« Vintage and Badass, le cinéma de Tyler Cross » par Fabien Nury et Brüno

Lancée chez Dargaud depuis 2013, la série « Tyler Cross » (3 tomes à ce jour) laissait entendre que cette immersion nerveuse dans l’univers gangster des années 1950 puisait une bonne part de son imagerie dans le 7e Art. En 185 pages et 76 chroniques illustrées, Fabien Nury et Brüno ont choisi de tout nous dire de leurs inspirations scénaristiques et iconographiques. Ce beau hors-série, s’il dessine en creux une certaine vision de l’Amérique et de ses mythologies, témoigne surtout d’une véritable déclaration d’amour au genre noir : polar, thriller ou giallo, venez réviser vos classiques…

La légende noire de Tyler Cross (illustration - 2013)

Nous sommes en 1940. Raoul Walsh, ex-assistant de D. W. Griffith à la Twentieth Century Fox, signe un contrat de réalisateur chez Warner Bros. : après « Une femme dangereuse », sûr de sa force de travail, celui qui a perdu un œil dans un accident de tournage en 1929 entame « High Sierra ». Mettant en scène Humphrey Bogart dans le rôle du gangster Roy « Mad Dog » Earle, le film (titré en français « La Grande évasion », sans rapport avec la Seconde Guerre mondiale) inaugure en créant le thème du perdant (loser), bandit romantique et voué au dernier casse dramatique. Or, c’est à ce film noir (par ailleurs scénarisé par John Huston à l’époque où celui-ci entame « Le Faucon maltais » !) que l’on doit quelques photos promotionnelles qui, non seulement, feront de Bogart une star (il était jusque ici abonné aux rôles de seconds couteaux) mais initieront soixante-dix ans plus tard la création de « Tyler Cross ».

Bogart dans "High Sierra" (photos promotionnelles) et Tyler Cross

Affiche originale pour "La Peur au ventre" et visuel pour Tyler Cross T1 (Dargaud 2013)

Ce premier essai sera transformé avec deux remakes, dont « I Died a Thousand Times » (« La Peur au ventre », réalisé par Stuart Heisler en 1955, avec Jack Palance) : les auteurs s’inspireront directement de son affiche pour le visuel de « Tyler Cross T1 : Black Rock ». Voici à ce propos ce que nous confiait déjà Fabien Nury en 2013, dans un article dédié : « Si une couverture de bande dessinée a parfois l’air de ressembler à une affiche de film, certains visuels s’en référent plus qu’ouvertement au 7ème art : c’est le cas ici, avec une ligne graphique précise, rendant hommage tout autant à un genre (le film noir, soit un récit où le protagoniste (généralement détective ou gangster) se retrouve dans une situation glauque, dépassant ses moyens) qu’à la technique du split-screen. Ce dernier procédé consiste à diviser l’écran pour illustrer la scène sous plusieurs angles, ou plusieurs protagonistes occupés à effectuer des actions en simultanée. La technique aura été popularisée par le film de Thomas Jewison, « L’Affaire Thomas Crown » (1968), ainsi que par la série américaine « 24 heures chrono » (2001 à 2010 sur la chaîne FOX, reprise en 2014). Dans le cas présent, les références sont ciblées : « High Sierra » (film noir de R. Walsh, 1941), « I Died a Thousand Times » (« La Peur au ventre », de S. Heisler, 1955), film noir et remake du titre précédent, dont la couverture reprend le modèle de l’affiche originelle. Le scénario reprend également la trame du film « Un Homme est passé » (« Bad Day at Black Rock » par John Sturges en 1955), fameux western moderne et abstrait, film court et sec (moins de 80 minutes) reposant sur son décor désertique (la petite ville perdue de Black Rock en Arizona) et son format cinémascope pour mettre en scène la projection métaphorique d’un règlement de compte de l’Amérique avec ses démons. »

Pages de présentation pour le film "Un Homme sans passé" (John Sturges, 1954)

Déroulant un impressionnant inventaire au cœur du genre, « Vintage and Badass » (titre que l’on pourrait traduire par « Dur à cuire rétro ») aligne les classiques, plus ou moins connus du grand public. Ainsi de « Je suis un évadé », merveille du genre réalisé par Mervyn LeRoy en 1932 d’après une histoire vraie, celle d’un homme (Richard E. Burns) condamné à dix années de bagne pour avoir volé… un hamburger. Le film aura un tel retentissement à l’époque qu’il engendrera un débat national sur la question des travaux forcés, contraignant le gouvernement fédéral à se pencher sur l’archaïsme du système pénitentiaire de certains états américains. Plus connus seront d’autres titres, tous inspirateurs de telle ou telle séquence, personnage ou thématique contenu dans les trois tomes de « Tyler Cross : toutes périodes confondues, de « Luke la main froide » (Stuart Rosenberg, 1967) à « Quand la ville dort » (John Huston, 1950), de « Le Point de non retour (John Boorman, 1967) à « Un Justicier dans la ville » (Michael Winner, 1974), pamphlet contre les vigilantes, ces civils qui se substituent aux autorités impuissantes pour rendre (leur) justice. Et dans cette Bible cinéphile, ne croyez pas que les Français, les Italiens ou les Japonais aient été oubliés : « Touchez pas au grisbi » (Jacques Becker, 1954), « Rue de la violence » (Sergio Martino, 1973), « La Marque du tueur » (Seijun Suzuki, 1967) ne sont que quelques unes des perles mentionnées. Les illustrations de Brüno, reprises ou inédites, sont à l’avenant. Fortes, sombres, tendues ; bref à la sauce hard boiled. Une incontournable bible (et un fusil), vous dit-on…

Page de présentation du film "a Bittersweet Life" (Kim Jee-woon, 2005) - Dargaud 2018

Philippe TOMBLAINE

« Vintage and Badass, le cinéma de Tyler Cross » par Fabien Nury et Brüno
Éditions Dargaud (29,99 €) – ISBN : 978-2205078954

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