Interview de Bertrand Morisset

« L’arrêt de la Fête de la BD est une vision capitalistique à court terme », nous explique l’ancien commissaire général de la manifestation

 

 

Comment avez-vous accueilli la décision des éditeurs du groupe Media-Participations (Dargaud, Le Lombard, Dupuis), de ne plus participer à la Fête de la BD ?

 

Je ne suis pas vraiment surpris. Dans toute industrie culturelle, celui qui possède une part de marché proche de la majorité n’a aucune raison de pérenniser une démarche collective . Cela a été le cas, par exemple, avec le salon de la vidéo qui a tenu quelques années, jusqu’à ce que le groupe leader du marché l’abandonne. Ce qui a eu pour conséquence l’arrêt du salon. Je regrette cette situation.

 

 

Pourquoi ?

 

Je suis très déçu de ce désengagement. La fête de la BD était conçue pour amener de nouveaux lecteurs à la bande dessinée. Cette décision a cassé la marche en avant que les éditeurs avaient initiée vers la conquête de nouveaux lieux d’expression et d’un nouveau public. Il subsiste une évidente contradiction entre cette envie de conquête commerciale et les moyens mis en œuvre !!

 

 

C’est donc le chacun pour soi ?

 

Oui, mais toute industrie culturelle a besoin de parler de manière collective. C’est d’ailleurs le cas sur le piratage Internet ou le festival d’Angoulême !! Alors pourquoi se contenter de réactions superficielles collectives sur d’autres sujets ? Même si le groupe Media Participations n’ a jamais été le plus farouche partisan de la fête de la BD, il est inconcevable de casser une dynamique à peine 2 ans après l’avoir engendrée ! Et bien évidemment, les autres éditeurs ne peuvent la poursuivre sans la participation d’un groupe qui représente 40% de la création !

 

 

Mais ce groupe explique n’avoir tiré aucun bénéfice  de la manifestation ?

 

C’est une analyse qui privilégie purement le profit à court terme ! Le fait est exact mais comment imaginer qu’il ne faut pas plus de temps pour conquérir de nouveaux lecteurs ! Cette vision capitalistique est très compréhensible mais n’est pas très ambitieuse pour le développement du neuvième art ! c’est comme si, lors d’une foire d’Art contemporain, on se contentait de vendre des œuvres de Basquiat sans expliquer la genèse de son œuvre ou encore la faire admirer uniquement par l’acheteur sans prendre le temps de laisser les autres le faire. ! Il faut savoir dépasser l’acte mercantile pour développer l’expression artistique et comprendre que le commerce ne se suffit pas ! L’art a besoin d’une action militante pour « multiplier les petits pains » !! « Evangéliser » consiste à porter la parole et à passer par les actions collectives et de sensibilisations. La fête de la BD faisait partie de ces actions !

 

 

Une action qui coutait cher ?

 

80.000 euros pour le groupe Média Participations l’an passé ! Mais 30% de moins, c’est-à-dire  55.000 euros, pour 2007 puisque la participation avait été revue à la baisse. L’idée était même de la supprimer totalement en 3 ans. C’était possible. Un exemple : le Ministère de l’éducation nationale, qui n’avait pu intervenir l’an passé, pour des raisons de délais, vient de nous appeler pour contribuer en 2007 : Imaginez 15.000 classes d’école primaire parler de bande dessinée pendant une heure ! C’était prévu et prêt ! On ne le fera pas !

 

 

Quel avenir, alors, pour une manifestation collective ?

 

Nous réfléchissons, avec Louis Delas (ndlr : PDG des éditions Casterman – Fluide Glacial, Président du groupe Bande Dessinée du SNE – Syndicat National de l’Edition), à définir les contours d’une nouvelle action afin de ne pas laisser au milieu du gué les centaines et les centaines de médiateurs et d’animateurs qui toute l’année s’occupent de lecture publique et commençaient (ou consolidaient) grâce à la Fête de la BD, à installer la bande dessinée au cœur de leur dispositif en direction de millions de nos concitoyens.

 

 

Propos recueillis par Laurent TURPIN

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