On vous a déjà dit tout le bien que l’on pensait de la saga ébouriffante, délirante et jubilatoire « The Kong Crew » d’Éric Hérenguel… (1) Or, voilà que les éditions Caurette sortent une très belle intégrale de luxe de la trilogie (224 pages, dans sa version originale en noir et blanc grisé et en français) : une incroyable épopée hommage aux comics, aux pulps et aux vieux films fantastiques des fifties ! Ceci alors que le tome 3, cartonné et en couleurs, vient aussi à peine de paraître chez Ankama… La totale en noir et blanc ou les trois volumes en couleurs, vous avez donc le choix ! L’essentiel étant de ne pas passer à côté de ces aventures follement drôles, débridées et imaginatives, sous couvert de fable épique et écologique !
Lire la suite...Trois récits profonds, dont « Mermaid Prince », de Kaori Ozaki
« Mermaid prince » rassemble trois histoires courtes de Kaori Ozaki, prépubliées au japon dans le magazine Wings en 2014 et 2015. Déjà connu en France pour son excellent volume « Our Summer Holiday », on y retrouve la même fraîcheur et la même description mélancolique de la vie adolescente avec une pointe de fantastique pour la dernière histoire. Trois petits bijoux riches en rebondissements.
Le premier récit comporte deux parties bien distinctes dans la vie d’Araki Umino, une adolescente un peu rebelle qui cherche encore un but à sa vie. Non, elle ne souhaite pas forcément devenir reine des pirates, maîtresse de club SM à Kabukichô ou encore hackeuse comme elle a pu le marquer dans la feuille d’orientation remise à son professeur principal. Elle est plus préoccupée de protéger sa meilleure amie des mains baladeuses de certains hommes dans le train de banlieue qui les amènent chaque jour à l’école. Quand elle-même va être victime de ce type de pervers, elle va se rebeller en découpant rageusement sa culotte souillée par cette main qu’elle ne connaît pas. Énervée, elle va errer toute une nuit dans les rues éclairées de la capitale. Une expérience dérangeante qui va lui ouvrir les yeux dans un second chapitre où cette jeune fille qui n’est pas encore une adulte va prendre conscience de sa sexualité, sa profonde solitude et tout simplement ses choix de vie.
« Jour de neige », la seconde histoire en un seule chapitre d’un peu plus d’une vingtaine de pages offre un panorama de la froideur hivernale vu par une bibliothécaire qui attend avec impatience le retour du printemps. Entre les clochards cherchant un peu de chaleur et de culture dans ce lieu public et les animaux qui se rapprochent de la ville en quête de nourriture, les premiers bourgeons vont finalement la tirer de sa torpeur hivernale. Une simple histoire sur la sensation du temps qui passe et des saisons qui s’égrène inlassablement.
La troisième histoire donne son titre à ce recueil. Elle est composée de trois chapitres offrant soixante pages d’une histoire denses et prenantes. Matori, une jeune adolescente d’un petit village de bord de mer commence à développer des sentiments pour Muji, un garçon de sa classe arrivé un peu plus tôt. Celui-ci a du mal à se faire à la vie balnéaire un peu isolée. Ces deux-là deviennent pourtant inséparables et Muji va apprendre la plongée, passer du bon temps dans la famille de Matori et surtout en apprendre un peu plus sur la sirène qui vit dans un trou au bord de la falaise. Quand un drame arrive, le jeune garçon n’hésite pas à partir à la recherche de la sirène pour qu’elle exauce son vœu.
Le trait de Kaori Ozaki est extrêmement clair et souligne de manière franche et poétique avec juste ce qu’il faut de plein et délié la force de ses personnages. En refermant « Mermaid prince », il reste quand même un sentiment de frustration. On sent qu’elle avait encore énormément de choses à dire avec ses acteurs que l’on découvre à peine. Que ce soit le destin d’Akari la lycéenne qui ne se contente pas de suivre la mode comme ses camarades et cherche un sens à son passage de l’enfance à l’adolescence, de cette bibliothécaire qui attend nonchalamment le retour du printemps ou de Muji et Matori, deux adolescents qui réussissent à avancer ensemble pour réaliser l’impossible, on aurait aimé qu’elle aille un peu plus loin dans son propos en approfondissant chaque sujet.
Attention cependant à ne pas proposer ce recueilli aux très jeunes enfants, derrière un dessin classique se cache des propos assez crus, surtout dans le premier récit ou sont évoqué tour à tour le harcèlement pervers, la perte de confiance, la fugue, le vole et même une certaine désillusion menant à la première relation sexuelle sans lendemain.
Ces histoires ont en commun d’être d’une grande poésie. Quand en plus l’éditeur offre une impression rehaussée de dorures sur la couverture, renforçant le sentiment d’immersion des deux personnages que l’on peut avoir. Si ces récits restent un peu courts, ils montrent bien toute la puissance de la narration et la maîtrise graphique de Kaori Ozaki.
Gwenaël JACQUET
« Mermaid Prince », de Kaori Ozaki
Édition Delcourt (7,99 €) – ISBN : 9782413017462