CECIL McKINLEY FAIT LE BILAN DU 1er CARREFOUR DU 9e ART ET DE L’IMAGE.

En ce début du mois de juillet, il est temps de tirer un premier bilan de ce nouvel événement culturel, et voir l’avenir… à Aubenas.

Comment comment ? Un bilan seulement aujourd’hui ? Je ne me réveille que maintenant ? Tirer un premier bilan au lendemain de la manifestation aurait été périlleux, car BDzoom étant partie prenante du Carrefour, nous n’aurions eu le recul nécessaire pour porter un avis un minimum objectif, et je vous aurais dit que c’était génial et tout ça et tout ça. Maintenant qu’un peu plus d’une semaine s’est passée depuis la fin du festival (ou quelques jours si l’on tient compte du week-end supplémentaire dédié à Druillet), maintenant que j’ai les idées claires et la tête froide, je peux vous le dire : c’était génial et tout ça et tout ça.

 

 

 

On le sait, les festivals de BD sont en France aussi nombreux que les mots dans une bulle d’Achille Talon. Force est de constater que bon nombre d’entre eux (et pas forcément les plus petits) sont de plus en plus des supermarchés déguisés que de véritables festivals. Disant cela, je tiens ici à rendre hommage à toutes les personnes passionnées qui n’ont pas cédé à la facilité mercantile et qui continuent de proposer au public – souvent contre vents et marées – une manifestation culturelle digne de ce nom. Le grand mot est lâché, celui qu’on sort quand on entend le mot « revolver » : cette satanée culture qui nous enterrera tous pour l’avoir trop aimée, ne vivant que par nous ; nous qui ne vivons que pour elle. Là où certains hauts lieux de la BD se sont définitivement perdus dans l’antichambre de la passion artistique, là où ils ont perdu tout sens de l’amour de l’esthétique, de la narration, de la composition, du sens des images et de leur portée profondément émotionnelle, tout perdu de la passion de parler et d’analyser réellement cet amour, tout perdu du respect du public, d’autres réussissent à faire vivre cette substantifique moelle en se payant le luxe de le faire sans démagogie ni masturbation intellectuelle, en privilégiant le contact humain et les vraies rencontres, dans un contexte gratuit. Bref, là où pléthore se plantent, Moliterni a réussi, appuyé par une équipe efficace et volontaire, n’en déplaise à certains…

 

 

 

Oui, le souhait de Moliterni de faire non pas un festival de plus mais bien un réel événement culturel spécifique a été exaucé, et de belle manière. Au sortir du Carrefour, le public, les auteurs, les organisateurs et les animateurs semblaient tous ravis d’avoir passé plusieurs jours ensemble autour de leur bande dessinée chérie, en profitant au passage pour vivre quelques beaux moment tout simplement humains, profonds, dans une sincérité artistique naturellement fondée. Bien sûr, je ne vais pas vous mentir, il y a bien quelques éléments qu’il nous faudra reformuler et améliorer pour la prochaine édition, mais malgré des aléas inhérents à toute construction de ce genre d’événement, le 1er Carrefour du 9e Art et de l’Image d’Aubenas a été un succès et s’avère très prometteur pour les années à venir, ayant un potentiel plus que certain.

 

 

 

Mais parlons concrètement. Même si les dédicaces n’étaient pas l’axe principal de l’esprit de la manifestation (l’axe principal était toute la manifestation), elles n’en restent pas moins l’un des moments préférés du public, et une occasion unique pour les aficionados de rencontrer ceux qui les font rêver. Très loin de la vente de livres taylorisée dans des effluves de masses humaines étouffant au sein de leur propre empressement à s’entasser, fébriles et rougeoyants, au fur et à mesure qu’ils s’approchent d’un dessinateur cloisonné entre une table, un panneau et la dite masse humaine, les dédicaces du Carrefour se sont déroulées dans un cadre magnifique propice aux rencontres empruntes de plénitude. L’espace ouvert d’une cour intérieure d’ancien séminaire, parsemée de palmiers et de plantes, et dont les vieilles pierres caressées par un soleil inspiré rendaient une atmosphère conviviale et détendue, permit de renouer avec un certain esprit de la dédicace, centré sur le temps de se rencontrer, de dessiner et de parler, sans rien faire à la chaîne, en se regardant dans les yeux. Soyons humbles : la BD ne fait pas tout ; il y a aussi certains lieux, certaines lumières, certains moments qui permettent et magnifient ce que l’on fait. Le choix des invités, pour cette première édition, proposa une belle diversité puisque étaient présents de grandes pointures comme Druillet ou Mandryka, des auteurs cultes comme Philippe Bertrand ou Mitton, des jeunes auteurs comme Reno Lemaire ou les deux dessinateurs italiens Ausonia et Joseph Vig. Pour tous les goûts…

 

 

 

Les conférences furent un point fort de l’événement. Des thèmes variés, traités par de vrais spécialistes et des personnes directement impliquées dans le sujet, une approche à la fois sérieuse et bon enfant réellement ouverte au public qui put réagir comme il l’entendait, ainsi qu’un diaporama de qualité accompagnant chaque conférence, furent déterminants pour le succès de ces moments de réelle réflexion et analyse. De l’exactitude de Laurent Turpin sur l’état du marché de la BD en passant par l’exaltation un peu dingue de Fabien Lacaf et l’humilité de Raphaël Saint-Vincent pour le story-board, la passion de Patrice Serres, Jean Laudré, Brice Garnier et Claude Moliterni pour la BD et le cinéma, le calme et la lucidité de Sébastien Langevin quant aux mangas, l’émotion ressentie par Silvina Pratt, Dominique Petitfaux, Luis Gasca et Moliterni en évoquant la vie et l’œuvre d’Hugo Pratt, les qualités humaines éclatantes de Philippe Druillet, sans oublier votre serviteur qui a fait bien trop long sur les comic books (bah oui, quand on aime…), tout était là pour que les novices, les amateurs et les professionnels puissent partager leur passion nouvelle ou ancienne. Faire des conférences pour faire des conférences, ou bien asséner des vérités lues devant un public abaissé au rang d’admiratifs sans possibilité de réagir aux propos tenus ou sans voir de quoi l’on parle, voilà bien ce qui a été évité ici sans effort et qui est tellement important pour la continuité de la pensée d’un art ; chose qui se perd de plus en plus (mais ça, c’est un problème culturel général). Il n’est pas question de se regarder le nombril ni de bluffer l’audience par la superbe d’un statut, il s’agit de parler vraiment des choses, sans ambages, avec l’acuité de la passion. Ne plus faire ceci, ce n’est pas simplement ne plus se pencher sur ce qui nous anime, c’est avorter la continuité d’une réflexion, d’une respiration nécessaire pour qu’un art reste vivant et puisse aborder ses propres lendemains.

 

 

 

Les expositions (le story-board, le noir et blanc dans la BD, Philippe Druillet, Milton Caniff, Sandman, Robert Gigi, Patrice Serres, les mangas, l’échappée bulle) furent aussi une réussite, sur le fond comme sur la forme puisqu’elles bénéficièrent souvent de lieux où admirer les œuvres fut possible dans un espace légitime. Qu’on se souvienne de la chapelle qui accueillit les œuvres et une projection d’images de Druillet au sein d’un immense lieu baigné de la lumière de vitraux modernes et d’une musique technoïde entêtante… Et ce n’est pas pour retourner le couteau dans la plaie, mais quand on se rappelle – entre autres exemples – de l’exposition sur Buzzelli l’année dernière au CNBDI d’Angoulême où aucun texte ne venait appuyer les documents et où donc celui qui ne connaissait pas cet immense dessinateur italien repartait de l’expo sans rien savoir de ce qu’il venait d’admirer, on ne peut que féliciter Claude Moliterni pour son souci de faire partager son savoir et sa passion d’exposer les choses en les expliquant. Ainsi, un couple de fans d’Hugo Pratt rencontré au détour de l’exposition sur Caniff nous ont exprimé leur intérêt d’avoir découvert ici combien ce dernier avait influencé Pratt, et qu’ils allaient se pencher sur la chose afin d’étoffer leur passion… Quoi de plus réjouissant que cette anecdote ?

 

 

 

Pour ce qui est de la partie cinoche, nous avons pu compter sur les deux cinémas Le Navire et Le Palace pour projeter une programmation hétéroclite et très intéressante tout au long du festival. Films américains, japonais, français, là aussi il y en avait pour tous les goûts, et à toutes les heures. Tous ces films ayant un rapport avec la bande dessinée ont été un élément parlant de ce que l’esprit du Carrefour entend amener et construire. Nul doute que l’année prochaine cette présence cinématographique sera encore mieux prise en compte. À noter la projection le soir de l’inauguration de And my Name is Marcel Gotlib, le premier film de Patrice Leconte, présenté avec une joie et un naturel touchants par Jacques Villemont, producteur dudit film. C’était un vrai moment de bonheur, de découverte et de connivence qui nous fut offert ce soir-là. Un véritable événement, puisque ce fut la première fois que cette curiosité cinématographique fut projetée officiellement sur grand écran en France !

 

 

 

N’oublions pas les jeux vidéo, puisque de nombreux petits albenassiens et petites albenassiennes sont venus s’éclater comme des fous dans les deux espaces qui leur étaient réservés, avec plein d’écrans et plein d’images qui bougent partout partout. L’année prochaine, nous renforcerons les liens existants entre jeux vidéo et bande dessinée, soyez-en sûrs…

 

 

 

N’oublions pas non plus les élèves en Arts Plastiques du collège Saint Régis qui se sont impliqués dans une expo et des activités tout à fait intéressantes, ainsi que le jeune Mickaël Dupré qui avait carte blanche pour créer une BD sur le Carrefour, distribuée aux invités et aux auteurs. Il était important que la jeunesse albenassienne puisse aussi profiter de l’événement en participant, signe d’un festival ouvert et fédérateur d’envies. Car on le voit, la tenue de ce Carrefour a stimulé beaucoup de fanas de BD et d’image, comme Marie-Isabelle Vegas et Pierre-Yves Halley qui ont organisé un festival off de tout premier ordre, ne faisant pas du off pour du off mais proposant une réelle création en lien directe avec l’esprit du Carrefour, alliant peinture et technique narrative : une narration en tableaux successifs nous racontant la vie d’une petite fille et son évolution vers l’âge adulte ; installées sur les murs d’une belle et vieille cour à ciel ouvert, ces œuvres très personnelles furent un écho de qualité au festival. Et quelle fierté pour nous d’avoir un off dès la première édition !

 

 

 

Dernière chose, et non des moindres, un certain sens éthique redonnant foi dans la possible construction d’un événement culturel responsable et exprimant des valeurs humaines dignes. Au-delà de l’envie de culture et d’art (ce qui est déjà en soi respectable), le Carrefour du 9e Art et de l’Image, par le biais de Claude Moliterni et du service culturel d’Aubenas, se positionne naturellement, joliment. Pendant le discours d’inauguration, Claude Moliterni a annoncé que la prochaine édition du Carrefour verrait la naissance d’un Prix décerné pendant le festival à une bande dessinée, un scénariste ou un dessinateur ayant œuvré pour les droits de l’homme ou/et contre les oppressions de notre monde. Ce Prix aura pour nom « Sid Ali Melouah », en hommage à ce dessinateur algérien engagé et malheureusement décédé peu avant la tenue du festival, lui qui a été le lien entre Moliterni et le service culturel d’Aubenas, donc celui qui a permis au festival de naître. Outre cette remarquable initiative pétrie d’humanité et d’émotion, loin, très loin de certaines démagogies ordinaires, le Carrefour (grâce à l’association « Idées+») a aussi permis au service pédiatrique de l’hôpital d’Aubenas de recevoir une fresque réalisée par les auteurs de BD venus dédicacer pendant l’événement. De quoi être fier, en toute humilité…

 

 

 

Il nous faudrait remercier beaucoup de monde pour l’excellente tenue et l’organisation de ce Carrefour. À commencer par le service culturel (pour sa conviction, son efficacité et son endurance), le maire d’Aubenas (qui a accepté et appuyé le projet), les gens de la décoration (qui se sont donnés à fond sans jamais faillir), les bénévoles (qui ont participé de manière conséquente et sérieuse), la Maison de l’Image (pour leur réelle implication), les cinémas (pour leur appui et leur professionnalisme), la médiathèque (pour leur disponibilité et leur ouverture), les libraires (pour leur persévérance), les partenaires financiers (grâce à qui la gratuité fut possible pour le public), les commerçants de la ville (dont la qualité des vitrines nous ont parfois vraiment surpris), les journalistes presse et radio (pour leur suivi et leur gentillesse), et bien sûr les auteurs (qui ont été adorables, dissipés, intelligents, déchaînés, bref de vrais grands enfants), les conférenciers (jamais prétentieux, toujours pétris de leur sujet), le public (de vrais amateurs), et enfin un certain Claude Moliterni dont j’ai beaucoup parlé dans cet article, je trouve… mais sans qui tout ça ne se serait jamais fait.

 

 

 

Celles et ceux qui pensent que je n’ai pas réussi à être objectif dans cet article n’ont pas forcément tort, mais ce n’est pas pour autant que la réalité fut autre..!

 

À l’année prochaine, à Aubenas, pour d’autres aventures toujours plus palpitantes, by jove !

 

 

 

 

 

Cecil McKinley.

 

 

 

PS : Ah oui, j’oubliais : un grand merci aux chats que j’ai rencontrés dans les rues d’Aubenas, le jour pour une gentille caresse, ou la nuit pour des conversations passionnantes.

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