Les humains, espèce toxique ?

L’héroïne de cette histoire avait rêvé, petite, de devenir fermière. Son milieu familial américain ne l’y a pas poussé, mais, à présent, ceux qu’elle appelle « les gros cons de la création », autrement dit les humains, ces « super prédateurs », lui en donnent l’occasion, mieux : l’obligation ! Les hommes, machos assoiffés d’argent et gavés de pouvoir, sont en effet en train d’émasculer la Terre. C’est la guerre civile, la fin du monde, il faut fuir…

Entre la couverture qui montre une jeune femme seule, en pleine forêt, s‘adonnant à la pêche, l’œil guettant ses arrières, et la première planche de l’album exhibant un monde inondé provoquant l’exil de la population encadré par des forces de police peu amènes, l’immersion est aussi brutale que définitive pour le lecteur. Ce n’est pas à une partie de pêche bucolique qu’on est invité, mais à une réflexion sur la nature humaine – plutôt inhumaine !

La jeune femme qui raconte sa fuite vers des terres canadiennes plus hospitalières est une jeune Américaine qui a décidé de rejoindre coûte que coûte les rebelles à cette société capitaliste devenue barbare. Cette fois, plus question pour l’héroïne de pactiser avec un « monde pourri par des zombies, connectés en permanence aux indices boursiers ». Direction le Yukon, pas pour y chercher l’or, mais la liberté ! La route est longue, difficile, inconnue, le temps d’évoquer son amour pour Ethan, son amour disparu dont elle porte l’enfant…

Bien entendu, les risques sont importants car, loin désormais de la société capitaliste, il reste des chasseurs, des bêtes sauvages, ou la simple question de se nourrir et de se protéger la nuit. Si le retour à la nature est un rêve, un fantasme, il peut constituer quelquefois un cauchemar, mais l’héroïne a des ressources et dompte peu à peu cet environnement qu’au bout du compte elle a toujours recherché, jusqu’à une rencontre incroyable qui fait basculer le récit dans un tout autre registre, nuançant d’ailleurs le postulat de départ concernant les humains comme « espèce toxique ».

Le lecteur est alors surpris, voire un peu décontenancé, car on passe d’un récit d’anticipation (légère, cela dit !) à une fable plutôt fantastique à laquelle il faut adhérer, ne serait-ce que pour continuer à savourer la réalisation graphique. Le trait charbonneux et grisé de Tim Tirabosco est comme à chaque fois séduisant, envoutant. Il excelle dans les décors de forêts, les univers aquatiques, les territoires neigeux, les solitudes sauvages, auxquels il apporte paradoxalement une douceur, une quiétude.

Avec cette « Femme sauvage », Tirabosco revient sur un thème qu’il a déjà traité avec Wazem dans  « La Fin du monde », titre explicite de leur album publié en 2008, chez Futuropolis également. Lors d’un orage, une voiture file sur la route. À ‘intérieur, un couple et leur petit garçon. La maman est sur le point d’accoucher, quand, tout à coup, un arbre s’écrase sur la voiture. Vingt ans plus tard, la jeune fille née lors de l’accident, observe le déluge qui s’abat depuis quelques jours sur une petite ville située sur le Rhône, une pluie diluvienne qui l’inquiète… Le traitement tricolore (noir et blanc rehaussé de bleu) soulignait bien l’ambiance délétère de ce monde que l’eau recouvrait inexorablement. Lent, rêveur, le récit se dotait de mille facettes tel un kaléidoscope et la jeune fille, au fil de cette dérive initiatique qui virait au fantastique (tiens, là aussi !), allait finalement mieux comprendre sa vie et ses angoisses…

Didier QUELLA-GUYOT ; http://bdzoom.com/author/DidierQG/

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« Femme sauvage » par Tom Tirabosco

Éditions Futuropolis (25 €) – ISBN : 978-2-7548-2456-9

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