Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Louisiana » : une flamboyante saga qui dénonce l’esclavage et les violences dont les femmes sont victimes…
Les éditions Dargaud continuent de nous proposer de nouveaux talents remarquables (1) avec, ce mois-ci, le lancement d’une épopée historique dans la lignée des romans se déroulant au sud des États-Unis du XIXe siècle (« Autant en emporte le vent », « Le Bruit et la fureur »…) due au dessinateur Gontran Toussaint et à la scénariste Léa Chretien.
Dans ce premier tome (il y en aura trois en tout), l’héroïne, héritière d’une dynastie de planteurs de Louisiane est à l’hiver de sa vie. Elle se remémore l’histoire de ses ancêtres empreinte de racisme, d’injustice sociale, de misogynie, mais aussi d’initiation au vaudou, en se confiant à sa fidèle domestique : une femme de couleur, certainement la mieux placée, d’après elle, pour comprendre ses choix et les difficultés qu’ont eues sa grand-mère, sa mère et elle-même à gérer une plantation, ce qui était complètement interdit aux femmes de cette époque.D’emblée, le scénario nous captive, grâce à ses ambitions humanistes, à sa documentation sans faille, et à sa vision assez éloignée des images traditionnelles colportée par la légende américaine, mais aussi par la maîtrise et la subtilité de la narration et de l’écriture. Il s’agit, pourtant, du premier scénario professionnel de la jeune Léa Chretien : une passionnée de dessin et d’histoires qui a étudié l’illustration à l’ÉSA Saint-Luc de Liège et qui a eu l’idée de « Louisiana » lors d’un voyage dans le sud des USA.Mais ce qui se saute tout se suite aux yeux, c’est le graphisme à la fois très détaillé et vivant de Gontran Toussaint dont on ne connaissait, jusque-là que sa prestation un peu plus timorée sur le diptyque « Reporter » écrit par Renaud Garreta et Laurent Granier, chez Dargaud (en 2016 et 2017) où le texte, très dense, avait tendance à étouffer son trait.Certes, les influences de Jean Giraud et d’Hermann (on sent que ce jeune Belge a beaucoup lu « Blueberry » et « Comanche » dans sa jeunesse) sont évidentes – personnellement, je rajouterai aussi celle d’Antonio Parras, dessinateur mythique de Pilote —, mais on sent qu’il est ici totalement en phase avec l’histoire, étant aussi à l’aise dans les passages intimistes et l’expression des visages que dans les paysages inquiétants ou somptueux des bayous et des plantations de la Louisiane.Bref, ce galop d’essai est bien parti pour être un coup de maître : les amateurs de bonnes bandes dessinées classiques ne devraient pas passer à côté !
 Gilles RATIER
(1) Voir, par exemple, tout récemment : Zola et ses deux femmes, magnifiés par deux nouvelles autrices remarquables !.
 « Louisiana : la couleur du sang » T1 par Gontran Toussaint et Léa Chretien
Éditions Dargaud (14 €) — ISBN : 978-2205 — 07864-0