N’hésitez pas à revenir régulièrement sur cet article, puisque nous l’alimenterons, jour après jour, avec tout que nous envoient nos amis dessinateurs, scénaristes, coloristes, libraires, organisateurs de festivals et éditeurs pour vous souhaiter de joyeuses fêtes : et ceci jusqu’à la fin du mois de janvier 2024 !
Lire la suite...« Chroniques de l’île perdue » par Anne Montel et Loïc Clément
Les relations fraternelles sont parfois bien loin de l’être – fraternelle – entre éléments aux caractères opposés d’une même fratrie. C’est ainsi que pour Charlie, Sacha (son jeune frère) est un chouchou à qui leurs parents passent tout. Il est donc parfois un peu dur avec lui jusqu’à ce qu’ils soient séparés par un événement inattendu. Sur l’île perdue, les deux jeunes garçons vont devoir parcourir un long chemin, physique et mental, avant de se rejoindre en passant outre certaines de leurs peurs enfantines.
Sacha, une dizaine d’années, supporte mal la vie en famille avec un petit frère couvé par ses parents.
Pour lui : « Charlie c’est le gentil petit chouchou qui se met là où on lui dit de se mettre et qui obéît à tout ce qu’on lui demande. A cause de lui, on ne voit que mes défauts. Comme il brille en classe, mes quelques bonnes notes sont éclipsées. Comme il est sage, on me prend pour un petit démon. »
Ainsi n’éprouve-t-il aucune vergogne à le laisser de côté lors d’une fête donnée sur le paquebot sur lequel ils font une croisière avec leurs parents. Seulement quand le naufrage survient, Sacha et Charlie sont séparés. Ils sombrent tous les deux dans l’océan.
Le petit Charlie se réveille dans un environnement boréal perturbant. Dans une grande plaine enneigée, il est cerné par des loups noirs aux yeux rouges, évanescents mais agressifs. Heureusement pour lui, une jeune chasseuse à l’arc, aux cheveux flamboyants, vient le délivrer, aidée par un grand chien blanc qu’elle appelle affectueusement « la Bête ».
Pendant ce temps, Sacha, lui, reprend conscience sur le sable d’une plage tropicale. Ce sont des Moaïs, ces statues que l’on trouve habituellement sur l’île de Pâques, qui l’accueillent en murmurant le prénom de son frère associé au mot « sang ». Il commence à culpabiliser quand une entité noire et nébuleuse l’agresse, le forçant à se réfugier à l’intérieur des terres.
Les deux frères entament par la suite, chacun de leur côté, un parcours initiatique compliqué dans un monde fantastique aux règles obscures. Il apparait qu’ils se sont tous les deux échoués sur une même île, composée de six environnements distincts, qui semblent bien vivante car elle se nourrit des frayeurs enfantines de ceux qui croient avoir trouvé refuge sur son rivage.
Sacha et Charlie doivent affronter toute une faune fantasmagorique malveillante avant de pouvoir se retrouver. En plus des loups issus de cauchemars enfouis et des Moaïs aux propos sibyllins, ils croisent aussi des arbres mutants zombifiés ou une meute de doudous ; d’anciennes peluches abandonnées devenues très vindicatives.
A la fin de ce long parcours initiatique et cathartique, la réconciliation est enfin possible entre les deux frères que de nombreux petits contentieux séparaient.
Loïc Clément est un des scénaristes pour la jeunesse dont nous mettons régulièrement le travail en avant sur BDzoom. Nous vous avons déjà ainsi entretenu de « Chaque jour Dracula », « Le Voleur de souhaits » ou de « Chaussette ». Il excelle dans des récits qui mêlent sujet intimiste et environnement fantastique. Il transcrit ici ses propres souvenirs d’enfance en les sublimant dans un conte initiatique dans lequel la maltraitance fraternelle est vaincue. C’est une forme de résilience qui est in-fine narré dans l’album ; celle vécue par Sacha, le petit frère. L’album est d’ailleurs dédié à : « Toutes les petites sœurs et petits frères dont les bleus au cœur et au corps furent vite oubliés par leurs aînés. ».
Les angoisses enfantines, les figures de cauchemars, des ambiances de plus en plus oppressantes jusqu’à la scène paroxystique finale sont transcrites avec douceur par le trait aquarellé d’Anne Montel. La dessinatrice fait preuve d’une grande inventivité pour créer les différents univers oniriques de l’île perdue, pour, à partir d’objets du quotidien des enfants, construire des séquences vraiment anxiogènes.
Les 110 pages de ce très bel album se lisent d’une traite, comme toujours pour les bandes dessinées jeunesses portées par un sous-texte intelligent et émouvant.
La complexité des relations dans une fratrie est ici décomposée en de multiples séquences : de la violence oubliée de petits jeux à priori anodins, à un amour qui peut se muer, parfois, en une haine inexplicable. « Chronique de l’île perdue » est un petit bijou, encore un, qui enrichit le remarquable catalogue de la collection Métamorphose des éditions Soleil.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Chroniques de l’île perdue » par Anne Montel et Loïc Clément
Éditions Soleil, collection Métamorphose (18,95 €) – ISBN : 978-2-302-07123-0