« Cooper, un guerrier à Hollywood » par Florent Silloray

Qui était au juste Mérian C. Cooper, réalisateur du célébrissime « King Kong », film sorti sur les écrans en 1933 ? Pour répondre à cette question, Florent Silloray choisit de remonter le temps – via une interview journalistique fictive – afin de narrer le parcours aventureux de cette légende hollywoodienne aux cents vies : tour à tour pilote hors pair, espion de haut vol, réalisateur innovant, producteur à succès mais aussi raciste et anticommuniste primaire, Cooper devient le reflet d’une autre Amérique, rarement placée sous les projecteurs. Celle des conservateurs, farouches patriotes et fiers capitaines d’industrie, pour lesquels la fin justifie les moyens.

Une interview de l'âge d'or (planches 1 et 4 - Casterman 2018)

Nombre de lecteurs avaient déjà pu apprécier l’intérêt et le talent (scénaristique et graphique) de Florent Silloray pour retracer l’ensemble d’une vie : tant à la manière de la bd reportage historique (avec « Le Carnet de Roger » en 2011, retranscription de la vie du grand-père de l’auteur, ex-déporté et forçat dans les mines de sel de la Prusse orientale) que du biopic (avec « Capa, l’étoile filante » en 2016, sur le destin de l’illustre photojournaliste et correspondant de guerre). Dans le présent album, c’est donc au tout de Cooper, né en Floride en 1893, de raconter sa propre vie à la première personne. Entré à l’école navale, il participe à la Première Guerre mondiale en tant que pilote. Fait prisonnier durant l’offensive Meuse-Argonne (septembre 1918), il est libéré en 1919 et intègre l’armée polonaise pour lutter contre l’armée rouge. La même année, à Vienne, il fait une rencontre essentielle : celle du futur réalisateur Ernest B. Schoedsack, avec lequel il collaborera sur de nombreux projets filmiques. Devenu espion puis chef d’une escadrille de têtes brûlées, Cooper – de nouveau capturé – échappe à la mort et aux affres des conditions de détentions bolcheviques. A peine revenu à New York, l’homme se lance comme journaliste baroudeur en intégrant une mission maritime et ethnographique dans le Pacifique Sud. Cette expérience exotique, tout comme les suivantes (l’Empire éthiopien du Négus, la mer Rouge, la Turquie, la transhumance vers l’Iran de milliers de moutons, la Syrie et le Liban) font naître chez lui l’envie de filmer et d’inventer littéralement le docu-fiction (en 1925, « L’Exode », tourné avec Schoedsack).

Un apprentissage compliqué (planche 5 - Casterman 2018)

Cooper est adjudant-pilote à Issundun (Indre) durant la Première Guerre mondiale

Après avoir réalisé « Chang » en 1927, un film documentaire racontant la vie d’un paysan pauvre du Siam et sa lutte quotidienne pour la survie dans la jungle, Cooper et Schoedsack se lancent dans « Quatre plumes blanches » (1929), vaste production tournée à la fois dans les studios californiens de Paramount et en extérieur au Soudan. Participant en parallèle à la naissance de la compagnie aérienne Panam, Cooper rédige un script détaillé mettant en scène un gorille géant, lequel prendra bientôt « vie » à l’écran grâce à la magie des effets spéciaux signés Willis O’Brien. Le tournage, évidement démesuré, restera dans les annales, tout comme le triomphe de « King Kong » : entré dans l’imaginaire américain et mondial pour sa scène finale mythique, ce long-métrage sera notamment suivi par « Le Fils de King Kong » dès 1933 (un échec commercial) et deux remakes réalisés en 1976 (par John Guillermin) et 2005 (par Peter Jackson).

Cooper décrit King-Kong à son actrice principale, Fay Wray.

Cooper et O'Brien, pionnier de l'animation et des effets visuels

Durant la scène finale, les pilotes des avions sont joués par Cooper et Schoedsack ! La métaphore est signifiante : les créateurs mettent à mort leur propre créature...

Non content d’avoir signé un chef-d’œuvre, Cooper déniche encore Fred Astaire et Katharine Hepburn, accompagne la production d’ « Autant en emporte le vent » (où les décors de « King-Kong » brûlent dans la scène de l’incendie d’Atlanta), participe à l’opération Doolittle contre le Japon (1942), aux Tigres volants et à la capitulation de 1945, coproduit avec John Ford « La Chevauchée fantastique » (1939), « Rio Grande » (1950) ou « La Prisonnière du désert » (1956), et imagine un système de projection à 180° (le « Cinérama ») un peu trop en avance sur son temps. On aura vu pire créativité, au-delà de l’indéniable part d’ombre abordée sans ambigüités par l’album. Cooper (mort en 1973), haïssant à la fin de sa vie le tourisme, la télévision et la vitesse, s’y révèle ainsi tyrannique, esclavagiste et maccarthyste primaire, n’osant avouer d’un mot : « Je n’en suis pas fier. Les choses marchaient ainsi à l’époque. » Traité en sépia et avec une grande lisibilité graphique, l’album de Silloray se parcourt avec un intérêt certain : hommes et époques s’y confondent, entre monstruosités et créations fantastiques. Ainsi naissent encore les actuels blockbusters hollywoodiens…

Philippe TOMBLAINE

« Cooper, un guerrier à Hollywood » par Florent Silloray
Éditions Casterman (18,00 €) – ISBN : 978-2-203-12081-5

Galerie

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>