaisanterie », pour la phrase « Pas sûr qu’un autre éditeur se serait chargé de raconter cette histoire. », c’était évidemment en pensant à son côté très spécialisé, mais je pense que cela aurait pu être fait dans un fanzine, par l’un des participants à cette aventure, sans passer systématiquement par Hexagon… Mais bien entendu, cela est plus logique, surtout eut égard à sa publication en parallèle en janvier en anglais : « HEXAGON COMICS: THE FIRST 70 YEARS!: THE ILLUSTRATED HISTORY OF FRANCE’S OLDEST COMIC-BOOK PUBLISHER « 

  4. Henri Khanan dit :

    Excusez-moi pour l’erreur d’orthographe à votre nom, cher Monsieur Guigue!

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