Sélection comics été 2019

Parce qu’il y a trop de titres intéressants nécessitant d’être chroniqués et parce que l’été et les vacances sont propices à la lecture, voilà une sélection spéciale de comics, de tous horizons, plutôt alternatifs, mélangeant petites et grosses structures, mais vous commencez à connaître la rubrique, n’est-ce pas ?
Rendez-vous seconde semaine d’août, avec une reprise tout en douceur, et d’ici là, jetez un Å“il à mon blog perso 40/30/30. Bonnes lectures, et passez de bonnes vacances !

«  Grass Kings » T2 et T3 grand final.

« Grass Kings » fait partie de ces ODNI (objets dessinés non identifiés), ayant un potentiel tellement élevé que l’éditeur a choisi d’éditer la série en trois volumes sur un délai très court. Cela a déjà été le cas avec « Dept.H » de Matt Kindt il y a quelques semaines, et ce thriller bucolique, magnifiquement dessiné par le canadien Tyler Jenkins, dont le premier tome a été chroniqué ici, se place comme un mètreétalon de ce qui peut se faire de mieux actuellement en BD et comics alternatif.

Dans le tome 2, le plus classieux en termes de dessins, puisque la technique d’aquarelles de Tyler Jenkins explose dans des planches magnifiques, il nous est permis de suivre le parcours de Pike, Jeune eskimo ayant dû apprendre la vie à la dure, avant de rejoindre le « royaume » de cette communauté isolée. Si Bruce et Robert, les deux frères responsables, enquêtent sur la mort de l’institutrice Jen Handel, autre victime de ce nébuleux tueur « courant d’air », Ashur, troisième et plus jeune de la fratrie et son pote Pinball mènent cependant dangereusement leurs propres investigations, tout comme les deux femmes « fortes » de la place : Shelly et Maria, cette dernière, réfugiée de Cargill. L’occasion de faire mieux connaissance avec Baron, le mécanicien d’avions, les deux sÅ“urs Satellite, surveillant le royaume à l’aide d’électronique, Archie, au lourd secret, mais aussi « Hemingway », l’écrivain solitaire, et Neil Barko, ex militaire vivant seul sur une île, retranché avec une milice armée. Beaucoup de portraits, donc, faisant grandement avancer l’énigme.

Le tome 3 confirme les soupçons sur l’un des habitants, mais Robert, retournant fouiner à Cargill, découvre le pot aux roses. Un peu tard cependant car le FBI, mal renseigné, s’est positionné pour réclamer le tueur en série présumé. Lorsque Robert revient de Cargill, avec Maria qui y était repartie, dégoûtée, le dénouement est en marche…

Matt Kindt s’est superbement moqué de nous, en multipliant les fausses pistes, dans ce puzzle construit sur une frontière entre deux mondes se rejetant la faute, mais où le démon a su s’implanter à bon escient. Tyler Jenkins, que l’on ne connaissait pas en France jusqu’à ce titre, produit des planches de toute beauté, associant décontraction d’un trait fin légèrement encré et aquarelles aux tonalités pastel. Les couvertures, peintes par Matt Kindt, apportent un aspect vintage à la série, voire carrément EC comics pour certaines. Elles finissent la touche alternative, pourtant déjà évidente, de ce polar en milieu rural. Un style inspiré de romans américains dans l’esprit d’un Faulkner ou MacCarthy, tout simplement indispensable, parce que génial.


« Harbinger Wars Blackout »

Le comics FCBD des éditions Bliss avait proposé le numéro zéro de cette histoire au mois de mai. On y voyait la réactivation de psiotiques de la Génération zéro (voir ce titre) par Peter Stanchek, lui-même suivi et recherché par HardCorps, la milice suréquipée de l’organisation militaire Omen. (Voir Harbinger Wars). Le dessin était assuré par l’impressionnant Doug Braithwaite.

Dans « Blackout », Amanda McKee (alias Livewire), tente tant bien que mal de préserver l’intégrité physique des jeunes psiotiques, qu’elle sait menacée par Omen. Elle va user de tous ses pouvoirs (amenant le fameux Blackout mondial du titre), afin, non pas d’éviter un conflit, mais plutôt une guerre totale, car aucune des parties ne souhaite reculer. D’abord incomprise par ses ex compagnons d’Unity, la troupe d’élite qu’elle a formé un temps avec XO Manowar, Ninjak et Bloodshot, elle va devoir lutter contre eux, au moins durant un temps. L’aide des Renégats est appréciée, même si ce sont les exceptionnels Ninjak, XO et Bloodshot, (hacké par son amie pour davantage d’efficacité), qui vont encore une fois faire la différence.

Matt Kindt signe encore avec « Blackout » un récit essentiel de l’univers Valiant, nous embarquant avec brio dans un thriller serré, où politique, action militaire et éléments technologiques futuristes se télescopent et s’ajoutent pour un rendu époustouflant. Le découpage est précis, les dialogues au top, et les planches des artistes conviés, dont Raul Allen, Thomas Giorello, Renato Guedes et Adam Polina, dynamiques et sans défauts. La colorisation de Diego Rodriguez est impeccable.

Dire que ce genre d’album représente le must du comics d’anticipation et d’action du moment pourrait paraître dérisoire, si l’on pouvait placer, ne serait-ce que plus de 6 titres d’autres éditeurs en comparaison à côté. Même New York le confirme, s’étant mis au diapason du Blackout ce dimanche 14 juillet, plongée dans le noir durant quatre heures. Visionnaire vous avez dit ?

« Le Sortilège de la femme automate »

Étonnant récit fantastique abordant le thème de l’intelligence artificielle, par le biais d’un voyage voguant entre réalité culturelle (de nombreuses références à l’histoire des automates, et aux médiathèques), et onirisme. Le cinéma de Tod Browning est convoqué avec ce village de freaks, installé en directe périphérie de cette ville fantôme improbable, où l’on ne croise aucun habitant ou presque, tandis que les autres alentours marécageux rappellent les délires labyrinthiques et monstrueux de Charles Burns.

Alexandre Kha, découvert à l’aube des années deux-mille dans le fanzine lyonnais Rinocéros contre éléphant, délivre ici sans doute l’un de ces albums les plus abouti, nous immergeant avec talent et tout en douceur dans un monde très personnel. La colorisation bleutée évanescente se met au diapason de dialogues poétiques, coulant comme de l’eau vive sur des dessins minuscules à l’encrage minimal, mais précis.

Un album recommandé à tous ceux qui aiment s’évader dans les méandres du cerveau humain, activité semble-t-il revendiquée par les éditions Tanibis, que l’on applaudira pour leur suivi sans faute d’un des auteurs français le plus original de la scène underground.

 
« Souffre-douleur »

Voilà un surprenant petit roman graphique, ou essai devrait-on dire, sur le mal-être d’un adolescent devenant adulte entre les quatre-vingt et deux-mille en Australie. Bruce Mutard raconte son passé de « souffre-douleur » au collège et au lycée, et comment cela a affecté ensuite sa vie d’adulte, au point de lui causer des troubles de l’alimentation.

L’auteur, que l’on pourra assimiler à la scène underground des américains Peter Bagge, Derf Backderf, Jordan Crane, voire le plus jeune Charles Forsman, utilise un noir et blanc semi-réaliste épurée, plutôt aéré, dans des planches souvent plongées dans un arrière-plan entièrement noir. Une manière de signifier l’intériorité, on imagine, de son « moi ». Cet album autobiographique de 192 pages, quand-même, surprend par son côté documentaire de santé, suivant les effets psychologiques pervers d’un harcèlement continue sur plusieurs années scolaires. Il nous permet cependant de mieux faire connaissance avec un auteur qui a semble-t-il d’autres atouts. Ce dernier étant en effet professeur à l’Université Edith-Cowan de Perth, également l’organisateur du Perth comics art festival et éditeur de l’anthologie The Ledger Annual.

Remerciements aux éditions Ça et là pour leur travail de mise en lumière de cette scène underground anglo-saxonne, puisque Bruce Mutard fait partie de ces auteurs déjà publiés en France, avec l’album « Silence » chez eux, en 2013.
Un récit à recommander à toutes celles et ceux s’interrogeant sur le phénomène du harcèlement scolaire, très décrié ces dernières années et l’objet de nombreuses campagne d’alerte du gouvernement.

« Winter Trauma » une aventure de Megg – Mogg and Owl

L’été dernier, j’avais eu l’occasion de lire le « Happy Fucking Birthday », quatrième album de Simon Hanselmann paru aux éditions Misma en 2018. Faire connaissance avec la série Megg Mogg et Owl, avait quelque chose à la fois d’hilarant, renversant, et déprimant. La fine équipe de junkies patentée : Megg (jeune femme verte junkie habillée en sorcière), Mogg, son copain chat obsédé sexuel, et Owl, la chouette soufre douleur, a quelque peu changé, puisque Owl a été remplacé dans l’appartement par Werewolf Jones, grand ours maigrichon stupide et ultra défoncé. Ces trois-là passent le plus clair de leur temps à se shooter et à glander, profitant du système avec nonchalance tout en se complaisant dans des activités scatologiques les plus trash envisageables. Non, vous ne vous êtres pas trompé. Cette série réussi le pari de l’humour avec des thèmes vraiment décalés.

Simon Anselmann, auteur australien, possède ce talent exceptionnel permettant de faire passer un propos extraverti, et underground, au sein d’une réflexion mettant en lumière quelques travers sociaux modernes. Les passages de recherche d’emploi de Megg dans ce nouveau tome, ou de séance chez le psy, sont, à ce titre, particulièrement significatifs. Si la société observée ici est un miroir déformant de celle du pays de l’auteur, et une bourgade un peu reculée, où l’on croise finalement assez peu d’habitants interagissant avec cette bande de camés parasites, on se plaît cependant à suivre leurs apitoiements sociétaux et leurs amourettes éperdues. Le style graphique underground assumé de Simon Hanselmann, basé sur un trait au premier abord enfantin, dessiné au feutre fin, et colorisé de manière directe avec des tons assez flashy, opère un charme addictif. Le ton, aux faux accents désinvoltes, diffuse néanmoins des dialogues sincères et très humains, où la déchéance est souvent le terreau de sentiments d’amours contrariés émouvants.
Un incontournable du genre comics underground moderne.

« Black Hammer T3 : l’heure du jugement »

« Black Hammer » est une excellente série de l’auteur complet canadien Jeff Lemire, qui avait fait l’objet d’une chronique VO sur Bdzoom, alors que le tome 1 n’avait pas encore paru. On y décelait une originalité rare dans le scénario, avec un côté vintage de super-héros perdus dans une dimension parallèle ayant l’aspect et « l’odeur » d’un village perdu du fin fond des États-Unis.

Alors que les protagonistes essayaient de s’intégrer au mieux au sein d’une population autochtone, malgré leur super pouvoirs ou origines extraterrestre, la fille de leur collègue mort, le fameux Black Hammer apparaît auprès d’eux, ayant apparemment réussi à trouver un moyen pour les rejoindre. Lucy Weber, puisque c’est son nom, n’a cependant juste le temps de prononcer que quelques mots, avant de disparaître à son tour. Quelle magie opère donc, et quel jeu mènent madame Dragonfly et le colonel Weird (Randall) ?…

Jeff Lemire nous offre dans ce tome 3 les clefs de cet étrange récit de science-fiction familiale, même si, après nous avoir fait découvrir dans les premières pages « l’arrière-boutique » sous-tendant cet univers parallèle, il nous replonge illico dans une fuite en avant très nébuleuse. N’empêche, « l’Heure du jugement », compilant les comics 1 à 5 du chapitre « Age of Doom » (1ere partie) apporte pas mal de réponse et rend tangible l’univers proposé, qui s’est par ailleurs élargit à des sous-séries parallèles depuis, puisque deux tomes ont déjà paru, évoquant la vie de personnages secondaires : « Sherlock Frankenstein et la ligue du mal», (voir notre chronique), et
« Docteur Star et le royaume des lendemains perdus ».

Cette histoire mêlant Space Opera, relations familiales dans une ferme, et ici, passage aux enfers, fait partie des meilleures de l’auteur, si cela a encore un sens, tant tout ce qu’il touche se transforme en or. J’avoue un faible tout particulier néanmoins pour ce conte fort, à l’aspect onirique et grand public, d’autant plus qu’il faut bien avouer qu’un charme fou émane des planches de Dean Ormston, magnifiées par le superbe travail de colorisation de Dave Stewart. Mais où va-t-on être embarqué pour la suite ???

« Aliens : cendres »

Alalaah…Gabriel Hardman ! Un auteur racé pour lequel on ne remerciera jamais assez Sullivan Rouaud, de Hi comics, lui qui a mis à disposition du lectorat français la succulente série « Invisible Republic ». Avant cela, il faut avouer que l’auteur, officiant surtout sur du super-héros et même à l’occasion (1994), sous le pseudonyme de Gabriel Gecko, ne faisait pas spécialement parler de lui. J’ai le sentiment qu’il ne peut être aussi bon que sur de la série alternative. Peut-être me trompé-je, d’autant plus que lorsque l’on voit ce qu’il propose en dessins sur le site CadenceComicart.com, c’est à pleurer de bonheur : ses Batman, Swamp Thing et j’en passe, donnent le ton. Cela étant dit, à voir et lire les magnifiques planches à l’atmosphère lourde et métallique de cet Aliens Dust to Dust, que Fred Wetta à l’excellente idée (mais comment pourrait-il en être autrement ?) d’éditer dans sa nouvelle collection petit prix Vestron, il ne fait aucun doute que l’on tient là, aujourd’hui, l’un des meilleurs dessinateurs de comics de la décennie.

Je ne dévoilerai pas le pitch de cette mini-série en quatre numéros, assez classique dans son scénario SF d’évacuation en urgence, faisant appel aux connaissances de base de tout amateur de la licence et des xénomorphes. Tout juste peut-on dire que l’histoire, focalisant sur une mère et son fils, est prenante, l’ambiance sombre « ce qu’il faut », et que le découpage sans chichi donne à lire un récit dynamique millimétré. On aurait aimé peut-être ressentir davantage de suspens, mais en même temps, reconnaissons que l’atout principal de cette traduction réussie est avant tout son élément graphique. Alors, ne boudons pas… Si vous êtes amateur ou fan de Gabriel Hardman, sautez sur ce comics essentiel de la collection Vestron, des petits recueils dos carré collé, papier glacé, complétés par la galerie de couverture obligatoire. A noter le travail de colorisation admirable de Rain  Beredo.
Un comics à offrir, ou à s’offrir, sans modération !

Franck GUIGUE

 

« Grass Kings » T2 par Matt Kindt et Tyler Jenkins
Éditions Futuropolis (20 €) – ISBN : 9782754825139
« Grass Kings » T3 par Matt Kindt et Tyler Jenkins
Éditions Futuropolis (20€) – ISBN : 9782754825177

« Harbinger Wars Blackout » par Matt Kindt, Tomas Giorello, Doug Braithwaite…
Éditions Bliss (18 €) – ISBN : 978-2-37578-158-6.

« Le Sortilège de la femme automate » par Alexandre Kha
ÉditionsTanibis (17 €) – ISBN : 978-2-84841-050-0

« Souffre-douleur » par Bruce Mutard
Éditions Caetlà (20€) – ISBN : 978-2-36990-268-3

« Winter Trauma » par Simon Hanselmann
Éditions Misma (25€) – ISBN : 978-2-916254-73-9

« Black Hammer T3 : l’heure du jugement » par Jeff Lemire, Dean Ormston et Dave Stewart.
Éditions Urban comics (15,50€) – ISBN : 9791026816461

« Aliens cendres » par Gabriel Hardman et Rain Beredo
Éditions Vestron – Wetta Sunnyside (14,95€) – ISBN : 979-10-95656-08-1

 

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