Les amateurs de son œuvre le savent bien : Jacques Tardi est un boulimique de travail qui dessine matin, midi et soir. Or, « Dessins matin, midi et soir », c’est le titre d’un beau petit recueil édité par Oblique Art (structure dirigée par Pierre-Marie Jamet) qui nous propose pas moins de 160 pages rassemblant des illustrations réalisées par le créateur d’« Adèle Blanc-Sec », sélectionnées dans les nombreux carnets qu’il a noircis (voire mis en couleurs) tout au long de sa remarquable carrière d’auteur du 9e art : croquis, études de personnages… et même courtes bandes dessinées iconoclastes inédites.
Lire la suite...« Weird Fantasy » par Bill Gaines, Al Feldstein et divers
Les éditions Akileos poursuivent tranquillement leur travail d’exhumation de classiques EC comics (1) et c’est au tour de la revue Weird Fantasy, débutée en mai 1950, de bénéficier d’un premier recueil. Une petite cerise patrimoniale pour tout amateur de comics vintage en noir et blanc et de récits délicieusement dérangeants…
Weird Fantasy est une revue ayant fait suite à A Moon, a Girl…Romance à son numéro 12. C’est ainsi que son premier numéro est d’abord noté 13. Arrivé au numéro 17, l’éditeur décida de reprendre la numérotation à partir de zéro et afficha un numéro 6 au suivant. De ce fait, il existe deux numéros 13, 14, 15, 16 et 17. Sur les huit numéros présentés dans ce volume 1 (comprenant chacun quatre histoires), les thématiques sont en majorité axées sur les voyages dans le temps, les voyages dans l’espace à chute plutôt dramatique et les expériences techniques ou scientifiques foireuses, sensées apporter du mieux à l’humanité.
Les dessinateurs présents ont pour nom : Jack Kamen (7 récits), Wally Wood (8), Al Feldstein (8), Harvey Kurtzman (6), et George Roussos (2) et c’est un plaisir de pouvoir compléter sa collection d’Å“uvres de ces artistes, difficilement trouvables dans de belles éditions cartonnées, en français. (2) Les précédentes éditions de ce genre, remontent, rappelons-le, aux années quatre-vingt (Humanoïdes associés, collection Xanadu). Notons que les éditions Zenda, dans leur collection homonyme, avaient aussi déjà proposé un recueil, moins épais, de cette revue, en 1987 (« Science-Fiction Weird Fantasy 1952-1953 », avec les numéros 15 et 16 compilés. Voir plus bas).
On pourrait ergoter sur l’intérêt scénaristique de bandes anciennes datant des années cinquante. On pourrait plaisanter sur leur douce mièvrerie supposée, en feuilletant négligemment ces recueils. Mais c’est bien mal connaitre la qualité des scénarios de Bil Gaines et Al Feldstein, dévoilant leur amour pour le suspens, la science-fiction, les bonnes histoires, et l’intérêt d’une morale bien trempée dans chacune d’elle. Car si l’on prend le temps d’aller au delà de l’aspect purement graphique de ces comics « sensationnels », dessinés par certains des plus grands auteurs de l’époque, on réalise combien les récits abordent aussi des sujets alors à la pointe des avancées scientifiques de l’époque.
Gaines et Feldstein nous proposent cependant des histoires au ton parfois vraiment glaçant, telle la première, par exemple : « Suis-je un homme ou un robot ? », dont la couverture du recueil est une reprise, par Stan & Vince, de l’illustration originale du numéro 13 (le #2 donc après renumérotation). Comment le cerveau de Roger Harvey, laissé pour mort dans un accident, va pouvoir être ramené à la vie par un scientifique un peu tordu, mais pensant bien faire ? Les outils utilisés lors de cette expérience nous parlent de manière étonnante aujourd’hui…
Ces scénarios usent à chaque fois de la même recette efficace pour nous amener très sûrement vers le final. Des débuts incroyables, déroulant des récits à suspens de plus en plus proches de notre réalité, avant de lâcher des dénouements aux morales cinglantes. Et celles-ci nous parlent encore aujourd’hui, démontrant l’acuité de Gaines et Feldstein et leur faculté à traiter de thématiques universelles. À cet égard, « Les Enfants de demain », abordant dans un drame futuriste émouvant le sujet des conséquences des radiations nucléaires, est un must du genre.
« La Dernière Ville », dessinée par Feldstein, déplorant une fois encore les ravages du nucléaire, d’une manière plus cynique quoi que poétique cette fois-ci, avec ces saturniens découvrant New York vide de vie, mais intact sous une cloche, démontre combien les auteurs étaient de vrais conteurs. Cela dit, un autre auteur apporte son propre ton, si excentrique, mêlant critique acerbe et humour ravageur : Harvey Kurtzman.
Signant et dessinant 5 fables délicieuses, dont le rigolo mais visionnaire « Le Mystérieux Rayon venu d’une autre dimension », sur l’omniprésence et le pouvoir pressenti de la télévision dans les années…1970, ou encore « Henri et son Béta-môme » une critique de la relation injuste homme-robot, il est une présence rafraîchissante dans ce recueil réussi, dont les maître mots aujourd’hui sont : entertainment, réflexion, et patrimoine !
(1) Parmi les autres titres : Tales From The Crypt, The Haunt of Fear, Weird Science, Crime Suspenstories, Shock Suspenstories, Frontline Combat, Blazing Combat, Two Fisted Tales.
(2) On remarquera à cet égard quelques bizarreries, comme l’attribution dans le sommaire du dessin du récit « La Dernière Ville » à Wally Wood, alors qu’il est signé Feldstein, et le trait peu reconnaissable de Wood sur « La Magie noire », car encré par Harry Harrison.
Franck GUIGUE
« Weird Fantasy » par Bill Gaines, Al Feldstein et divers
Éditions Akiléos (27 €) – ISBN : 9782355743320