« Chroniques de Francine R., résistante et déportée » par Boris Golzio

Arrêtée dans la Loire avec sa sœur par la Gestapo, le 6 avril 1944, Francine sera déportée jusqu’au camp de Ravensbrück, avant d’être transférée dans les usines d’armement de Göring. Pendant quatorze années, Boris Golzio avait conservé les témoignages de cette lointaine cousine, décédée en 2003 à l’âge de 81 ans : il choisit aujourd’hui de transmettre sa mémoire, au cœur d’un récit dense (130 pages), retranscrit sur le mode de la BD reportage. Le périple, les souffrances et les mots, parfois hésitants, retracent la terrible vérité endurée par cette femme déportée…

Un témoignage... (Planche 1 - Glénat 2018)

L'arrestation de Francine et de sa sœur (Planche 5 - Glénat 2018)

Le choix de ne pas dénoncer (Planche 10 - Glénat 2018)

Au milieu de la nuit, un convoi vient de stopper : des femmes et des enfants, descendus des wagons à bestiaux, sont oppressés par des soldats allemands et des chiens-loups. Là commence l’horreur… Un peu à part, et bien qu’également déjà vêtue de la chemise de nuit à rayures bleues et blanches confiée aux déportées, Francine observe la scène, les traits serrés. Un triangle de couleur rouge (seul détail coloré de cette ambiance grise et sépia), cousu en haut de l’épaule au dessus du numéro de matricule (également cousu et correspondant à la date d’arrivée au camp), indique la nature de la détenue : une prisonnière politique. En un visuel (que l’on retrouvera partiellement dans l’album en ouverture du « Chapitre V : Ravensbrück »), Golzio dit tout aux lecteurs du contexte, des thématiques et des enjeux de son récit-témoignage, sans négliger l’importante part d’ombre entendue dans les hésitations, oublis ou souffrances exprimées par Francine. Comme le souligne par ailleurs l’auteur dès la préface, « parce qu’elle n’y passa que quelques semaines sur les douze mois que dura sa déportation, Ravensbrück (vaste sujet) n’est pas le thème principal de son récit. Et donc de cet album. Celui-ci donne par contre à connaitre le KZ de Watenstedt-Leinde, autre lieu de tr-s grande souffrance, largement ignoré et dont il ne reste rien. »

Le camp de Watenstedt-Leinde (Planche 65, case 1 - Glénat 2018)

Survivre avec les poux (Planche 69 - Glénat 2018)

De février à août 1944, 2 300 femmes prendront le chemin de Ravensbrück, camp de concentration exclusivement féminin, situé à 80 km au nord de Berlin, et par lequel transiteront les 505 Françaises du convoi I 212 (13 mai 1944) dans lequel se trouvait Francine. Arrêtée pour faits de résistance, elle sera violement interrogée par la Gestapo à Roanne avant d’être déportée. Le 8 juillet 1944, après son passage par Ravensbrück, Francine arrive dans le camp de concentration (abrégé en « KZ » pour Konzentrationslager) de Watenstedt-Leinde, dans le nord de l’Allemagne (Basse-Saxe). Ce dernier totalisera environ 5 000 hommes et 1 500 femmes, soit une « main-d’œuvre » corvéable à merci allouée par la SS aux entreprises de la Reichswerke Hermann Göring, pour la fabrication de munitions. Ce conglomérat industriel, initialement affilié aux aciéries des Brunswick, sera démantelé par les Alliés en 1945. Le 7 avril 1945, devant l’avancée des troupes russes, la SS commence à évacuer le camp : l’odyssée à travers l’Allemagne du Nord dure plusieurs jours avant de se terminer de nouveau, le 14 avril, au camp de concentration de Ravensbrück. Beaucoup de détenus n’ont pas survécu au voyage… Les autres arrivent à Ravensbrück dans un état d’extrême faiblesse. Francine y rencontre les fameuses résistantes Geneviève De Gaulle-Anthonioz (1920 – 2002), Marie-Claude Vaillant-Couturier (1912 – 1996) et Germaine Tillon (1907 – 2008), trois femmes honorées par la suite au Panthéon ou à l’Assemblée Nationale. Finalement libérée et recueillie par la Croix-Rouge danoise et suédoise le 23 avril 1945, Francine profite miraculeusement de l’opération « Bus blancs » initiée par le comte Folke Bernadotte (vice-président de la Croix-Rouge suédoise). Cette opération permettra de sauver plus de 15 000 personnes, dont 7 500 femmes de Ravensbrück, ce camp n’étant enfin libéré que le 1er mai 1945.

Le laisser-passer accordé à Francine en mai 1945

Sauvée par sa jeunesse et sa vivacité, Francine rentrera en France à 22 ans, vivante mais ne pesant plus que 33 kilos… Comme l’exprime en conclusion Boris Golzio, non sans émotion, le jour de l’enterrement de Francine en mars 2003 : « L’Histoire de Francine ne m’a plus quitté. D’elle, il me reste sa voix, son humilité, sa simplicité. Et la conviction qu’il ne faut jamais baisser les bras. » Lisons, par conséquent, en songeant à des œuvres voisines, aussi bien plastiquement (le titre comme le trait de Golzio rappellent ceux de Delisle dans ses « Chroniques de Jérusalem » en 2011) que dans l’expression du devoir de mémoire relationnel (« La Guerre d’Alan » par Emmanuel Guibert entre 2000 et 2010, « Le Carnet de Roger » par Florent Silloray en 2011, « Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag IIB » par Tardi depuis 2012, « Ma Guerre, de La Rochelle à Dachau » par Tiburce Oger en 2017). Lisons, surtout, pour ne pas laisser s’installer l’oubli et la négation. Interrogeons-nous, de paire avec l’auteur : pourquoi n’existe-t-il pas encore de Musée national des résistant(e)s ? Avec un « E ».

Philippe TOMBLAINE

« Chroniques de Francine R., résistante et déportée » par Boris Golzio
Éditions Glénat (22,50 €) – ISBN : 978-2-344-02550-5

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