N’hésitez pas à revenir régulièrement sur cet article, puisque nous l’alimenterons, jour après jour, avec tout que nous envoient nos amis dessinateurs, scénaristes, coloristes, libraires, organisateurs de festivals et éditeurs pour vous souhaiter de joyeuses fêtes : et ceci jusqu’à la fin du mois de janvier 2024 !
Lire la suite...« Eden T1 : Le Visage des sans-noms » par Carole Maurel et Fabrice Colin
Jonas, 15 ans, doit réussir un concours scolaire très difficile pour quitter les bas-fonds d’un San-Francisco dystopique. Dans un futur proche, les inégalités sociales se sont aggravées au point que l’élite habite une forteresse appelée l’Eden, séparée des quartiers pauvres par un mur presque infranchissable. Mais la révolte gronde, de bas en haut d’un corps social malade. Ce sont les plus proches amis de Jonas qui vont initier un changement que beaucoup savent inéluctable. De la bonne science-fiction pour des adolescents en quêtes d’idéal et d’identification.
De terrible séismes ravagent la Californie au XXIe siècle. San-Francisco en sort dévastée tant matériellement que moralement. La ville est désormais coupée en deux ; d’un côté, juchée au sommet d’une belle colline, l’Eden, véritable forteresse dans laquelle habite une élite protégée, de l’autre, les quadrants, les quartiers délabrés où vit une population pauvre. C’est ici que grandit Jonas. Sa vie n’est pas facile entre une mère profondément dépressive et un père souvent absent. Il gagne sa vie en recyclant des objets abandonnés dans une décharge. Son unique espoir de changer de condition est de réussir un concours scolaire d’un niveau très élevé : l’Ascension. Sa sœur ainée, Helix, est son modèle ; elle a passé avec succès les épreuves de l’Ascension et poursuit désormais ses études au sein de l’Eden.
Jonas se donne les moyens de réussir son concours en révisant d’arrache-pied avec Herodias, son sage mentor, qui demeure près de la décharge où il travaille. Durant ses rares moments de découragements, bien naturels devant la difficulté de la tache à accomplir, le jeune garçon part chanter face à l’océan, sur la proue d’un bateau abandonné. C’est là que sa sœur le surprend. Helix s’est échappée de l’Eden pour avoir une discussion sérieuse avec son cadet.
Elle lui confie sous le sceau du secret que l’Ascension est un concours truqué et qu’une insurrection est imminente. Elle appartient à un groupe clandestin qui veut : « (…) tout changer, changer la vie, changer les gens, ici et maintenant. » Avant de retourner dans son université d’élite elle serre son frère dans ses bras en lui demandant de prêter allégeance à la cause qu’elle vient de lui présenter. Elle laisse Jonas perplexe à quelques jours de l’épreuve.
L’initiation de Jonas s’achève le jour de l’écrit. Il découvre alors un monde nouveau avant d’être renvoyé dans les quadrants. L’adolescent comprend rapidement la raison des absences de son père : c’est un révolutionnaire recherché par une police répressive. La révolte gronde partout ; des quartiers pauvres au sommet de l’Eden, …
Écrivain de science-fiction reconnu, autant pour ses nombreux romans pour adultes que pour ses textes vers la jeunesse, Fabrice Colin a élargi son champ d’action tout azimuts depuis quelques années ; il collabore au Canard enchaîné et au Nouveau Magazine littéraire et écrit aussi de bons scénarios de bande dessinée. On lui doit par exemple « La Brigade chimérique » avec Serge Lehman et Gess ou « Tir Nan Og » avec Elvire De Cock au dessin.
« Eden » est un récit dystopique classique dans lequel une société duale voit ses fondements minés par les tensions inhérentes à des inégalités de richesses injustes. Sur ce schéma, déjà vu ailleurs, le romancier a brodé un récit rythmé, intrigant et assez subtil. Les relations que Jonas entretient avec les membres de sa famille sont suffisamment complexes pour paraitre parfaitement humaines, terriblement humaines. L’auteur se hâte lentement de nous faire découvrir comment fonctionne la société du bas, avec ses métiers basés sur la récupération de matériaux dans les ruines d’une belle cité, et l’élite, engoncée dans ses certitudes à qui on enseigne doctement à se méfier de la plèbe : « La volonté des masses est un danger pour les dirigeants et parasite leur travail. »
Habituée au story-board pour le cinéma d’animation, Carole Maurel ne s’encombre pas de fioritures visuelles, elle sait aller à l’essentiel que ce soit pour les décors ou les expressions des personnages. Elle met en images une trame narrative, moins simple qu’il n’y parait de prime abord, de manière dynamique, en variant son séquençage, passant d’un gaufrier classique dans les scènes de dialogues à de grandes cases présentant des scènes de groupes ou les paysages d’un San Francisco qui ne se relève pas de ses ruines.
Ce riche récit initiatique sur fond de lutte des classes post-apocalyptique ravira les lecteurs adolescents tenus en haleine par une intrigue dont on ne devine que certains soubassements. Les auteurs se sont attachés dans ce premier volume à dépeindre les caractères des principaux personnages.
On devine que dans les volumes suivants, ils s’attacheront à nous expliquer comment les défauts de nos sociétés modernes ont pu à ce point s’amplifier pour en devenir insupportables.
Comme toute bonne dystopie populaire telles « Divergente » ou « Hunger Games », « Eden » est un divertissement qui engage à réfléchir.
Laurent LESSOUS (l@bd)
« Eden T1 : Le Visage des sans-noms » par Carole Maurel et Fabrice Colin
Éditions Rue de Sèvres (15,00 €) – ISBN : 978-2-36981-451-1