Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Le Boys Love recrute à tout âge dans « BL Métamorphose »
Des mangas qui parlent de mangas, il y en a de plus en plus. Mais un manga qui se sert du manga comme lien social intergénérationnel, voilà enfin quelque chose d’inhabituel. Quand, en plus, cette interaction nait de la découverte d’un genre bien particulier, cela donne « Boys Love Métamorphose » le manga qui donne du beaume au coeur à sa lecture.
Alors que la canicule sévit au japon comme tous les étés, Yuki, soixante-quinze ans, décide de rentrer dans une librairie pour profiter de la climatisation. Elle tombe en arrêt devant le rayon manga, elle ne se rappelle même plus à quand remonte sa dernière lecture. Tentée, elle décide de prendre la sélection du libraire, juste parce qu’elle estime le dessin joli. Quand elle découvre le contenu de ce manga, un titre Boys Love racontant les déboires sentimentaux de deux hommes, elle n’est nullement choquée et elle reste même sur sa faim quand dans la dernière page, ils s’embrassent fougueusement. Bien sûr, elle retourne acheter le second volume qu’elle dévore immédiatement. Quand elle retourne à la librairie pour acquérir le troisième, celui-ci n’est malheureusement plus en stock. La jeune vendeuse lui propose donc de le commander. Elle a bien compris que cette personne âgée, qu’elle ne connaissait pas, était passionnée par cette série qu’elle-même adore. La conversation ne s’engage pas encore, car Urara, la jeune vendeuse, encore lycéenne, est particulièrement timide. Elle a clairement du mal à nouer des contacts avec ses camarades de classe. Lorsque la commande du troisième volume est enfin livrée, Ura appel immédiatement sa cliente qui décide passer le lendemain après s’être assuré que la jeune vendeuse serait bien de service. Elles commencent donc à discuter le plus naturellement du monde et le fossé des générations s’estompe peu à peu grâce à une passion commune pour le BL  !
Bien sûr, le genre Boys Love est aujourd’hui monnaie courante et représente une bonne partie du marché des mangas pour jeunes filles. Un genre qui n’existait pas il y a 60 ans, quand Yuki n’était qu’une adolescente. Mais qu’est-ce qui interdirait à une personne âgée de découvrir et d’apprécier ce style narratif où les deux amoureux sont des hommes  ? « BL Métamorphose » se sert des clichés pour dédramatiser une situation qui peut sembler embarrassante, mais qui se révèle enrichissante pour ces deux protagonistes qui ne se seraient sûrement jamais parlé sans cette passion commune.
Keiko Takemiya fut, en 1976, la première à réellement populariser ce genre avec « Kaze to ki no uta ». Un récit assez dur se déroulant en France, pays de l’amour, qui dépeint de manière assez crue les rapports ambigus que Gilbert Cocteau entretient avec ses camarades. Ce classique du manga a permis à toute une génération d’auteur de se libérer en racontant des histoires pour des femmes où tous les protagonistes ou presque sont des hommes. Cela rappelle un peu la tradition théâtrale, où, tous les rôles, même féminin était joué par des acteurs mâles. Dans le Boys Love, personne ne se travestit, mais cela permet aux lectrices de choisir le personnage dont elle se sent le plus proche sans que son propre genre ne dicte obligatoirement ce choix. Si le Boys Love s’est vraiment développé dans les Dojinshi, ces mangas amateurs parodiant, entre autres, les grands dessins animés des années quatre-vingt, c’est avec « Zetsuai 1989 » de Minami Ozaki que le phénomène éclata réellement auprès des lectrices. Dans les années quatre-vingt-dix, elles ne se cachent plus pour lire ces mangas où l’amour s’exprime au grand jour et qui peuvent parfois être extrêmement explicites dans leurs propos tout en restant graphiquement assez sage.
Plus qu’un manga sur le phénomène Boys Love, comme son nom l’indique, « Boys Love Métamorphose » dévoile le changement que cette lecture inattendue opère sur ces femmes que deux générations séparent. Yuki va retrouver la naïveté de sa jeunesse et sortir de sa routine de grand-mère alors qu’Ura va s’épanouir dans cette relation, elle qui a vraiment du mal à communiquer avec ses camarades. Le BL va les rapprocher, alors que tout aurait été différent si Yuki avait choisi un manga plus classique lors de son chalandage. C’est surtout son envie de connaître le fin mot de l’histoire, en arquèrent raidement tous les tomes parus, qui a fait que leur passion commune s’est dévoilée spontanément. Le passage où Yuki s’inquiète de ne pas survivre assez longtemps pour espérer lire le dernier tome de la série qu’elle vient de découvrir est à la fois amusant, mais aussi glaçant de réalisme. Son angoisse n’est pas de disparaître, mais bien de ne pas savoir ce qui se passe dans les pages suivantes.
Cette rencontre impromptue a débuté grâce à un enchaînement de circonstances qui relève du pur hasard. Une journée caniculaire et un simple livre pioché sur un étalage ont suffi à créer un échange intergénérationnel. Animées par une même passion, cette jeune fille et cette grand-mère ont bien compris que l’âge importe peu. Voilà un manga qu’il serait bon que les jeunes lecteurs passent à leurs aînés afin que ceux-ci comprennent peut-être un peu mieux ce qui les fascine dans leurs lectures.
Gwenaël JACQUET
« BL Métamorphose » T1 par Kaori Tsurutani
Éditions Ki-oon (7,90 €) ISBN  : 979-1032704783