Après leur collaboration remarquée sur « Sangoma », le romancier Caryl Férey et le dessinateur Corentin Rouge retravaillent ensemble, pour notre plus grand plaisir ! Dans ce qui sera une trilogie de pas moins de 450 pages angoissantes (le tome 1 en contient déjà 150), la crise migratoire s’est amplifiée et touche désormais le continent européen victime de multiples catastrophes. D’innombrables réfugiés venus de tous pays — ayant sûrement fui les changements climatiques, les guerres ou les pandémies — s’amassent au port du Havre… Dans ce lieu de transit, ils espèrent accéder aux rares bateaux qui pourront les embarquer, via l’Écosse, en destination de l’hypothétique salut que représente l’Islande : unique contrée épargnée, mais pour combien de temps encore ?
Lire la suite...Jeune fille au fond des bois…
Après sa très spectaculaire « Partition de Flintham », revoilà Barbara Baldi et son travail pictural éblouissant, fascinant, étrange aussi, réalisé autour de personnages qui inspirent la pitié et dont on a du mal à se détacher. Avec « Ada », on est en Autriche, en 1917, mais loin, très loin de tout, et surtout de Vienne, au fin fond d’une forêt ténébreuse où règne l’autorité écrasante d’un père exécrable…
On entre dans les récits de Barbara Baldi par des paysages travaillés comme des tableaux, des forêts inquiétantes, des ciels sombres aux nuages menaçants, plutôt à la tombée de la nuit quand la lumière se perd et que la solitude pèse encore plus fort. C’est dans cet apparent no man’s land que vivent Ada et son père, la douce et silencieuse Ada et son père gueulard à la bouille effroyable. Il est bucheron, mais il est probable que même les arbres le détestent !
Depuis que la mère est partie, l’homme est devenu autoritaire et monstrueux, faisant de sa fille sa bonne à tout faire. Point d’inceste, non, mais une esclave, corvéable à merci. Pourtant, Ada obéit, se tait, ne réagit pas, se réfugiant dans l’observation des décors qui l’entourent, leurs couleurs, leurs formes, car Ada est une artiste s’isolant dès qu’elle peut pour peindre. Son goût pour les crayons et les pinceaux la font tenir, mais jusqu’à quand ?
On souffre pour elle, on aimerait tant qu’elle se révolte, mais on fait comme elle : on profite des paysages, on savoure ces ciels inspirants, ces arbres ployant sous le vent, ces lueurs matinales et ces soleils timides, mais également les pluies glaçantes ou les neiges éteignant les contours. Ada la timide, la taiseuse, résiste pourtant, intérieurement, artistiquement : la louve sortira du bois et Vienne n’est pas loin, Egon Schiele non plus…
Ce deuxième album de Barbara Baldi est aussi remarquable que le premier, publié en mai 2018 et qui nous invitait du côté de Nottingham, en 1850, avec une très sombre histoire d’héritage à la clé. Au cœur du conflit, deux sœurs que tout oppose, l’une, Olivia, souhaitant tout vendre ; l’autre, Clara, s’obstinant à sauver le domaine de Flintham, mais s’enfonçant peu à peu dans les difficultés, les échecs, les drames, la déchéance… Là encore, la coloriste et illustratrice faisait la part belle aux paysages, neigeux, pluvieux, glauques, avec un récit dramatique autour d’une jeune femme également artiste (claveciniste en l’occurrence), solitaire et battante.
Ces deux portraits de femme forcent l’admiration par l’économie des mots et la puissance des images qui les mettent en scène. Émouvantes, troublantes, elles séduisent le lecteur, le travail pictural de chacune des cases n’étant pas étranger à la fascination qu’elles provoquent et qui les rend inoubliables.
Didier QUELLA-GUYOT ([L@BD-> http://9990045v.esidoc.fr/] et sur Facebook).
http://bdzoom.com/author/didierqg/
« Ada » par Barbara Baldi
Éditions Ici-Même (24 €) – ISBN : 978-2-3691-2051-3
« La partition de Flintham » par Barbara Baldi
Éditions Ici-Même (24 €) – ISBN :