Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...Homme ou femme ? Tel est « Le Dilemme de Toki » !
À la puberté beaucoup de choses changent. C’est aussi le moment de faire des choix, de s’affirmer, de décider de son avenir, et, pour certains êtres venus d’une autre galaxie, choisir son sexe. Mais ce choix est-il si simple à faire  ? C’est le dilemme que Toki doit affronter en venant sur terre pour trouver sa voie et acquérir son orientation sexuelle finale. Un sujet bien étrange pour un manga qui confronte les adolescents à leurs propres questionnements.
Tout a débuté par un banal accident de vélo. Toki se déplace à bord d’un vaisseau organique qu’il a rendu invisible. Se trouvant sur le chemin de Mitsuharu, celui-ci lui est donc rentré dessus. Ainsi débute la relation particulière d’un collégien et d’une entité extraterrestre. Toki décèle immédiatement que le jeune homme a du mal à s’ouvrir à son entourage et que finalement, il n’a pas de vrais amis.
Si Toki a été envoyé sur terre, c’est avant tout pour acquérir son sexe final. Masculin ou féminin, il ne sait pas encore quoi choisir, du coup, il propose à Mitsuharu de prendre cette décision pour lui. Veut-il avoir un vrai ami ou une petite copine  ? Le choix semble simple, mais ne l’est finalement pas tant que ça quand on est un adolescent se posant continuellement des questions sur sa propre vie.
Vous l’aurez compris, l’extraterrestre est ici une métaphore du personnage androgyne récurrent en manga. L’auteur arrive à mélanger les styles science-fiction, yaoi et harem en un seul titre. L’aventure débute avec l’arrivée de cet extraterrestre en tout point semblable à un être humain de 15 ans. Sauf qu’il n’a aucune caractéristique sexuelle. Ses cheveux sont longs, mais il n’a pas de poitrine. Il a des manières un peu efféminées, mais ne se maquille pas. Il s’habille avec des vêtements larges, inadaptés à sa morphologie, comme pourrait être vêtu(e) un ou une ado dans la mouvance hip-hop. Surtout, il a une trace étrange sur son ventre à la place de son nombril. Toki a aussi la candeur des adolescents, ce qui rend son personnage particulièrement attachant. Sa naïveté, son côté convivial et le fait qu’il s’ouvre facilement aux étrangers enrichissent le récit. Toki forme un vrai binôme avec Mitsuharu. Ce n’est pas simplement l’histoire d’un adolescent torturé qui a rencontré un être venu d’ailleurs. Ce sont les aventures de deux êtres qui se cherchent à leur manière et qui se posent de vraies questions existentielles qui se rejoignent par la force des choses.
Du coup, Mitsuharu étant parfaitement identifié comme un être masculin, la question du sexe de son nouvel ami peut se poser en plusieurs termes. Bien sûr, il peut y avoir une amitié virile entre deux garçons sans que cela ne pose pas trop de problèmes de nos jours, du moins, en manga. Par contre l’auteur semble nous dire qu’entre les deux sexes il est extrêmement difficile de rester amis sans arrières pensées. Toki découvre rapidement à l’intonation de la voix de Mitsuharu qu’il est amoureux de son amie d’enfance. Malheureusement celle-ci sort avec celui qui est encore au début de l’album son autre meilleur ami. Mais la situation amoureuse ne s’arrête pas là , contre toute attente, une camarade de classe qu’il n’avait jamais remarquée avoue son amour pour le jeune homme. De quoi créer des situations encore plus confuses et une situation de harem classique en manga. Cette situation permet également de développer de nombreux cas de conscience que l’on découvre au fil du récit. Bref, ce pauvre Mitsuharu n’est qu’un simple ado en pleine puberté. Si faire évoluer son corps vers un sexe qu’il aura choisi est un sacré dilemme pour l’extraterrestre, le terrien doit de son côté subir des changements moins radicaux, mais tout autant sources de tourments qui sont ici très bien exploités pour construire un récit riche en rebondissements.
Pour une première oeuvre, Kiri Gunchi s’en sort plutôt bien. Son scénario, même s’il repose sur un schéma classique, arrive à développer une trame inédite plausible. Son graphisme est moderne tout en restant consensuel. Cet auteur n’a pas encore développé un style bien défini. C’est propre, la mise en page est claire et dynamique. Les éclipses temporelles sont très bien intégrées. L’histoire avance rapidement sans temps mort et surtout avec clarté. Voilà un auteur prometteur à suivre de très près.
Cette série est annoncée en seulement trois volumes. Du coup, ce premier opus avance assez vite. Les relations entre les différents protagonistes y sont pourtant bien développées et au fur et à mesure que les liens se tissent le choix semble de plus en plus difficile pour Toki. Un shonen plein de surprises sur les émois de l’adolescence. Rendez-vous en avril pour le second tome.
Gwenaël Jacquet
« Le Dilemme de Toki » – par Kiri Gunchi
Édition GLÉNAT (7,60 €) – ISBN : 9782344032763